certain Galipard, comédien en tournée, qui, pour un cachet de quinze francs — prix d artiste, saison d’été — lui en fournit à volonté. Aussi, Lopin-Chevrette, qui commence à devenir fou pour tout de bon, n’a plus qu’un désir, une idée fixe, être à tout jamais débarrassé de cette obsession des Dupont, vrais ou faux... ce à quoi il fallait arriver — c. q. f. d., dirait-on en géométrie. — Cette bouffonnerie exubérante a été fort bien jouée par Francès, qui, en bon comique de comédie, a donné a Lopin-Chevrette une physionomie vivante, naïve et de fantaisie sincère, sans caricature inutile; et aussi par Galipaux, qui s’est imité lui même, en prêtant au m as-tu-vu, Galipard sa nature agitée et vibrante. Accordons aux autres la bienveillance du silence.
De son côté, le Théâtre-Antoine a fait affiche neuve avec trois pièces nouvelles, de qualité très différente : l’Enquête, mise à la scène d’un cas pathologique effrayant, bien combiné, pré
senté avec beaucoup d’art. L’auteur, qui signe Georges Henriot, est, m’a-t-on dit, un professionnel, le docteur Roger, qui joint un joli brin de plume, à sa lancette, et possède le tour de main de l’auteur dramatique. Ces deux actes rapides et impressionnants nous exposent le cas terrible d’un juge d’instruction qui instruit une affaire d’assassinat, dont on ignore l’auteur, et qui est amené à découvrir que l’assassin, qu’il cherche, n’est autre que lui-même,
qui a commis le crime dans une crise inconsciente de catalepsie. C’est terrible, mais intéressant au suprême degré, et doit être accroché en bonne place dans la galerie des « horreurs drama
tiques », à côté d Au Téléphone, dont l’Enquête renouvelle et dépasse même le succès. Antoine a trouvé une de ses meilleures créations dans le rôle du juge d instruction. Il y est, de tout point, remarquable. Quant à l’Aventure, c’est la pièce comique, qui amène, comme dans tout bon spectacle, le rire après la ter
reur, fantaisie très amusante de Max Maurey, qui n’en est pas à son coup d’essai, très bien jouée par Numès et par la blonde Miéris, qui lui donne gentiment la réplique. Enfin, la Reprise n’est qu’un marivaudage, en deux actes, histoire de replâtrage matrimonial, qui ne me paraît pas devoir tenir très solidement.
A signaler, pour continuer cette revue rapide des théâtres de genre et de comédie, la nouvelle pièce de l’Athénée,.le Cadre, quatre actes de Pierre Wolff, comédie intéressante, où ne man
quent ni l’observation, ni le talent, et dont le dialogue ferme, nerveux et verveux, se soutient de la première à la dernière scène. L’idée psychologique du drame est ingénieuse ; cette idée, c’est que le « cadre » donne au tableau un aspect particu
lier et que cet aspect change fatalement alors que change le « cadre », ou mieux, l’angle sous lequel on considère le tableau.
Ceci est assurément, de vérité philosophique, aussi vraie, plus vraie, peut-être, au moral, qu’au physique. Pierre Wolff a tiré bon parti de son postulat, encore que l’action dans laquelle il l’a « encadré » ne soit un peu ténue pour trois actes, et man
quant parfois de précision. Malgré les défauts, et surtout à cause des qualités, il y a là une œuvre de valeur réelle, et vrai
ment digne d’attirer l’attention de la critique. La pièce avait été
visiblement écrite en vue de Réjane, il est difficile de ne pas s’en apercevoir, et aussi de ne pas la regretter. Le rôle qui lui était donné est excellent, et on se figure ce qu’il aurait pu donner, interprété par elle.
