Lusine dramatique est maimenant en pleine ébullition, et on ne sait auquel entendre. Il y a partout activité fiévreuse. Au Vaudeville, ce fut d’abord Sa Maîtresse..., pièce en 4 actes, le début au théâtre de Henry Bauër, l’ancien critique de l Echo de Paris, début honorable, par une œuvre digne d’estime, une tentative qui n’est pas sans m4rite, et dont l’idée est prise au noir et au dra


matique, un peu celle de la Veine, d’Alf. Capus. On sent bien, toutefois, que l’auteur y a manqué d’expérience et de tour de


main; ses caractères sont à peine dessinés, les scènes manquent d’enchaînement et de préparation, les péripéties de l’action sont trop prévues, avec un dénouement pressenti à l’avance, mais il y a là, quand même, la conception d’un théâtre consciencieux, préoc
cupé d’humanité, agrémenté d’un dialogue très nourri, d’une
forme intéressante. Il serait même excellent, si l’auteur n’y témoignait d’un penchant trop prononcé pour la tirade et les lieux communs, se laissant aller aux digressions d’une philosophie
quintessenciée. Celles-ci, d’ailleurs, ne sont guère à leur place dans un drame intime qui, en réalité, et je l’en félicite, se réclame bien plus de la psychologie cordiale de la Maîtresse légitime ou de la Vie de Bohème, que des prétendons d’une thèse sociale.
Sa Maîtresse..., médiocrement défendue par les interprètes, au-dessous de leur tâche, n’a pas longtemps tenu l’affiche. Réjane, retour de son excursion dans l’Amérique du Sud, attendait dans la coulisse, impatiente de faire sa rentrée. Celle-ci s’est effectuée parlasérie de trois de ses meilleurs rôles joués, chacun, dix fois, pour laisser le temps de monter la pièce nouvelle due à la colla
boration de M. Guinon et de Madame J. Marni, qui passera vers la fin de ce mois.
La première « dizaine » du chapelet dramatique de Réjane a été consacrée à la Course an Flambeau, de M. Paul Hervieu, où elle a repris son rôle de Sabine Revel, plus en possession d’ellemême que jamais; à côté d’elle, Madame Daynes-Grassot, elle aussi, de retour de l’autre côté de l’eau, a reparu dans le rôle de Madame de Fontenais, où elle est incomparable, car ce fut absolument une de ses meilleures créations.— La seconde « dizaine »
fut donnée à Sapho, la comédie dramatique d’Alphonse Daudet et Ad. Belot, encore un des bons rôles de Réjane,qui, pour cette reprise, a eu la chance de trouver en Grand, le meilleur Jean
Gaussin qu’il y ait jamais eu, très supérieur, entre autres à feu Damala, qui a créé jadis le rôle au Gymnase. — Enfin, pour la troisième « dizaine », on a repris Madame Sans-Gêne,
l’amusante comédie pseudo-historique de Victorien Sardou et Emile Moreau. Celle-là a ses six cents représentations bien
comptées et, d’ailleurs, ne s’en porte pas plus mal, au contraire, car jamais elle n’a paru si fraîche et si jeune. Il faut dire que la distribution actuelle vaut largement l’ancienne, si même elle n’est pas supérieure. J’en excepte Chautard, qui n’a pas, dans le rôle de l’empereur Napoléon, l’autorité et l’habileté de Duquesne, qui en avait fait une curieuse création. Chautard, plus grêle, donne plutôt l’impression des petits Napoléon, en ivoire, comme
on les sculpte à Dieppe, au « Petit-Dunkerque », que du Napoléon de bronze de la colonne Vendôme. Cette remise au réper
toire de Madame Sans-Gêne a fait grand effet, et certainement la « dizaine » va s’allonger par la force du succès.
Après avoir essuyé les plâtres avec la reprise du Train de plaisir, le théâtre du Palais-Royal a joué les Dupont, un vaudeville entroisactes de M. Paul Gavault. C’est une pièce incomplète,
avecun premier acte très ingénieux et très amusant; un troisième très gai, de beaucoup de mouvement et d’entrain; mais un second acte déplaisant, d’une grivoiserie inutile et désagréable. Celui-là a failli tout gâter, et la pièce eût sombré si les deux actes extrêmes n’avaient joûé le rôle de vessies préservatrices, et tenu le vaudeville, au-dessus du niveau de l’eau. La donnée des Dupont est originale et renouvelle, sous une forme imprévue, l’ancienne pièce dite « à tiroirs». En voici le postulat : M. Lopin-Chevrette, membre, à l’ancienneté, de l’Académie des inscriptions et belleslettres, a tout ce qu’il faut pour être... comme dit Molière. Il l’est en effet. Et sa femme, l’aimable Lucy, est du dernier bien avec Maurice, un gaillard qui ne connaît pas d’obstacle. Pour pouvoir se rencontrer plus à l’aise, les amants ont inventé une certaine histoire, à laquelle ils cousent indéfiniment des cha
pitres nouveaux. Ils simulent l’existence à Mont-Chovet Puyde-Dôme) d’une Madame Dupont, amie très intime de Lucy, femme du docteur Dupont, chez lesquels, tous les ans, Madame Lopin-Chevrette va passer quelques semaines, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, maladie de son amie, à laquelle elle prodigue de tendres soins, ou bien accroissement de famille,


la fantastique Madame Dupont mettant au monde, tous les ans, ou à peu près, tantôt un poupon, tantôt une pouponne, et récla


mant la présence de Lucy, marraine toute désignée. Comme bien vous pensez, il n’y a pas plus de Dupont que sur la main. Mais un beau jour, voici que Lopin-Chevrette, désirant faire la connaissance de ces Dupont, qui font tant de politesses à sa femme, veut absolument partir lui-même pour Mont-Chovet 1 Puy-de-Dôme) : «Ah! tu veux des Dupont, s’écrie Maurice, qu on ne prend jamais au dépourvu; eh bien, tu les auras sans avoir besoin de les aller chercher! » Et vite il improvise un ménage Dupont, à l’usage du mari soupçonneux, au moyen d’une jeune grue qu’il a fort à propos tirée de l’eau où elle buvait le coup inutile, et de l ami d’icelle, un jeune magistrat, bon enfant. Mais voilà où l’action se complique : il y a à Mont-Chovet des Dupont, des vrais Dupont, — il y a à la foire, dit-on, plus d’un âne qui s’ap
pelle Martin, — lesquels viennent choir dans l’aventure, comme un caniche, dans un jeu de quilles. Lopin-Chevrette s’y perd, et Maurice l’égare si bien à travers tous ces Dupont imprévus, que le bonhomme y laisse sa raison, et qu’on lui fait accroire qu’il a des hallucinations, qui lui font voir des Dupont, partout. Maurice l’amène même à Néris pour le « traitement » — ceci
est le troisième acte d’un burlesque très réussi — et voilà qu’à Néris, par ce hasard plus fréquent dans le vaudeville que dans la vie réelle, se retrouvent tous les Dupont, les vrais,les faux, et d’autres encore, que fait éclore Maurice, grâce au concours d un