trable, lui répond à peine et repousse ses avances. Il y a un mystère, dans ce cœur fermé à toute tendresse, mais comment le pénétrer? Pendant la cérémonie des « dons », un incident vient jeter quelque lueur. Au nombre des invités se trouve un certain Denis Ronciat, paysan faraud, sorte de Don Juan de village, que le père Remy repousse, — alors qu’il vient apporter son pré
sent, — tout en prononçant je ne sais quelles paroles à demi intelligibles, et le secret se devine aisément, dans sa transparence. Denis a séduit autrefois Claudie, alors qu’elle n’avait pas vingt ans; il a abusé d’elle, et l’a rendue mère d’un fils qui est mort depuis. La Grand’Rose, très intriguée, confesse Denis Ronciat,
dont la confession n’est pas difficile, il avoue sa faute, qu’il considère comme une peccadille de galanterie rurale. Le secret de Claudie, qui, elle, ne demandait à Dieu que le silence et l’oubli, une fois dévoilé, la pauvre fille est en butte au mépris et aux injures du village. Elle va donc quitter honteusement la ferme, lorsque son grand-père lui pardonne, du haut de l’au
torité de ses quatre-vingts ans, sa faute inconsciente, et l’entraîne en la couvrant de sa protection. La Grand’Rose, plus généreuse, et d’un cœur plus élevé que celui de la foule, émue aux larmes, ramène le vieillard et sa fille. Puis peu à peu, par son éloquence persuasive, contraint Ronciat à avouer ses torts, et à offrir toute réparation, fût-ce le mariage. Claudie repousse ses offres avec mépris. Elle repousse de même Sylvain, qui l’aime et qu’elle aime aussi, parce qu’elle a juré « de se punir elle-même et de por
ter, seule, la peine de sa faute... », puis, peu à peu elle se laisse persuader et convaincre... Sylvain oubliera, pardonnera et épousera. Ce sera la réhabilitation.
Cette théorie de la « réhabilitation » qui fût, ainsi que nous le dimes, œuvre de hardiesse inouïe, à son origine, est fatalement entourée de précautions oratoires. Il y a, dans l’exécution, comme un manque de franchise et de l hésitation. L’appréhension de froisser trop vivement l’opinion publique se réalise, en phrases déclamatoires. Il en résulte un ralentissement qui fait languir le drame, en des redites. Quand même, il ne manque ni de puissance, ni d’intérêt. Il est humain, écrit en une forme délicate de coloration, et sa réelle sérénité philosophique confine la morale évangélique, en son admirable théorie du pardon des fautes, accordé au repentir.


Claudie est bien jouée à la Comédie. Mademoiselle Marie Leconte y est exquise de grâce émue, de simplicité modeste, avec des élans douloureux et vrais. Paul Mounet est un bel octogé


naire, aux notes humaines, sorte de Saint-Vallier rural. Georges Berr, Laugier, Dessonnes complètent le bon ensemble. Mesdames Delvair et Marie Kolb, sont de bon naturel dans leurs rôles de
paysannes, l’une c’est la mère attendrie, l’autre la coquette de village, généreuse et endiablée.
Sait-on que c’est, pour ainsi dire, au dénouement de Claudie, que George Sand dut son enterrement religieux. Le jour de sa mort, se posa le délicat problème de la forme des obsèques. Comment se feraient-elles? civiles ou religieuses? George Sand était déiste et croyante, assurément, mais toute sa vie elle repoussa
le culte extérieur, et refusa de mettre les pieds dans une église. Il est certain qu’en se conformant à la logique des choses, l’enter


rement devait être civil, si on n’eût craint un scandale terrible, qui pouvait tourner en violences. Maurice Sand tenait, quand


