compose avec beaucoup d’entrain et de charme exotique; habillée de façon exquise et très distinguée en sa forme, elle donne au personnage une grande allure d’élégance.
A signaler au Palais-Royal, la reprise du Train de plaisir, une pièce de facture, habilement taillée sur le patron de la Cagnotte, par Hennequin, A. Mortier et Saint-Albin.
Le théâtre Antoine a rouvert, lui aussi, avec des reprises de son répertoire : la Nouvelle Idole, de François de Curel, pièce du cycle philosophico-médical, saisissante et curieuse qui eut, comme point de départ, une inoculation hardie, presque jus
qu’au crime, tentée, il y a quelques années, dans l’intérêt de la science, par un chirurgien fameux; et Que Suzanne n’en sache rien! une comédie du théâtre humoristique et goguenard comme, volontiers, le pratique Pierre Veber.
Aux Variétés, c’est la reprise des représentations des Deux Ecoles qui a continué la série; le succès est le même que jadis, trois mois d’interruption ne faisant rien à l’affaire.
Disons encore qu’au théâtre de la République, où l’on est revenu au drame, après quelques excursions fâcheuses dans la musique, on vient de reprendre la Grâce de Dieu, qui fut un des plus grands succès du répertoire de d’Ennery. Je constate que la Grâce de Dieu, qui fit couler bien des larmes en 1841, a vu les pleurs se remplacer, l’autre soir, par des sourires.
Pour la Grâce de Dieu, d’Ennery eut comme collaborateur Gustave Lemoine, l’auteur des paroles de la romance plaintive et populaire, qui fournit son titre au drame et aussi son action principale. Car au théâtre, les deux collaborateurs ne firent que paraphraser le complainte dont voici le premier couplet :
Tu vas quitter notre campagne
Pour t’en aller, bien loin, hélas ! Et moi, ta mère et ta compagne Je ne pourrai guider tes pas.
L’enfant que le ciel nous envoie, Vous le gardez, gens de Paris,
Nous, pauvres mères de Savoie, Nous le chassons loin du pays
En lui disant adieu A la grâce de Dieu!
La musique, assez touchante bien que vulgaire, était de Loïsa Puget qui, pendant quarante ans, eut la vogue des salons et de la rue avec ses romances qui avaient, écrit F élis, « de la tendresse bourgeoise; alors que ses chansons étaient pleines d’en
train et de gaieté ». Nos mères et nos grand’mères ont chanté la Grâce de Dieu, la Dot d Auvergne, les Laveuses du Couvent,
Fleurette, l Amour d un jour, le Soleil de ma Bretagne, les Vingt Sols de Perrinctle, et tant d’autres oubliées, avec lesquelles on berça l’enfance de ceux qui, aujourd’hui, ont dépassé la cinquantaine.
Les paroles de ces romances ou chansons étaient toujours de GustaveLemoine, à moins qu’elles ne fussent d’Emile Baratcau, un nom qui 11e vous dit pas grand’chose, bien que ce soit celui d’un homme qui commit, parait-il, seize à dix-huit cents romances éditées ou inédites. •— Excusez du peu! — Gustave Lemoine épousa son compositeur, — le féminin n’est pas français, — en 1842 et Loïsa Puget devint Madame Lemoine.
Je me souviens même, il y a quelque vingt-cinq ans, avoir rencontre chez d’Ennery, un vieux monsieur et une vieille dame,
patriarches d’aspect respectable, qui avaient l air de s’être échappés d’entre deux feuilles de la Sylphide. Le monsieur avait un pantalon ventre de chevreuil et une redingote serrée à la taille; la dame, très simple, tout de noir habillée, avait une capote de soie à longue visicre, ainsi qu’en portait la reine Marie-Amélie, avec un dessous blanc qui se terminait en mentonnière. Ils évoquaient le souvenir d’un temps lointain. D’En
nery m’ayant présenté à eux, me les présenta à leur tour, disant: « Monsieur et Madame Lemoine! — puis il ajouta aussitôt — vous savez bien Loïsa Puget ! »
Bien souvent, en souvenir, les deux aimables silhouettes ont repassé devant mes yeux.
