Marseillaise de la solidarité professionnelle entre « fouilleurs de poches «. Gémier est un curieux pick-pocket sur le retour, amou
reux douloureux et berné, comme le fut George Dandin, le patron de la confrérie.
A l’Ambigu,on a abandonné Gigolette et refait affiche neuve avec Sans Mère, un mélodrame vieille manière, issu de la colla
boration de deux jeunes, tout jeunes auteurs. Avez-vous pas remarqué, d’ailleurs, qu’il n’y a vraiment que les « jeunes » pour faire «vieux», soulever le tonneau où fermenta la vendange de d’Ennery et Anicet Bourgeois, et en faire couler les dernières gouttes? Ce pendant qu’à la Porte-Saint-Martin M. Alfred Dubout — celui qui fit jadis jouer à la Comédie-Française une Frédégonde en vers et... sans pitié — M. Alfred Dubout donnait en quelques tableaux rapides, sous le titre la Guerre de l or, la synthèse de la guerre du Transvaal. Sa pièce, assez intéressante d’ailleurs, et écrite avec conscience, n’est qu’une série d’épisodes juxtaposés, bien plutôt qu’un drame d’ordonnance régulière. L’action commence avec la guerre, au 12 octobre 1889, et se continue en tableaux jusqu’à la capture de Lord Methuen et son héroïque restitution par le commando Delarey. Nous assistons, chemin faisant, à la victoire de Spion-Kopj (janvier 1900), vic
toire dont Botha ne put profiter, grâce à la faiblesse du vieux Joubert, qui ordonna de ne pas poursuivre l’ennemi vaincu, et aussi à la reddition dubrave Kronje, à Paardeberg (février 1901),
cerné dans son camp par 40,000 hommes, alors qu’il ne lui restait pas 3,000 soldats valides. Ce cinématographe héroïque se complique d un dialogue simple et sévère, où l’auteur a su éviter l’emphase haïssable. Le défaut véritable du drame, défaut inhérent aux œuvres de ce genre, c’est une note fatale de monotonie.
La pièce de la Porte-Saint-Martin portera une date dans l’histoire du théâtre, et sa répétition générale pourra y figurer sous étiquette de «Nuit historique », car elle aura été le premier « essai loyal » de la fameuse répétition générale à portes closes, inventée par quelques auteurs malheureux — honneur à leur courage ! — pour « embêter » la critique. L’auteur, M. Alf. Dubout, très galant homme, et, comme on dit, « monsieur bien élevé », s’est hâté de nous réserver les places dont il pouvait disposer, et nous avons assisté à la lugubre répétition close.
Les vingt-quatre invités de tolérance n’y étaient pas même au complet. Il y en avait dix-neuf seulement, cinq s’étaient récusés ; l’assistance se composait de trois vieilles dames, de quelques seigneurs sans importance, amis de la maison, d’un monsieur en
habit noir et en cravate blanche, grave comme un âne qu’on étrille, et qui, sans doute, représentait l’épave boulevardière, et d’une dizaine de journalistes d’assez méchante humeur. C’était triste à pleurer, il faisait un froid de chien, on se serait cru dans une cave et nous nous sommes demandé si on ne nous avait pas fait venir pour mettre du vin en bouteilles ? Après le premier tableau on a relevé son collet ; après le second on a battu la semelle; après le troisième on a fumé des ciga
rettes ; après le quatrième, on a bâillé et allumé quelques cigares ; si la cruelle épreuve s’était prolongée on aurait vu
apparaître des pipes. Peu à peu, le bataillon des critiques s’est éclairci et la répétition s’est achevée vers une heure du matin, dans un silence funèbre interrompu seulement de quelques quintes. Tel est le procès-verbal exact de cette soirée mémorable, simple manifestation de rancune imbécile.
Le mois de mai a vu disparaître deux personnalités qui, à des titres divers, tinrent leur place dans la vie théâtrale, le mélodramaturge Xavier de Montépin, et la comédienne, ex-sociétaire de la Comédie-Française, depuis longtemps retraitée, Clémentine Jouassin; les deux figures nous appartiennent et nous devons en dire quelques mots, en ces chroniques qui sont en quelque sorte les petits mémoires du théâtre.