Les Bouffes nous ont servi le mince régal d’une opérette, l’Armée des Vierges, une armée qui a pris rapidement la fuite, Miss Helyett, l’invincible et l’inévitable, ayant occupé à sa place, le champ de bataille du passage Choiseul. — Cluny a joué la Lune de Miel, un vaudeville amusant de Daniel Riche et Arthur Bernède, qui méritait fortune entière, et n’a eu que demi-for
tune. Dame, Cluny, c’est bien loin, bien loin ; c’était, autrefois, le cabaret où le grand public s’offrait, de temps à autre, le régal canaille du « haricot de mouton ». Je crains qu’aujourd’hui il n’aille de préférence le manger à Montmartre, et dans les musichalls, et peut-être faudra-t-il dire mélancoliquement: «Pauvre Cluny !! » comme Hamlet disait : « Poor Yorik!! »
Les théâtres de drame et de mise en scène n’ont pas déployé moins d’activité que les autres, et partout nous trouvons affiche neuve, avec des fortunes diverses. A l’Ambigu, c’est Amant de cœur, — assez mauvais titre, par parenthèse, — qui succède à l’Affaire de la rue Murillo. C est un drame épisodique bien fait et de contexture supérieure à ceux que, depuis des années, on nous sert au Boulevard du Crime. Je souhaite, sans oser l’espérer, qu Amant de cœur retrouve le succès de la Fille du Garde- Chasse, des mêmes auteurs, représentée, l’été dernier, au même théâtre. Il y a moins d’émotion dans le drame nouveau, que dans l’autre.
A la Pone-Saint-Martin, la Maison du Baigneur n’a pas fourni longue carrière. Le drame est pourtant intéressant et pittoresque, mais il est, je crois, d’une forme usée, et qui aurait besoin d’être rajeunie. Au drame pseudo-historique d’Auguste Maquet a succédé une pièce en cinq actes et six tableaux de M. Paul Anthelme, un pseudonyme quicache le nom de M. Paul Bourde, un ancien correspondant colonial du Temps, r,étiré aujourd’hui dans le fromage de Hollande de la perception de Maisons-Laffitte. Les Deux Consciences sont une œuvre de certaine valeur, avec de très belles scènes, voire un sujet assez dramatique, mais cela se gâte par des conférences politico-sociales et une tendance à la conférence doctrinale qui alourdissent le mouvement du drame, dont le secret de la con
fession constitue le ressort le plus important. L’œuvre est consciencieuse, assurément, trop peut-être pour plaire à la foule. Elle est interprétée avec un assez bon ensemble, sur lequel se détache Coquelin, original et vrai, dans le rôle du curé Piou ou Pioux — on a ajouté un x, sur la réclamation du député Piou, qui ne gagnera pas grand’chose à l’adjonction de cet x là. — Cette création est, selon moi, la meilleure, après celle de Cyrano, qu’il ait faite depuis qu’il est à la Porte-Saint-Martin. D’un bout de rôle de paysan, — il n’a qu’une scène, — Péricaud a fait une remarquable composition.
Au Châtelet, ce sont les Aventures du capitaine Corcoran qui ont succédé aux Cinq Sous de Lavarède; les deux se ressem
blent comme des jumeaux. Cependant Corcoran est agrémenté d’une brillante mise en scène, décors et costumes très réussis, et d’une distribution extraordinaire pour le Châtelet ; nous trouvons dans celle-ci l’aimable baryton Périer, devenu comé
dien, qui joue un... grime, avec beaucoup de talent, et qui est vraiment de comique distingué; Gémier, comédien pittoresque, qui dépasse le rôle qu’il joue; Pongaud, le Napoléon de la féerie, le Bonaparte plutôt; et un débutant, Jean Daragon, qui me paraît avoir conservé un brin de panache, au fond de son
cœur. La pièce du Châtelet est, en outre, agrémentée de deux ballets importants; le premier très original, ballet anglais, avec clownesses et combinaisons musicales curieuses, l’autre ballet de tradition, à paillettes et lumière électrique, je l’aime moins, malgré ses somptuosités un peu traditionnelles.
Les Aventures du capitaine Corcoran sont tirées d’un roman d’Alfred Assollant, qu’on fera bien de relire... Alfred Assollant, qui fut un écrivain de grand talent, fécond, trop fécond, peut-être, c’est sans doute pour cela qu’il est oublié aujourd’hui, « ayant, — comme l’écrivait si ingénieusement J.-J. Weiss, — défilé de la charpie, alors qu’il aurait pu tisser de la toile! »
Voilà laborieusement condensée, la revue de cette quinzaine pleine à éclater, c’est bien l’hiver qui commence, les théâtres s’empressent, il n’y a plus à rire, comme l’on dit, et je vois l’horizon prochain chargé de nouveautés. Encore, cette fois, négligeons-nous la pièce de l Odéon, Résurrection ! un grand drame tiré du roman célèbre du comte Tolstoï, qu’on a repré
senté tout dernièrement sur la rive gauche, avec grand succès. Pièce originale, de mœurs exotiques, d une grande humanité, qui confine à « l’illuminisme », très bien jouée par Dumény et par Mademoiselle Berthe Bady. Force nous est de remettre à la prochaine quinzaine pour vous en parler plus longuement.