Une artiste aimée du public et que sa dernière création de Guanhumara, dans les Burgraves, a mise très en relief, Madame Segond-Weber, a donné, ces derniers temps, quelques
inquiétudes à ses amis. Partie pour Béziers, avec la Comédie- Française, pour y donner des représentations, elle est tombée malade en cette ville, où elle dut rester alitée pendant près d’un mois: être malade, c’est désagréable partout, assurément, mais être malade à Béziers, c est pire encore. Heureusement sa jeu
nesse et son énergie ont eu raison du mal. Aujourd’hui, les craintes ont disparu, la voilà rétablie et bientôt prête à reprendre le cours de ses succès. C’est elle qui jouera le rôle de la Vestale, dans la reprise de Rome vaincue, que prépare la Comédie-Fran
çaise. Le rôle fut créé, jadis, par Mademoiselle Dudlay qui reprend aujourd hui celui de la vieille Posthumia, où Sarah Bernhardt fut belle, curieusement belle, parce que, toute jeune alors, elle joua un rôle de centenaire, et si admirablement grimée, et avec une telle conscience que ce fut effroyable de réalité.
La réouverture des théâtres remet logiquement sur le tapis, la fameuse question des répétitions générales, si maladroitement supprimées — sur le papier, car je crois qu’il n’en sera rien, dans la pratique — par quelques auteurs de méchante humeur à la suite d insuccès, quelques directeurs pour qui l’année ne fut pas heu
reuse. Or, il y a là une impasse dont il est difficile de ne pas sortir et dont on ne peut sortir qu’en revenant sur ses pas, ce qui est une marche en arrière, toujours pénible à l’amour-propre. La que
relle a donné lieu à pas mal d interviews, où je dois avouer que les interrogés, pour la plupart, ne témoignèrent ni d’un grand bon sens, ni d’un grand courage. Si j’en excepte M. Guinon, un
jeune auteur qui, dans le Gaulois, a posé lè problème, en termes précis et bien nets, et l a résolu avec une logique parfaite; il me paraît que, pour la plupart des auties, le silence eût été la plus grande éloquence. En somme, de quoi se plaignent les auteurs et les directeurs, que les répétitions générales étaient devenues
des premières représentations, et des premières représentations détestables par suite de l’invasion des parasites qui, ces soirs-là, transformaient les théâtres en « asiles de nuit » ainsi que je l’ai écrit moi-même; à ce point de vue, ils avaient raison, et je suis d’accord avec eux. Mais, entre nous, qui avait opéré cette transformation des répétitions de « travail » en véritables « gratuits » ? Ça n’est pas la critique, mais bien les auteurs et les direc
teurs qui, absolument maîtres chez eux, se sont laissés envahir par la camaraderie trouble et les épaves du boulevard. Or, ils étaient maîtres chez eux, ayant la liberté de faire ce qu’ils vou
laient, et voilà qu’en désespoir de cause, et faute d’avoir le courage de séparer l’ivraie du bon grain, ils ont éprouvé le besoin de se lier mutuellement les mains et d’aliéner leur droit absolu d inviter les utiles, et de proscrire les inutiles. Alors les critiques, se voyant fermer les portes des répétitions générales, ont protesté avec raison, disant : « Comment voulez-vous que nous puissions faire une besogne sérieuse, une analyse critique raisonnée entre l heure où finira la première représentation à laquelle vous nous avez conviés et celle où le besoin de mise en page de notre journal réclame notre copie? Nous aurions vingt minutes à peine, pour faire un travail qui demande plusieurs heures et le calme de la réflexion ? »
Aujourd’hui, on me paraît avoir réfléchi départ et d’autre, or comme dit le proverbe chinois: « la Prudence est la fille aînée de la Réflexion », je parie donc, qu’après avoir coupé les airs, avec de grands coups de sabre de bois, on en arrivera, en dernier ressort, à prendre le parti le plus sage, celui qui est de l intérêt de tous, faire, comme autrefois, les répétitions générales avec le public restreint nécessaire — le bon grain, sans l ivraie — c està-dire les professionnels, les critiques, les opérateurs de la mai
son, quelques amis de l’auteur et du directeur, soit au plus cent cinquante à deux cents personnes de la « boîte », ce qui sera suffisant pour que la pièce produise son effet, et cela sans l’ac
compagnement de la foule malveillante et dangereuse qui, depuis
quelques années, en était arrivée à transformer ces répétitions en « jeu de massacre ». Ce faisant on finira par où l’on aurait dû commencer. Il en est souvent ainsi, et lorsque dont Gorenflot, commandant l’exercice à ses moines, leur disait : « Trois pas en avant... six pas en arrière ! » il leur faisait la leçon des choses, leur enseignant ainsi qu’il est des cas où la réaction est un mal si nécessaire, qu’elle devient un bien véritable.
FÉLIX DUQUESNEL.