Si notre journal Le Théâtre avait rigoureusement suivi l’actualité, il en eût résulté que, faute de place, nous n’aurions pu donner que les comptes rendus écourtés de certaines pièces qui méritaient une place plus large et une étude plus approfondie, dans notre revue. Nous indiquons à leur heure, très fidèlement, dans cette chronique de quinzaine, les pièces qui passent sous nos yeux, et cela, « pour ordre », comme l’on dit, mais nous nous réservons, pour certaines d’entre elles d’y revenir, pour en par
ler plus tard, alors que sonne l’heure du loisir, avec moins d’opportunité, peut-être, mais avec beaucoup plus d’ampleur.
C’est cette sorte de revue rétrospective de l’année théâtrale, en certaines de ses œuvres importantes, réservées avec intention, que Le Théâtre commence aujourd’hui, par la Francesca da Rimini, représentée il ya quelques mois, au théâtre Sarah-Bernhardt. Nous avons déjà dit quelques mots à son heure. Aujourd’hui nous en reprenons l’analyse critique, accompagnement nécessaire de l’intéressant et pittoresque détail des costumes et de la mise en scène.
La Francesca da Rimini de M. Marion Crawford comprend quatre actes précédés d’un pro
logue. C’est en i 2y5, c’est-à-dire quatorze ans avant l’action du drame, que s’accomplit le pro
logue, très intense et d’une claire exécution. L’exposition est faite dansunesalle basseprécédant la chambre nuptiale, par des fem
mes duPalais, qui tout en pliant des étoffes et devisant, nous ap
prennent par leurs propos, que Francesca, fille de Guido, le vieux seigneur de Ravenne, vient d’épouser Giovanni Malatesta, seigneur de Rimini. Les deux podestats étaient en guerre ; la paix fût traitée, grâce au mariage. Or, ce ma
riage, il s’est accompli dans des conditions singulières : Gio
vanni est hideux, c’est une sorte de monstre contrefait au pied bot (Jean le Stropiat comme on l’appelle). Si Francesca le voit, elle reculera avec horreur, l u­
nion sera rompue, ce sera peut-être la guerre ! Aussi elle ne le verra pas ; on invente donc je ne sais quel prétexte pour célébrer le mariage par procu
ration, et c’est Paolo, frère de Giovanni, un chevalier ac
compli, qui se substituera à son frère pour la cérémonie. Celleci rituellementaccomplie,Paolo fait à la porte de la chambre nup
Cliché Boyer.
M. MARCEL SCHWOB
Traducteur do Francesca da Rimini
tiale ses adieux à Francesca tout émue, laquelle sent son cœur pris par ce beau cavalier,dont la voix est tremblante. Puis,Paolo s’étant éloigné, les femmes saluent la mariée et se retirent à leur tour, a près a voir éteint les cires, ainsi que faisaient les suivantes de Psyché, alors que l’Amour venait en visite nocturne. Hélas ! ce n’est pasl’Amour qui vient,c’est Giovanni, le monstre, Jean le Stropiat, qui n’apasosé affronter le premier regard de Francesca pen
dant l’éclat du jour. Quatorze ans s’écoulententre cette effroyable nuit de noces et le premier acte du drame. Nous retrouvons Gio
vanni plus épris que jamais de Francesca, qui le déteste et le repousse, et la vie est un enfer pour le misérable, malgré les sou
riresangéliqueset l’affection tendrede sa fille Concordia,une douce enfant de quatorze ans. Paolo qui s’était juré de fuir sa belle-sœur n’a pas tenu son serment, il est resté et l’amour les a repris tous deux, l’amour sans pitié, celui à qui on ne résiste guère. Giovanni
n’a que des soupçons vagues, sa jalousie ne se formule pas encore, ce qu’il sait surtout, c’est la haine qu’il inspire à Francesca, cette haine que, de sa voix méprisante, elle lui crache au visage. Dans son désespoir, Giovanni va jusqu’à lever sa dague sur l’épouse affolée, se demandant si mieux ne vaudrait mourir tous deux,
que vivre ainsi.
Cependant on a vu errer autour du palais une femme dé
mente qui, cachantson visage, poussait des imprécations comre« Paolo Malatesta, lâche ! traitre ! et félon! ». Et comme Paolo vient annoncer à Fran
cesca qu’il doit partir pour Florence, où il vient d être élu capitaine du peuple, celle-ci
conclut qu il l’a trompée avec la femme mystérieuse, et qu’il cherche à fuir. Le propos tenu par Francesca est rapporté à Giovanni dont la jalousie com
mence à comprendre. Cette femme arrêtée, il l’interrogera, il saura par elle... mais on lui apprend que celle-ci s’est étranglée dans sa prison. Il fait apporter le cadavre, le dé
couvre, et se tournant vers Paolo, lui dit : « Paolo Malatesta, fais enterrer ta femme, et pars bien vite pour Flo
rence !... » car il a reconnu, dans le cadavre, la femme de son frère Paolo, abandonnée depuis des années par celui-ci, pour suivre Francesca.
Au troisième acte, Giovanni a appris, par un espion, que Paoio a quitté Florence. Il doit être revenu secrètement à Verucchio, se dit-il, et il est