produisait tant et plus : des morceaux de salon, romances ou danses, coulaient abondamment de sa plume; il n’est pas jus
qu’à une messe qu’il n’ait osé composer alors et qui fut exécutée à Alger, à l’occasion de l’arrivée du duc d’Aumale. A quoi donc aurait-il servi de le retenir plus longtemps là-bas?
Dès qu’il était arrivé dans la capitale, après la révolution
de 1848, le jeune Reyer avait trouvé un guide sérieux, une conseillère excellente en la personne de sa tante, la célèbre pianiste, Madame Louise Farrenc, dont les compositions de musique de chambre avaient une sérieuse valeur, étaient écrites dans un style éminemment classique. Et tandis qu’il trouvait ainsi, dans sa famille même, une aide précieuse, le jeune Reyer ne fut pas
long à se lier de solide amitié avec Méry, un autre enfant de la Cannebière, et pat celui-ci, avec Théophile Gautier, Louis de Cormenin, Gustave Flaubert, Maximt Du Camp, etc. Il se répandait vite dans le monde des artistes et des peintres, je ne voudrais pas dire de la bohème, où sa gaieté et son esprit à l’emporte-pièce et ses joyeuses farces le faisaient rechercher comme un boute-en-train sans rival. E1 c’est ainsi que ce jeune musicien, très aimé, très estimé des littérateurs, surtout des littérateurs qui avaient, comme lui, les yeux tournés vers l’Orient, trouva à sa disposition, quand il voulut com
poser, et le poème du Sélam, rimé par Théophile Gautier, et le livret de Maître Wolfram, signé de Méry seul, alors que huit ou dix auteurs y avaient travaillé, et le scénario de Sacountala, tracé par Théophile Gautier; c’est ainsi que, de fil en aiguille, il était arrivé à faire repré
senter, par un coup d’audace, et en lançant un huissier sur le directeur du Théâtre- Lyrique, son importante partition de la Statue.
Cet opéra, dans le fait, était tellement en avance sur l’époque où il vit le jour, — ce fut, pour donner une date précise, le 11 avril 1861, — qu’aujourd’hui même, et si l’on fait abstraction de la subdivision de certains morceauxde chanten strophes ou couplets (formeusitée aussi dans Faust et qui n’a nullement nui au succès de cet ouvrage), il ne se trouve absolument rien dans cette Statue, ni cadences banales, ni vocalises intempestives, ni valses inop
portunes, ni grands chœurs d’orphéons, dont on souhaiterait le retranchement
comme étant choses vieillies et devenues insupportables pourl’oreille. Et c’est vrai
ment prodigieux qu’un musicien qui avait fait montre d’une telle personnalité, d’une telle audace pour marcher en avant, en ait été réduit, durant plus de vingtlongues années,à marquer le pas pendant que ses confrères trouvaient libre accès dans les théâtres ; qu’il n’ait eu d autre encou
ragement, pendant ce long laps de temps, que de faire représenter son petit opéra d Érostrate à Bade avec succès, puis à Paris, avec un insuccès mémorable, et d’être, enfin, reçu comme par grâce à l’Académie des Beaux-Arts, faute d’un Massé ou d’un Bazin qu’on lui pût encore préférer.
Mais il faut dire aussi que l’auteur de la Statue opposait à l’indifférence ou aux dédains des directeurs de théâtre une philosophie légèrement gouailleuse, et que, s’il laissait parfois échapper de sa
Cliché du Guy.
sÉlim (M. Affre)
ACADÉMIE NATIONALE DE MUSIQUE. — LA STATUE