LA QUINZAINE THÉATRALE


vertu, en remontreraient aux plus vertueux. Ils sont vraiment amusants, les deux compères, et de plus joués de façon pittoresque par des comiques pas ordinaires, Morton, d’un jeu flegma
tique en dedans, d’une grande sincérité et d’une facture originale ; Villa, au contraire, très en dehors, verveux et gavroche.
A citer à côté de ceux-ci, qui sont la gaieté du drame, Mesdames Armande Cassive et Harlay, qui en sont le charme. Elle est bien jolie Mademoiselle Harlay, fine, distinguée, toute jeune, avec des qualités rares, elle est engagée au Vaudeville, où elle sera bien à sa place, et aura certainement fortune rapide.
Ici se clôture l’année théâtrale 1903 - 1904. Les théâtres ne
reprendront leur cours régulier que vers le Ier octobre, nous n’aurons donc plus jusqu’à cette époque qu’à vous entretenir des
choses du passé, ou de celles, à côté, qui intéressent le mouvement dramatique. Nous vous parlerons, avant tout, comme nous le faisons chaque année, des concours du Conservatoire. Celui de tragédie-comédie, qui nous concerne le plus directement, est fixé au 27 de ce mois. Nous vous en donnerons le compte rendu détaillé.
Il convient de signaler dans ces tablettes, le passage par Paris, de Madame Marazzi-Diligenti, une comédienne italienne, dont on trouvera le portrait dans ce fascicule. Madame Marazzi-Dili
genti qui est la belle-sœur, je crois, de notre ami Novelli, a voulu se faire connaître des Parisiens et leur a fait une simple visite de politesse, mais visite vraiment trop rapide. Elle est venue à Paris pour y donner une seule et unique matinée, au théâtre du Gymnase, où elle a joué en italien et... en français. Car, elle possède notre langue, comme si elle l’avait parlée de naissance.
Madame Marazzi-Diligenti est une aimable et intéressante comédienne, qui dit avec beaucoup de finesse, et joue avec cette belle passion italienne, qui n’est pas le moindre mérite des comé
diens d’outre-monts. Mais vraiment nous la vîmes trop peu pour pouvoir donner, ici, autre chose qu’une impression fugitive, et nous serions heureux de la revoir, à notre aise, avant de porter un jugement plus complet et plus décisif.
En terminant celte quinzaine, nous avons la tristesse de signaler la mort de Marie Laurent, une grande artiste, qui, pendant plus d’un demi-siècle, représenta à la tête d’une phalange glo
rieuse, une double période de l’art dramatique, le romantisme et l’époque éclectique qui suivit. Ce fut une admirable comédienne,
et la dernière survivante de la pléiade qui comprenait Bocage, Frédérick Lemaître, Ligier, Geffroy, Beauvallet, Mélingue, Lacressonnière, Dumaine, Mesdames Georges, Marie Dorval, Guyon, Lucie Mabire et tant d’autres, que j’oublie. Le nombre de ses créations est infini, il en est d’inoubliables, telles : la mère Pailleux de la Poissarde, Jack Sheppard des Chevaliers du Brouillard — celle-là est légendaire — la Klytemnestra des
Erynnies, Marfa, dans Michel Strogoff, et en remontant plus encore dans le passé, Madeleine de François le Champi.
Par une coïncidence singulière, comme parfois le hasard en amène par son caprice, Marie Laurent est morte juste au moment où se célébrait le centenaire de George Sand, et c’est par un rôle que lui avait donné Madame Sand, qu’elle débuta à Paris, tout au moins qu’elle eut son premier succès, et qu’elle franchit ce pas décisif, qui vous fait sortir de l’ombre, pour conquérir
place au soleil. La comédienne illustre qu’elle était, se doublait d’une femme lettrée, spirituelle, de l’esprit le plus fin et le mieux équilibré; très bonne, d’une bonté qui allait au delà des siens, car c’est à elle qu’on doit la création généreuse de l’Orphelinat des
Arts, une institution de philanthropie utile, qui recueille et élève les filles des artistes pauvres. Elle était présidente de cette œuvre à laquelle elle s’était dévouée, et c’est surtout par elle que l’institution a vécu, fondation utile et familiale sur laquelle devrait s’étendre la sollicitude des pouvoirs publics.
FÉLIX DUQUESNEL.
ON tire les dernières fusées !
