Mademoiselle Jeanne Rolly


l’auteur elle s’efforcera d’en mettre en valeur les nuances psychologiques les plus ténues. Entre beaucoup d’autres, en effet, Jeanne Rolly a cette forte qualité de ne vouloir rien laisser au hasard, et d’exiger d’elle-même qu’elle possède complètement un rôle,
qu’elle en ait pénétré l’intimité et reconnu « les dessous » avant d’en risquer une interprétation. Elle utilise dans ce travail dif
ficile les plus heureux dons d’intelligence. Elle sait voir, elle sait observer, elle sait retenir et elle sait aussi choisir ce qui pourra utilement entrer dans la composition d’un rôle et ce qui en devra être écarté. Elle est guidée dans ce choix par un instinct d’une admirable sûreté. Jeanne Rolly a, en effet, à un degré exception
nel, le don précieux du goût. Elle ne manque jamais de mesure; tout ce qu’elle fait est présenté avec un tact parfait; elle n’a jamais un geste déplacé, ni une intonation choquante, ni une passade injustifiée, ni un sourire inopportun, ni une attitude
disgracieuse; elle est merveilleuse de grâce sûre, de charme harmonieux, d’accord avec soi-même et avec ce qui l’entoure, la pare et la complète. Les délicats doivent lui savoir un gré infini d’être une des rares comédiennes de ce temps qui, dans le milieu criard, excessif et impudent du théâtre, aient su mainte
nir la tradition de ces belles qualités classiques de mesure, de tact, de sobriété et de finesse, hors desquelles il ne se crée rien que de passager.


***


Jeanne Rolly est née à Paris. On l’aurait deviné. Sa famille, d’un monde tout à fait en dehors du théâtre, ne vit pas sans in


quiétude les premiers symptômes de sa vocation naissante.


Dès l’âge de dix ans, elle dérobait à la bibliothèque paternelle les Châtiments, de Victor Hugo, et en apprenait par cœur les poèmes les plus saisissants. Exaltée par les admirables vers du poète justicier, elle récitait à tout venant Pauline Roland et l’Enfant avait reçu deux balles dans la tête. Elle n’aimait alors que les pièces dramatiques et sombres, qu’elle interprétait avec un genre très sûr du pathétique.
Un jour—elle avait alors quinze ans — son père crut devoir consulter au sujet de sa vocation un de ses amis, le chanteur Lepers, qui était alors aux Folies-Dramatiques. Lepers avait chez lui, rue de Bondy, une petite scène; on décida que Jeanne Rolly lui donnerait une audition. Ce fut un grand événement; pour la première fois, elle allait monter sur des planches. Elle y déclama ses poèmes de prédilection. La partie était gagnée : Madame Lepers pleurait à chaudes larmes. Lepers, très ému
lui-même, assura à sa famille qu’elle avait lts plus belles dispositions du monde et qu’il fallait sans retard la confier à un
L
a première fois que l’on vit Jeanne Rolly sur une grande scène parisienne, on lui fit fête. C’était au Gymnase, dans la Bourse ou la Vie. Elle était inconnue la veille ; elle fut célèbre le lendemain. Elle venait pour son début de réaliser une création délicate et fine. On lui en eut une reconnaissance charmée.
Mais ce dont surtout on lui savait gré, c’était de donner de grandes espérances. Une comédienne venait de se révé
ler, non pas la femme d’un emploi, ingénue, petite ou
grande coquette, mais une comédienne capable d’inter
préter les rôles si complexes de la comédie de genre, telle que l’ont comprise les auteurs les plus récents, comédie qui pourrait s’appeler de genres et même de ppus les genres, car elle passe presque sans transition de la blague à la passion, de la satire à l’étude decaractère et mêle, avec une singulière virtuosité, l’émo
tion et l’ironie. On conçoit qu’une telle forme de comé
die exige de ses interprètes une variété de dons qu’il est exceptionnel de rencontrer réunis. Ils l’étaient en Jeanne Rolly; c’est ce que l’on comprit le premier soir ; aussi salua-t-on comme une véritable bonne fortune l’ap
parition sur les planches parisiennes de cette grande jeune femme souple, élégante et de si jolie allure, que vient de consa
crer définitivement l Indiscret, la spirituelle, incisive et forte comédie d’Edmond Sée, que le Théâtre Antoine a représentée avec le plus vif succès, ce printemps.
Désormais Jeanne Rolly est parmi les cinq ou six comédiennes de premier plan, avec lesquelles on doit compter et sur lesquelles on peut compter. Prochainement, elle s’essaiera dans le rôle périlleuxde la Parisienne, et nous sommes certain qu’elle y sera des plus remarquables. Car nous savons à l’avance quel soin minutieux et réfléchi elle apportera à la composition de son rôle, et avec quel souci de respecter la pensée et les intentions de
Cliche Henri Viart.
JEANNE ROLLY A DEUX ANS
Cliché du professeur Slebbing
Rôle de Rosine Bernier. — LA BASCULE