De son côté, le Théâtre-Antoine a fait affiche neuve avec trois pièces nouvelles, de qualité très différente : l’Enquête, mise à la scène d’un cas pathologique effrayant, bien combiné, pré
senté avec beaucoup d’art. L’auteur, qui signe Georges Henriot, est, m’a-t-on dit, un professionnel, le docteur Roger, qui joint un joli brin de plume, à sa lancette, et possède le tour de main de l’auteur dramatique. Ces deux actes rapides et impressionnants nous exposent le cas terrible d’un juge d’instruction qui instruit une affaire d’assassinat, dont on ignore l’auteur, et qui est amené à découvrir que l’assassin, qu’il cherche, n’est autre que lui-même,
qui a commis le crime dans une crise inconsciente de catalepsie. C’est terrible, mais intéressant au suprême degré, et doit être accroché en bonne place dans la galerie des « horreurs drama
tiques », à côté d Au Téléphone, dont l’Enquête renouvelle et dépasse même le succès. Antoine a trouvé une de ses meilleures créations dans le rôle du juge d instruction. Il y est, de tout point, remarquable. Quant à l’Aventure, c’est la pièce comique, qui amène, comme dans tout bon spectacle, le rire après la ter
reur, fantaisie très amusante de Max Maurey, qui n’en est pas à son coup d’essai, très bien jouée par Numès et par la blonde Miéris, qui lui donne gentiment la réplique. Enfin, la Reprise n’est qu’un marivaudage, en deux actes, histoire de replâtrage matrimonial, qui ne me paraît pas devoir tenir très solidement.
A signaler, pour continuer cette revue rapide des théâtres de genre et de comédie, la nouvelle pièce de l’Athénée,.le Cadre, quatre actes de Pierre Wolff, comédie intéressante, où ne man
quent ni l’observation, ni le talent, et dont le dialogue ferme, nerveux et verveux, se soutient de la première à la dernière scène. L’idée psychologique du drame est ingénieuse ; cette idée, c’est que le « cadre » donne au tableau un aspect particu
lier et que cet aspect change fatalement alors que change le « cadre », ou mieux, l’angle sous lequel on considère le tableau.
Ceci est assurément, de vérité philosophique, aussi vraie, plus vraie, peut-être, au moral, qu’au physique. Pierre Wolff a tiré bon parti de son postulat, encore que l’action dans laquelle il l’a « encadré » ne soit un peu ténue pour trois actes, et man
quant parfois de précision. Malgré les défauts, et surtout à cause des qualités, il y a là une œuvre de valeur réelle, et vrai
ment digne d’attirer l’attention de la critique. La pièce avait été
visiblement écrite en vue de Réjane, il est difficile de ne pas s’en apercevoir, et aussi de ne pas la regretter. Le rôle qui lui était donné est excellent, et on se figure ce qu’il aurait pu donner, interprété par elle.
Les Bouffes nous ont servi le mince régal d’une opérette, l’Armée des Vierges, une armée qui a pris rapidement la fuite, Miss Helyett, l’invincible et l’inévitable, ayant occupé à sa place, le champ de bataille du passage Choiseul. — Cluny a joué la Lune de Miel, un vaudeville amusant de Daniel Riche et Arthur Bernède, qui méritait fortune entière, et n’a eu que demi-for
tune. Dame, Cluny, c’est bien loin, bien loin ; c’était, autrefois, le cabaret où le grand public s’offrait, de temps à autre, le régal canaille du « haricot de mouton ». Je crains qu’aujourd’hui il n’aille de préférence le manger à Montmartre, et dans les musichalls, et peut-être faudra-t-il dire mélancoliquement: «Pauvre Cluny !! » comme Hamlet disait : « Poor Yorik!! »
Les théâtres de drame et de mise en scène n’ont pas déployé moins d’activité que les autres, et partout nous trouvons affiche neuve, avec des fortunes diverses. A l’Ambigu, c’est Amant de cœur, — assez mauvais titre, par parenthèse, — qui succède à l’Affaire de la rue Murillo. C est un drame épisodique bien fait et de contexture supérieure à ceux que, depuis des années, on nous sert au Boulevard du Crime. Je souhaite, sans oser l’espérer, qu Amant de cœur retrouve le succès de la Fille du Garde- Chasse, des mêmes auteurs, représentée, l’été dernier, au même théâtre. Il y a moins d’émotion dans le drame nouveau, que dans l’autre.
