M. HENRI LAVEDAN
les a, sinon au théâtre, du moins dans la vie, et, grâce à des procédés de télépathie sans fils qui nous sont propres, nous avons aujourd’hui la joie de pouvoir vous offrir la synthèse de l’acte ignoré, latent, inéluctable, de la belle œuvre de M. Paul Hervieu.
ACTE III
Un an s’est passe depuis le jour où le jeune Vivarce, surpris au seuil du gynécée par les rudes frères de Gourgiran, s’est enfui sans révéler à ces hommes de fer laquelle de leurs deux épouses n’avait pas été de bois.
Sur la foi d’un coup de fusil tiré dans la coulisse, l’époux trahi et le beau-frère trompé se sont crus vengés de l’infâme séducteur. Ils n’ont pas songé qu’un pneu qui éclate sur une route imite à s’y méprendre la détonation d une arme à feu et que la rosserie des amants modernes est insondable.
Ce sont choses auxquelles on n’a pas le temps de penser dans l’émotion d’une tragédie intime et dans le désarroi d’une chute de rideau. Ajoutez que l’impos


sibilité de quitter la scène au moment du dénouement empê




cha les Gourgiran d aller recher


cher le corps de Vivarce. Tout concourut donc à les tromper.
Car Vivarce n’était pas mort. Après s’être enfui au fond des forêts, il secoua, sur les limites du parc, le vernis de ses escar
pins et fit le grand serment de renoncer aux femmes du monde.
Revenu à Paris par le premier train, il se précipita chez une petite cocotte pleine de bonne volonté et passa avec elle une
heure délicieuse qui dura six mois.
Mais un jour, en arrivant chez sa petite amie, Vivarce la trouva les cheveux défaits, le peignoir fripé, les yeux ardents. Le désordre de son
âme et de son canapé était patent.
Il comprit tout. Il n’embrassa pas sa
petite amie ; il embrassa l’appartement d’un coup d’œil. Sur le piano, seize reflets frappèrent ses regards. Deux chapeaux s’y faisaient pendant. Au même moment, deux placards claquè
rent. Vivarce y courut ; fiévreux, il ouvrit les portes, et, sou
riants, cyniques, satisfaits, bien vengés, les deux frères de Gourgiran lui apparurent.
« Lequel? » s’écria-t-il. —
« Énigme! » répondirent d’une seule voix les deux Gourgiran. Et ils sortirent froidement. Une fois dans l’escalier, par un sen
timent de convenance et de symétrie, ils imitèrent, avec les
lèvres, le bruit de deux tout petits coups de fusil. On ne les a plus revus.
Mais ces âmes robustes et naïves avaient tort de se croire si bien vengées que ça. La vérité est que Vivarce commençait à avoir absolument soupé de sa petite amie, qu’il était sur le point de la lâcher, et que l’incident que nous venons de narrer rabibocha les choses, et lui rendit pour elle une ardeur toute nouvelle. Ce qui est parfaitement humain.
Voici M. Henri Lavedan, père de l’incomparable Priola triomphal et triomphant — beaucoup de sourire dans un peu de barbe, — Cadet, coquelinant de la tête ; M. Le Bargy, jeune premier inimitable et inimité, fleuri de gardénia, redingoté de
clair.
Voici Mademoiselle Brandès, balançant entre le Passé et l’Avenir, entre un Mayer mélanco
lique et un Duflos dédaigneux, entre la Comédie-Française et la Renaissance. Qu’importe le théâtre pourvu qu’on ait l’artiste ?
Et maintenant, chapeau bas! (Trois roulements de tambour.1 Voici MadameSarah Bernhardt.
Que vous dire de notre grande Sarah ? Personne ne peut la séparer des personnages qu’elle a successivement incar
nés ; elle est un peu pour nous Phèdre, Cléopâtre, Théodora, l’Aiglon; elle est aussi la Dame aux Camélias et la Samaritaine; elle est encore Lorenzaccio et Werther. Il semblerait donc qu’étant un peu chacun de ces êtres qu’elle représenta quel
ques jours à nos yeux, elle leur ait fait le sacrifice de sa person
nalité et qu’elle ait consenti, par dévouement inconscient, à « ne
pas être », pour leur accorder une vie plus intense. Mais voilà que le mystère agit, que le mi
racle s’opère et que, de ce sacrifice sans cesse renouvelé, Madame Sarah Bernhardt sort chaque fois plus complètement, plus merveilleusement, plus
divinement ellemême. — Là où sa personnalité devait disparaître, Mesdames et Messieurs, elle se par
fait se fortifie, s’affirme. —
Chaque création nouvelle est pour elle comme une mater


nité; l’être qu’elle a incarné, une fois qu’elle s’en détache, est si