« Eh bien ? — ai-je dit interrogatif — Pelléas et Mélisande ? qu’en dites-vous ?
— C’est admirable ! c’est sublime! » m’a répondu le premier. J’ai posé la même question au second.
« Peuh ! — m’a-t-il dit avec un sourire méprisant — c’est idiot cette partition, simple « musique d’hirondelles ».
Vous ne savez peut-être pas ce que c’est que la « musique d’hirondelles? » Non... Eh bien, je vais vous en conter l’anec
dote, elle m’est personnelle et assez amusante. Il y a quelques années, je me promenais sur la berge de Croissy avec un compositeur de mes amis, un musicien très illustre. Chemin faisant il s’arrêta tout à coup et, regardant les cinq fils du télégraphe qui passant dans les airs, accrochés aux poteaux, formaient comme les cinq lignes d’une gigantesque « portée » musicale, il me dit :
« Tiens, une mélodie imprévue ! »
Je regardai et vit sur cette « portée » involontaire, des hirondelles perchées de-ci, de-là, immobiles, seules ou par groupes, de distance en distance. Cela avait le vague aspect d’une page de musique. Mon ami sortit un carnet de sa poche, prit un crayon, une fiche, et se mit à écrire.
« Je note le motif, — dit-il, — nous verrons tantôt ce que cela donnera, ce sera drôle ! »
Il nota, et le soir en rentrant il se mit à déchiffrer le grimoire, au piano. Je dois avouer que cela manqua de suite, et que le résultat fut médiocre.
« Peuh ! c’est de la musique d’hirondelles ! » — dit mon ami riant de bon cœur.
Le mot est resté pour désigner la musique incohérente. Je ne saurais dire si la musique de Pelléas et Mélisande est sublime, ou si elle est musique d’hirondelles, je laisse à d’autres, plus compétents que moi, le soin de démêler la vérité, laquelle, par parenthèse, occupe peutêtre encore, en cette circon
stance, place de milieu, celle qu’elle affectionne — in medio stat veritas — et où elle s’assied le plus souvent.
Ce qui est certain, c’est que
le public des représentations semble avoir cassé l’arrêt trop hâtif du public de la répéti
tion générale. A la répétition générale,certains spectateurs, oublieux de leurs rôles d’in
vités, s’étaient laissé aller au bruit strident que l’on sait, et qu’ils n’avaient pas acheté à la porte en entrant. Le di
recteur de l’Opéra-Comique aurait pu donner à ces Mes
sieurs trop ardents, la leçon que donna, en des circonstances analogues, un direc
teur d’antan qui ne s’émut pas pour si peu, et se retournant
du côté de la salle qui était houleuse, un jour de répétition générale, dit : « Mesdames et Messieurs, je vais avoir le regret de vous prier de passer au contrôle, où on vous rem
boursera le prix que vous avez payé... » J’aiouïdire que cette répétition de Pelléas et Mélisande avait été le point de
départ de la fameuse et ridicule campagne des directeurs de théâtre unis à la Commission desauteursdramatiques en croisade contre la critique.
L’autre nouveauté lyrique de la quinzaine fut la Troupe Joli- Cœur, trois actesd’opéra-comique sur un livret de bonne sensi
blerie, avec une partition très soignée de M. Arthur Coquard, une mise en scène bien vivante et une bonne interprétation d’ensemble. On avait à l’avance annoncé le succès d’estime, ce qui est la chute édulcorée ; il n en a rien été, bien au contraire.
Cette quinzaine a vu s’accomplir le cycle des représentations d’Ermete Novelli, sur la scène du théâtre Sarah-Bernhardt. La série du grand artiste italien a été très intéressante et bien plus suivie que les année précédentes. Il m’a semblé que son répertoire était mieux composé et plus compréhensible pour nous, parce qu’il comprenait des pièces que nous connaissons par cœur, telles Shylock, Othello, Louis XI, ce qui nous per
mettait d’en mieux suivre les péripéties bien que développées dans une langue qui ne nous est pas familière. Le succès de l’ar
tiste exotique a été grand, surtout dans les rôles tragiques, mais il n’a pas été moindre, dans les rôles de genre, entre autres, celui de Petrucchio, de la Mégère apprivoisée, le propre de son talent, c’est de n’être pas cantonné dans un emploi particulier, mais au contraire de parcourir d’un bout à l’autre, le clavier dramatique, ce qui est la vérité au théâtre, mais nous étonne en France, où chaque comédien a son emploi dont il ne veut pas sortir.
A signaler quelques morts qui font vide dans le monde des théâtres, cellede Chavette, plutôtromancier comique, il est vrai et qui ne fut que vaguement auteur dramatique ; celle de Madame Henri Gréville, romancier abondant et distingué qui, à deux ou trois reprises, tenta la fortune du théâtre. Elle eut la hantise de
la scène, qui l’attirait, et, il y a quelque vingt ans, fit
représenter, entre autres, à l’Odéon, un petit acteintitulé les Cloches cassées; enfin celle du tragédien Maubant, sociétaire retraité de la Comé
die-Française, où il tint, pendant près d’un demi-siècle, l’emploi des pères nobles, premiers rôles marqués, qui furent, entre autres, le vieil Horace, Auguste, Burrhus, Don Diègue ; dans le réper
toire classique ; Ruy-Gomez da Sylva, Saint-Vallier, dans le romantisme ; artiste cor
rect, sans grand éclat, mais ayant toujours tenu sa place honorable. Avec lui dispa
raît encore un des derniers représentants de la vieille Ecole tragique qui s’effrite peu à peu, et ne se renouvelle guère, sans doute parce que
le genre lui-même tend à disparaître dans un mouve
ment d’art nouveau. La mort de Maubant réduit à cinq, le chiffre des sociétaires retrai
tés de la Comédie, survivants encore, qui sont MM. Delaunay, Coquelin, Laroche, Mesdames Favart et Granger.
FÉLIX DUQUESNEL.
M. MAUBANT
SOCIÉTAIRE RETRAITÉ DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE
Cliché P. Nadar.