La Quinzaine Théâtrale


s’était chargé, sur la demande de celui-ci, de dénoncer la rupture et qui le garde, par occasion. Mais le garde si bien que, de ce côté, pas plus que de l’autre, il n’a une heure de liberté. Il n a fait que changer de « cage », le pauvre serin ! Alors, n’est-ce pas, « cage » pour « cage » mieux vaut encore la « cage » légitime que l’autre, conclut l’auteur, qui n’a pas tort, mais ne convaincra d’ailleurs personne. Cette petite comédie, assez ingénieuse, signée de M. Eugène Delard, qui est, si je ne me trompe, un des conservateurs du musée Galliéra, m’a paru suffisamment jouée avec, en vedette, une artiste élégante et de talent aimable, Mademoiselle Félyne, agréable à voir et à entendre.
De beaucoup plus d’importance et d’un mérite réel, est la comédie épisodique de M. Lucien Gleize, la Divine Émilie, qui nous présente, en action, une série de personnages pittoresques du xvIII-e siècle. La « divine Émilie » c’est la belle mar
quise du Châtelet, née Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil, la célèbre amie de Voltaire. Pendant près de vingt ans, elle
charma le philosophe, avec quelques échappées amoureuses et buissonnières, se frottant d’astronomie et de mathématiques contre Clairault, de poésie contre Saint-Lambert, au grand émoi
de Voltaire, qui eut des quintes de jalousie féroce, et aussi des résignations narquoises. C’est à Cirey, l’exquis château de Cirey, que se passe l’action. Voltaire, écœuré de l’ingratitude des foules qui, à son gré, ne lui témoignaient pas une admira
tion suffisante, s’y était retiré avec la belle marquise et son mari « cocu par vocation », dit un pamphlétaire, en tout cas, le plus indolent, le plus complaisant, le plus indifférent et le plus endormi des époux. Cette retraite de Cirey était un paradis terrestre, s’il faut en croire l’aimable marquise de Graffigny : « Il y a peu
de tapisseries, — écrit-elle, — mais beaucoup de lambris, dans lesquels sont encadrés des tableaux charmants, des glaces, des encoignures de laque admirables, des porcelaines, une pendule soutenue par des marabouts de forme singulière, des choses infinies, dans ce goût-là, chères, recherchées, et surtout d’une propreté à baiser le parquet, une cassette ouverte où il y a une vaisselle d’argent tout à fait admirable, tout ce que le superflu, « chose si nécessaire », a pu inventer, et quel argent ! quel travail!... Entre deux fenétres d’une galerie sont deux statues fort belles, sur des piédestaux de vernis des Indes : l’une est
Vénus Farnèse; l’autre, Hercule... » C’est tout un programme, et voilà un inventaire à donner des démangeaisons au marteau d’ivoire de M-e Chevallier. Tudieu ! quelles enchères pour la galerie Georges Petit! ! En ce château, vraiment digne du phi
losophe démocrate, par anticipation, que fut Voltaire, nous assistons à ses querelles, ses tendresses, ses brouilles et ses raccommodements avec la tendre amie. Voltaire y brise à coups de pied la porte de la chambre à coucher d’Emilie, parce que
L’OdÉon a fait sa fermeture annuelle avec quelques représentations de l’Artésienne agrémentée de la musique de Bizet, ce qui est de tradition,
et aussi par un spectacle coupé qui ne fut pas sans intérêt : trois pièces en deux actes, de valeur différente, composaient le menu, tout de détail intéressant, mais un peu mince peutêtre pour faire recette sur la grande scène de la rive gauche.
Le Démon du foyer, repris à l’occasion du centenaire de George Sand, est une œuvre assez médiocre, l’une des moindres de son répertoire. Elle eut jadis un certain succès, ainsi que déjà
nous eûmes occasion de le dire, grâce à une interprétation d’une perfection idéale dont on ne saurait retrouver l’équivalent aujour
d’hui. Elle s’est trouvée réduite à son mérite personnel, avec l’interprétation de qualité moyenne qu’on lui a donnée à l’Odéon, et l’on a pu constater que ce mérite était plutôt modeste. Cette petite aventure entre fantoches italiens d’une Italie toute de fantaisie est de peu d’intérêt et je ne crois pas que le public se pas
sionne sur la rivalité des deux sœurs, les cantatrices Camille et Flora Corsari, amoureuses, toutes deux, d’un certain marquis plutôt bizarre, avec enlèvement de Flora par un certain prince aux allures d’agent dramatique, compliquée de l’intervention inutile d’un certain maëstro de comique maussade. Il n’y a à recueillir, comme épave, en cette comédie, que la scène de pro
vocation du second acte, entre le marquis et le prince, qui a son cachet d’époque et une certaine crânerie de convention dont la forme rappelle celle des proverbes d’Alfred de Musset. Je crois,
en somme, le Démon du foyer destiné à rentrer au plus vite dans la retraite du volume.
La Cage est une sorte de vaudeville ou comédie de genre, si vous le préférez, non sans mérite, d’ailleurs, avec une situation assez comique, mais un peu sommairement traitée. En voici le sujet, sorte de succédané d Amoureuse. Georges Maurier est un mari trop aimé de sa femme, qui le fatigue de caresses, ne lui laissant pas un moment de répit et de liberté. Le mariage devient pour lui la « Cage », une cage étroitement fermée, dont il ne saurait s’échapper. Il donnerait tout au monde pour pou
voir s’envoler, chaque jour, pendant quelques heures, l’ennui naissant de l’uniformité, fût-ce celle du bonheur. C’est son ami Restissac, l’homme aux inventions géniales qui restent dans l’œuf sans aboutir jamais, qui lui en fournit les moyens, en lui proposant de collaborer à je ne sais quelle vague affaire indus
trielle, dont il sera l’administrateur, ce qui lui fournit prétexte à quelques absences quotidiennes, voire à un soi-disant voyage de quelques jours. Or, à quoi notre Georges consacre-t-il les loisirs de son escampative ? A une liaison imprévue avec une certaine Lucette Boulnois, la maîtresse de son ami Morisset, à laquelle il