C’est: à la Comédie-Française, le Paon, trois actes, en vers, de Francis de Croisset, l’au
teur de Chérubin, cette pièce qui, moins favo
risée que les « peuples heureux », eut son histoire et ne vit pas la clarté de la rampe. J’ai ouï-dire qu’elle aurait sa revanche, trans
formée en opéra-comique, avec partition de Massenet — excusez du peu ! — et aussi un petit acte de Jacques Normand, On n’oublie pas..., l’auteur, qui d’ordinaire écrit en vers, a, cette fois, remisé la poésie, en faveur de la simple prose. — On a donné, également à la Comédie, une intéressante reprise de la Claudie, de George Sand, à l’occasion du centenaire du grand écrivain. Nous nous réservons de parler la prochaine fois, plus à fond, de cette reprise, une curiosité littéraire qui mérite mieux qu’un article « à la course ». — A l’Ambigu, les Cambrioleurs de Paris, un mélodrame très amusant, de Kéroul et Gardel-Hervé, fondu dans l’ancien moule du boulevard, avec l’inévitable ronde et le comique obligatoire. Ici, le succès a été très grand. — A la Gaîté, où l’on court du drame à l’opérette, et de l’opérette au drame, une reprise du Lycée de jeunes filles, aimable vaude
ville à couplets d’A. Bisson, créé jadis à Cluny, et qui méritait bien de passer l’eau.
Le Paon est un pastiche du genre « rococo », quelque chose de florianesque plus compliqué que le théâtre de Florian, trop com
pliqué peut-être, car on a du mal à s’y retrouver. Le mérite principal de la pièce c’est un dialogue pimpant, émaillé de jolis vers bien colorés, aux trouvailles ingénieuses, aux couplets exquis, troussés de main d’ouvrier. Le canevas est peu de chose, tout est dans la broderie chatoyante et délicate. L’aventure du baron de Boursoufle est d’intérêt médiocre. Ledit baron,
financier de son état, un peu lourdaud, mais ultra-vaniteux — d’où son surnom de « Paon » — a parié de se faire aimer « pour lui-même » de la gentille Annette qu’il transforme en Cydalise et qui fort aisément, d’instinct, devient la « femme à la
mode », si jolie, si séduisante, que notre balourd s’en éprend follement, pris au piège qu’il s’est tendu lui-même. Comme de son côté Annette aime pour de bon notre Boursoufle, qui l’a subjuguée avec des citations judicieusement empruntées aux bons auteurs, on s’épousera et il y aura un beau soir pour les violons. Cette union de la finance aristocratique et du tiers-rural fleure son parfum d Encyclopédie, on sent bien que nous sommes à la veille de 89. Les costumes et les décors nous le disent d’ailleurs, avec beaucoup de richesse et de goût, car la bluette a été magnifiquement encadrée. Molière a bien fait les choses. On
a même trouvé que, pour une cage si bien dorée, il n’y avait pas d’oiseaux trop harmonieux : Féraudy, Georges Berr, Mesdames
Marie Leconte et Cécile Sorel ont fourni le ramage; Mesdames Fava, Clary, Mitzy-Dalty n’ont eu à montrer que le plumage, ce qui est moindre.
On n’oublie pas... est une comédie de faits-divers et d’émotion bourgeoise, qui eût pu tourner en drame chez Antoine, et s’édul
core ici : Alice, contrariée dans son amour pour Marcel, menace de se suicider. L’étang est là prêt à la recevoir, mais tout s’arrange à souhait, les parents y mettant les pouces. Alice épousera Marcel, et l’étang ne servira que pour la chasse au canard sauvage. Tout est bien qui finit bien — c’est le cas pour cette
comédie qui fit verser des larmes agréables au public accommodant de la Comédie-Française.
Les Cambrioleurs de Paris nous racontent l’aventure un peu banale, pour avoir été souvent contée déjà, du père qui cherche sa fille perdue, depuis bien des années. C’est un postulat qui date tout simplement de Molière. D’Ennery crut l’avoir inventé, alors qu’il fait les frais de l’Etourdi, des Fourberies de Scapin, et de bien d’autres. C’est la situation « à toutes sauces ». Ici cette situation s’accompagne de deux types, qui la rajeunissent et l’égayent, les cambrioleurs Ver-de-Vase et Poil-de-Brique, qui, pour la