A la Pone-Saint-Martin, la Maison du Baigneur n’a pas fourni longue carrière. Le drame est pourtant intéressant et pittoresque, mais il est, je crois, d’une forme usée, et qui aurait besoin d’être rajeunie. Au drame pseudo-historique d’Auguste Maquet a succédé une pièce en cinq actes et six tableaux de M. Paul Anthelme, un pseudonyme quicache le nom de M. Paul Bourde, un ancien correspondant colonial du Temps, r,étiré aujourd’hui dans le fromage de Hollande de la perception de Maisons-Laffitte. Les Deux Consciences sont une œuvre de certaine valeur, avec de très belles scènes, voire un sujet assez dramatique, mais cela se gâte par des conférences politico-sociales et une tendance à la conférence doctrinale qui alourdissent le mouvement du drame, dont le secret de la con
fession constitue le ressort le plus important. L’œuvre est consciencieuse, assurément, trop peut-être pour plaire à la foule. Elle est interprétée avec un assez bon ensemble, sur lequel se détache Coquelin, original et vrai, dans le rôle du curé Piou ou Pioux — on a ajouté un x, sur la réclamation du député Piou, qui ne gagnera pas grand’chose à l’adjonction de cet x là. — Cette création est, selon moi, la meilleure, après celle de Cyrano, qu’il ait faite depuis qu’il est à la Porte-Saint-Martin. D’un bout de rôle de paysan, — il n’a qu’une scène, — Péricaud a fait une remarquable composition.
Au Châtelet, ce sont les Aventures du capitaine Corcoran qui ont succédé aux Cinq Sous de Lavarède; les deux se ressem
blent comme des jumeaux. Cependant Corcoran est agrémenté d’une brillante mise en scène, décors et costumes très réussis, et d’une distribution extraordinaire pour le Châtelet ; nous trouvons dans celle-ci l’aimable baryton Périer, devenu comé
dien, qui joue un... grime, avec beaucoup de talent, et qui est vraiment de comique distingué; Gémier, comédien pittoresque, qui dépasse le rôle qu’il joue; Pongaud, le Napoléon de la féerie, le Bonaparte plutôt; et un débutant, Jean Daragon, qui me paraît avoir conservé un brin de panache, au fond de son
cœur. La pièce du Châtelet est, en outre, agrémentée de deux ballets importants; le premier très original, ballet anglais, avec clownesses et combinaisons musicales curieuses, l’autre ballet de tradition, à paillettes et lumière électrique, je l’aime moins, malgré ses somptuosités un peu traditionnelles.
Les Aventures du capitaine Corcoran sont tirées d’un roman d’Alfred Assollant, qu’on fera bien de relire... Alfred Assollant, qui fut un écrivain de grand talent, fécond, trop fécond, peut-être, c’est sans doute pour cela qu’il est oublié aujourd’hui, « ayant, — comme l’écrivait si ingénieusement J.-J. Weiss, — défilé de la charpie, alors qu’il aurait pu tisser de la toile! »
Voilà laborieusement condensée, la revue de cette quinzaine pleine à éclater, c’est bien l’hiver qui commence, les théâtres s’empressent, il n’y a plus à rire, comme l’on dit, et je vois l’horizon prochain chargé de nouveautés. Encore, cette fois, négligeons-nous la pièce de l Odéon, Résurrection ! un grand drame tiré du roman célèbre du comte Tolstoï, qu’on a repré
senté tout dernièrement sur la rive gauche, avec grand succès. Pièce originale, de mœurs exotiques, d une grande humanité, qui confine à « l’illuminisme », très bien jouée par Dumény et par Mademoiselle Berthe Bady. Force nous est de remettre à la prochaine quinzaine pour vous en parler plus longuement.