Cette fois, notre quinzaine coutumière suspendue, pendant deux numéros (le premier et le deuxième d’avril), devient le compte rendu du travail des théâtres parisiens, pendant plus d’un mois. Nous avons donc à parler de bien
des choses pour nous mettre au pair. Nous allons nous efforcer de mettre de l’ordre dans cette revue fatalement rapide, ce qui n’a, d’ailleurs, aucun inconvénient, puisque le journal le Théâtre a l’habitude de donner le compte rendu détaillé des pièces importantes. Nous commencerons par liquider les « reprises ». Elles sont toujours nombreuses, en cette période de l’année, c’est-à-dire dans les quelques semaines qui précèdent la clôture annuelle. Le temps manquant pour monter des nouveautés, ce dont les auteurs ne se soucient guère à cause du peu d’horizon qui leur reste, les directeurs se réfugient dans les reprises, la ressource en cas de famine.
Au Châtelet et à la Porte-Saint-Martin, deux vieux drames du répertoire de l’ancien Boulevard du Crime ont repris l’affiche. Sur la première de ces deux scènes, c’est les Pirates de la
Savane, un mélo très mouvementé, qui date de 1859, et est encore intéressant, bien qu’il y ait quelques rhumatismes dans le dialogue. On se souvient que son attrait principal est l’exhibition d’un Mazeppa femelle qu’un cheval, soi-disant sauvage, emporte dans le cintre. Bien que ce spectacle ait perdu de son attrait pour des gens qui peuvent s’offrir celui de la « Boucle » où un bicycliste pédale tête en bas, pieds en l’air, on a semblé prendre encore plaisir à voir le coursier faire son ascension, au petit galop de chasse, car il ne faut pas espérer de course folle. — A la Porte-Saint-Martin, c’est la Bouquetière des Innocents qui vient nous confirmer la complicité de Concini dans l’assassinat de Henri IV. On nous l’avait dénoncée déjà dans la Maison du Baigneur et nous hésitions à y croire; après la Bouquetière, nous ne pouvons conserver aucun doute, et nous devons acclamer, avec la salle, le vieux Vitry qui expédie d’un coup de pistolet le traître maréchal d’Ancre, sur Je grand escalier du Louvre.
Il semble que tous les genres aient à cœur d’être représentés dans la série des reprises. Nous venons de voir le drame, voyons maintenant la comédie. Au Théâtre-Français, il nous faut signaler la reprise d il ne faut jurer de rien..., un des plus exquis proverbes d’Alfred de Musset, écrit dans une forme aiguisée et délicate qui, vieille déjà de trois quarts de siècle, ne s’est pas entamée et semble née d’hier. Avec quel plaisir on les a revus ces personnages dessinés à bout de crayon, àcommencer par l’étonnante silhouette du bon abbé, si naïf en sa crédulité, qui ne sait rien de la vie, et celle de la baronne, cette aimable baronne d’une si belle étourderie, dont la préoccupation princi
pale paraît être de courir après son peloton de fil. La pièce habillée en « Gavarni » de 1840, a été très bien jouée par Le Bargy, charmant de jeunesse et de belle humeur dans Valen
tin; Féraudy, de joyeuse cuistrerie, dans le bon abbé; Laugier,
l’oncle Van Buck; et Madame Blanche Pierson, l’écervelée baronne. Le joli rôle de Cécile a servi de début à Mademoiselle
Yvonne Garrick, une gentille ingénue, à la fois souriante et réfléchie, à qui sied à ravir la robe courte, qui découvre les souliers à cothurne, la coque de cheveux en huit et la raie de
côté. A signaler, au même théâtre, 1807, d’Ad. Aderer et Ephraïm, qui vient du Gymnase. Petit acte pimpant qui a retrouvé ici le succès qu’il avait eu là-bas. On dirait un tableau de genre peint par le baron Gérard.
A la Renaissance, où il fallait remplacer au plus vite Clarisse Arbois qui n’avait guère réussi, on a repris la Princesse Georges pour faire spectacle avec Crainquebille. La reprise a cté excel
lente, grâce à Marthe Brandès faite exprès pour le rôle si difficile de Séverine — la princesse — qui s’accommode si bien à son tempérament dramatique. L’épreuve était périlleuse, la comédienne s’en est tirée à son honneur. Depuis la créatrice Desclée, le rôle n’a jamais été aussi bien tenu. A côté d’elle, il fant citer Guitry, habile dans le personnage scabreux du prince de Birac, dont il escamote les dangers haut la main, et Made
moiselle Berthe Cerny, élégante, effrontée et jolie à ravir, dans la robe de tulle de soie noir de la tradition, avec Je bouquet de roses de nuances variées. Noizeux, dans le rôle du domestique Victor, s’est taillé son succès personnel.
Aux Folies-Dramatiques, on a repris l Hàtel du Libreéchange, un chef-d’œuvre, dans le genre burlesque, très bien
joué, par une troupe modeste, mais pleine d’entrain. Enfin, la Gaîté, avec sa direction nouvelle, a payé tribut à l’opérette par la reprise de Girojlé-Girojla de Ch. Lecocq,qui n’a pas éié joué depuis tantôt une vingtaine d’années — ce tut, on s’en souvient, le rôle de début de Jeanne Granier — la pièce a paru de maigre encolure sur la grande scène; la partition, elle-même, si char
mante soit-elle, est un peu mince, c’est vraiment une œuvre de petit cadre. Je crois, d’ailleurs, qu’on n’y comptait qu’à demi, il s’agissait de doubler le cap avant de prendre la pleine mer. C’est seulement vers le mois d octobreque les frères Isola feront bateau neuf.
Parlons maintenant des nouveautés : elles sont nombreuses, deux d’entre elles sont importantes. C’est d’abord, au théâtre des Bouffes-Parisiens, Miss Chipp, conte fantastique en quatre actes et cinq tableaux de MM. Michel Carré et André de Lorde, comédie bizarre où le magnétisme et l’hypnotisme jouent le rôle le plus important, simple prétexte à « frégolisme » pour la gen
tille Charlotte Wiehe, l’artiste danoise qui s’acclimate chez nous. Celle-ci, tour à tour, fillette sautant à la corde, jeune Anglaise, institutrice, poupée de Noël, pickpocket inconsciente, bara
gouine finement, joue adroitement, danse avec grâce et avec souplesse; le comédien Hirch, consciencieux et chercheur, lui donne curieusement la réplique.
Voici maintenant à l’Ambigu, le Roman de François, un mélodrame épisodique, pièce à époques, bien faite, sous la signature de M. Louis Leloir, le sociétaire de la Comédie- Française. Le Roman de François aurait mérité d avoir meilleure fortune que la maigre série d’une vingtaine de représen
tations. Le mélodrame était intéressant, suffisamment bien joué, précédé d’un prologue émouvant, daté de la veille du combat du Bourget, agrémenté de deux tableaux à effet : une soirée à Saint


La Quinzaine Théâtrale