même, pour les obsèques civiles, alors que sa sœur Madame Solange-Clésinger les voulait religieuses. Celle-ci brusqua donc le dénouement en allant trouver l’évêque de Châteauroux, pour obtenir l’entrée de l’Église que n’osait accorder le curé du village, sans autorisation. Elle exposa le cas et plaida la cause.
Elle dit les dangers d’un enterrement civil, la crainte de troubles, l’émeute rurale qui n’eût pas manqué d’éclater. Puis elle exposa que sa mère, bien qu’elle se fût toujours refusée aux manifesta
tions extérieures, était croyante et déiste, et enfin lut les conclu
sions de Claudie, la prière du. Père Rémy : « Merci, mon Dieu, qui m’avez permis de ne pas mourir avant d’avoirdonné un bon soutien à ma fille... (YAngelus sonne) à genoux, mes enfants, mes amis à genoux, c’est Y Angelus qui sonne, c’est l’heure du repos, qu’il descende dans nos cœurs, le repos du bon Dieu, à la fin d’une journée d’épreuves où chacun de nous a réussi à faire son devoir ! Demain, cette cloche nous réveillera pour nous rappeler au travail, nous serons debout, avec une face joyeuse et une cons
cience épanouie, car le travail, çà n’est pas la punition de l’homme..., c’est sa récompense et sa force... c’est sa gloire et sa fête! » L’évêque écouta en silence, et répondit : « Il est certain que la morte avait un grand cœur, qu’elle était charitable et géné


reuse, que, pendant sa vie, elle a fait le bien autour d’elle, que


-jamais les misérables ne l’ont implorée en vain, qu’elle les a toujours secourus et consolés. Il y a beaucoup pour elle, dans le plateau du bien, alors que la bonté de Dieu est inépuisable, sa miséricorde infinie! » Les obsèques furent donc religieuses,
et s’accomplirent, le 10 juin 1876, par une pluie battante, avec un grand concours de monde. Paul Meurice lut l’oraison funèbre, écrite par Victor Hugo, devant une armée de parapluies, sur lesquels cascadaient de larges gouttes.
Signalons, en terminant, un fait intéressant de décentralisation théàtràle, la fête donnée à Arras, à l’occassion de l’exposi
tion de cette ville, par la Société amicale, les Enfants du Nord, (la Beterave) et les Rosati d’Arras. La création de cette dernière société remonte à 1778. Les Rosati ont compté dans leurs rangs, des personnages célèbres, à divers titres, entre autres Lazare Carnot, et... Maximilien Robespierre. C’est par une représentation théâ
trale que s’est terminée la journée, celle-ci très curieuse, parce
qu’elle était composée de pièces inédites, entre autres la Fête des Roses signée Emile Blémont et Jules Truffier, comédie historique qui met en scène Carnot, Robespierre, Fouché, en retra
çant ingénieusement une phase d’histoire locale, et les Vacances d’Antoinette, une charmante comédie d’Ed. Noël, très vivante et très réussie, excellemment jouée par Mademoiselle Dussane exquise dans le rôle d’Antoinette, et ses camarades de la Comé
die-Française, Henry Mayer, André Brunot, Mesdames Persoons et Géniat. Nous retrouverons, cet hiver, les Vacances d’Antoi
nette, au Gymnase. La fine comédie eut été bien à sa place, au Théâtre-Français. Mais il y a des « obstacles d’Etat », tout comme il y a des « grâces d’Etat », l’auteur est « lecteur r chez Molière. Il est trop de la maison, pour y prendre la place des autres.
Wilson Barret, qu’on appelait le « Roi du mélodrame » vient de mourir subitement à Londres. Pendant trente ans, il avait tenu le sceptre dramatique en Angleterre, en Amérique et en Australie, et avait fait une fortune considérable, en syndiquant
quelques-unes des œuvres les plus populaires du théâtre anglais contemporain. C’était un comédien médiocre, un manager habile, et un très brave homme d’une générosité intarissable.
Une rectification qu’on me demande et que je fais bien volontiers : il paraît que Madame Marazzi-Diligenti, que j’ai qualifiée d’italienne, est née en Hollande. Il se peut... j’en suis fort aise, et, de confiance, j’en veux bien croire notre correspondant. Mais, entre nous, qui aurait pu se douter qu’une comédienne, qui porte un nom italien, joue en langue italienne, et « à la manière des italiens »; est une hollandaise? En pareil cas on prévient les gens, parce que vraiment ça ne se devine pas ! !
FÉLIX DUQUESNEL.