L ART DÉCORATIF


LES PEINTURES DÉCORATIVES
A LA
NOUVELLE GARE DE LYON I
l convient ici d’applaudir à l’idée plus qu’à
la réalisation elle-même ; car certaines fautes — imputables soit à l’architecte M. Toudoire, soit au conseil d’administration de la Com
pagnie P.-L.-M. — sont venues entraver la parfaite exécution de l’œuvre.
Quelques critiques en effet, s’imposent. C’est, sans même insister sur l’ornementation surchargée et dorée à l’extrême de la salle, le trop grand morcellement des panneaux qui surprend désagréablement, rompant l’unité d’un ensemble. Ainsi les horizons bleutés des mon
tagnes de Suisse de M Burnand voisinent avec les terrains rougeâtres de M. Buffet, que les blancheurs des maisons arabes de M. Allègre viennent heurter à leur tour, alors qu’il eût été si facile de confier à un seul artiste tout ce côté de la salle. Les plus grandes œuvres déco
ratives qui soient, depuis les fresques du Campo Santo de Pise jusqu’aux décorations d’Amiens, furent toutes conçues suivant ce principe d’unité que l’on cherche vainement ici.
Enfin, le choix des artistes ne fut pas toujours heureux. Assurément je vois ici des peintres de premier ordre : Billotte, Lagarde,
Auburtin, Latouche, qui ont fait leurs preuves. Mais que viennent faire à côté d’eux les peintres médiocres, que je ne veux pas désigner autrement, dont les signatures se lisent au bas des plus piteux essais d’amateurs qui se puissent voir?
11 ne manquait pourtant pas à Paris de vrais peintres et dont personne ne discute plus le talent. Des orientalistes comme Dinet ou Prouvé auraient pu nous apporter de fulgu
rantes visions d’Orient. Beaudouin, auteur du beau panneau : Le Bois, qui décorait un des palais des Invalides à l’Exposition universelle,
était tout désigné pour exécuter ici quelque paysage. Et Besnard, de quelle voluptueuse gamme de coloris il eut enveloppé le lac
d’Annecy peint, hélas! par M. Cachoud ! Et cette bataille de fleurs à Nice, je l’aurais voulue non par M. Gervex, qui l’a si lourdement traitée, mais par notre Chéret, peintre nerveux du geste, évocateur de la joie lumineuse où se complaisent Pierrettes et Arlequins, ainsi qu’en de nouvelles fêtes galantes dignes de celles d antan.
Ceci n’est pas à dire que tout ici soit mauvais. Bien au contraire. Parmi ces œuvres, il en est de charmantes. Au premier rang brille M. René Billotte avec sa Rue des Nations vue à l’heure crépusculaire chère au peintre. En face de lui M. Lagarde a très heureusement inter
prété le Palais de Fontainebleau et le lac où nagent de blancs essaims de cygnes. M. Paul Buffet reste fidèle à l’Orient, qui nous a valu de lui tant d’impressions charmantes, et M. Allègre peint avec succès une Vue d’Alger (que j’aurais peut-être préférée sans les danseuses un peu
factices du premier plan) et un joli Port de Cassis. M. Burnand a de belles montagnes du Dauphiné ; M. Olive une entrée du port de Marseille; M. Auburtin une Vue de Nice admi
rablement composée. M. Montenard a des effets de lumière un peu factices, mais reste infiniment supérieur dans son grand panneau à son vis-à- vis M Décanis.
Le plafond de M. Flameng, quoique bien dessiné, est d’une dureté métallique désagréable. Je lui préfère celui de M. Maignan.
Mais trop souvent les auteurs de ces œuvres — à part quelques heureuses exceptions qui se signalent d’elles-mêmes — paraissent
oublier qu’ils font de la peinture décorative, et nous donnent simplement des tableaux de chevalet agrandis suivant les besoins de la cause et manquant d’unité, de dessin et de coloris.
Malgré tout, ces salles sont agréables d’aspect ; et, la part faite à la critique, il n’est que juste de féliciter la Compagnie P.-L.-M. de son heureuse initiative, d’autant plus que toute préoccupation artistique avait été jusqu’ici bannie des gares de chemins de fer.
Henri Frantz.