Xavier de Montépin, qui était né vers 1822, est plus connu comme romancier que comme auteur dramatique. Romancier, sa production fut immense et se chiffre par des centaines de
volumes. Son premier roman date de 1847 — cela s’appelait les Chevaliers du lansquenet — et depuis lors, il n’a cessé d’écrire et d’écrire encore, installé sans interruption, au rez-de-chaussée
de tous les journaux à un sou. Il faut dire, d’ailleurs, que si son imagination était d’une fécondité de mère Gigogne, sa forme plus que négligée n’avait rien de commun avec la littérature. Le vieux d’Ennery qui, d’ailleurs, pratiquait la même langue, le lui fit sentir certain soir par une spirituelle boutade :
« Mon cher, je n’ai pas de prétentions académiques, — lui avait dit Montépin,— mais enfin je sais écrire, et j’écris comme on parle.
— C’est que voilà : — répliqua d’Ennery, la lèvre plissée de son sourire coutumier — la difficulté, c’est d’écrire comme on ne parle pas ! »
Auteur dramatique, Montépin ne le fut que par sous-produit, tirant, de-ci de-là, quelque mélo solide d’un de ses romans, le
plus souvent même le laissant extraire, de son sac, par les mains d’un collaborateur ; parmi les meilleures de ces secondes mou
tures, il faut citer la Porteuse de pain et la Marchande de fleurs qui furent deux grands succès de l’Ambigu. L’Ambigu fut, d’ailleurs, le champ clos où Montépin livra ses plus grands et plus réguliers combats contre la syntaxe, qui battait en retraite dès qu’elle le voyait poindre.
Quant à Clémentine Jouassain, un peu oubliée, car elle avait pris sa retraite il y a quinze ans déjà — 1887 — ce fut une admi
rable artiste, dans un emploi ingrat, celui des rôles marqués :
« Elle est de premier ordre — écrivait Sarcey en parlant d’elle — d’une finesse sans pareille, d’un bon sens aiguisé jusqu’à la subtilité de l’esprit, c’est la « reine des duègnes». Jules Janin l’avait appelée la « fée Bougon de la bonne humeur » ; de 185o à 1862, comme pensionnaire, de 1862 à 1887, comme sociétaire, elle tint « l’emploi » des duègnes à la Comédie. Elle n’en joua jamais d’autres. Elle était née duègne et débuta à l’âge de vingtdeux ans dans les personnages du répertoire qui s’appellent Bélise, Arsinoë, Beline, Madame Jourdain, Marceline et y fut d’une maîtrise incomparable.
Elle avait appris son métier avec Samson. Celui-là, voyant sa maigreur dégingandée, son menton de galoche, sa bouche rentrée, son grand nez oblique, entendant sa voix au timbre spirituel et mordant, lui avait dit : « Ma petite Clémentine, tu n’as pas un physique à inspirer l’amour aux princes de tragédie, il faut renoncer à jouer les princesses, et comme tu n’as pas dans ton corset les rondeurs nécessaires à l’emploi des soubrettes, si tu veux faire ton chemin, il faut jouer les duègnes. — Qu’est-ce c’est les duègnes, té ? » répliqua l’enfant de Limoges. Samson le lui expliqua, elle comprit, se regarda au miroir, se prit à pleurer, réfléchit, se résigna et dit : « Té ! ça y est, je joue les duègnes
donc ! » Elle les joua en effet, et avec quel talent ; mais elle dut pousser des coudes, pour faire sa place, les vieilles défendirent leur os : « A-t-on vu ça ! — fit MadameThénard, — cette jeune fille qui veut jouer les duègnes, si ça a le sens commun, elle n’a même pas de rhumatismes ! »
Le souvenir de Clémentine Jouassain se rattache à toutes les figures du grand répertoire, aussi à des créations nombreuses du théâtre moderne, car elle a donné son nom à un emploi particulier, celui de la duègne sèche et aiguë, comme dans le Testament de César Girodot, comme dans On ne badine pas avec l amour...
d’Alfred de Musset, où elle fut inoubliable dans « dame Pluche », un bout de rôle qu’à force de talent elle fit passer au premier plan — l’emploi des Jouassain, dit-on encore — pour désigner cette particulière catégorie de personnages. Clémentine Jouassain s’était confinée dans la retraite depuis une dizaine d’années, on ne la connaissait plus guère, on l’ignorait presque, l’oubli vient si vite, il a faliu sa mort pour la rappeler au souvenir de ses con
temporains, et Dieu sait pourtant qu’elle a compté dans sa carrière théâtrale autant de succès, que de créations.
FELIX DUQUESNEL.