Cette quinzaine théâtrale verra le 106e concours du Conservatoire de Musique et de Déclama
tion. Le premier concours date, en effet, du mois de juillet 1797, bien que la création réelle du Conservatoire remonte à deux ans plus haut, 3 août 1795 ( 16 thermidor, an III), où la Convention, par décret, décida « l’établissement d’un Conservatoire de musique à Paris, pour l’enseigne
ment de cet art. » Ce décret avait été rendu sur le rapport de Marie-Joseph Chénier qui, entre autres, s’exprimait ainsi dans cette forme toujours un peu pompeuse, qui était celle de l’époque ; « Il sera glorieux pour nous, Représentants, de prouver à l’Eu
rope étonnée, qu’au milieu d une guerre immense, qui n’a été pour la République, qu’une suite non interrompue de triomphes, contenant à la fois dans l’intérieur le terrorisme anarchiste et le terrorisme royal, décrétant pour des siècles une Constitution sage, républicaine, vous savez donner quelques instants à l’en
couragement d un art qui a gagné des victoires, et fera les délices de la paix... »
Ce qui fut mieux que tous les discours, c’est le vote d une subvention de 260,000 francs, destinée à assurer l’existence du Conservatoire. Cinq musiciens célèbres furent nommés comme inspecteurs de l’enseignement, ce furent Gossec, Grétry, Lesueur, Méhul et Chérubini, et ce fut sur leur demande, que Bernard Sarrette fut nommé d’abord « commissaire chargé de l’organisation du Conservatoire ».
Ce fut lui, en réalité, le premier directeur de l’établissement. Il occupa la situation pendant toute la durée du premier Empire,
et fut destitué par la Restauration en 1815, époque à laquelle le Conservatoire fut fermé jusqu’au ier avril 1816, où il rouvrit sous la direction de Perne, qui la conserva jusqu’en 1822, où Chérubini la reprit après lui.
De cette même année 1822 notre Etablissement national fonctionne, ou à peu près, comme aujourd’hui, car les modifi
cations introduites depuis ne sont guère que de détail. Le fond et les procédés d’enseignement sont restés les mêmes et ont donné des résultats analogues. C’est, d’ailleurs, le ier avril qu’aux classes d’enseignement purement musical, furent jointes les classes de déclamation, tragédie et comédie, dont les pro
fesseurs furent exclusivement recrutés parmi les sociétaires de la Comédie-Française.
De Bernard Sarrette et de Perne il n’y a pas grand chose à dire, ils sont fort oubliés aujourd’hui, ce qui ne signifie pas dire que sous leur administration, le Conservatoire ait langui et n’ait pas produit des sujets remarquables. Mais les directeurs qui leur succédèrent nous intéressent davantage, parce que plus près de nous, etaussi,parcequepluscélèbres, plusbrillantsdansleur célé
brité, que leurs modestes prédécesseurs. Ils furent peu nombreux, d’ailleurs : de 1822 jusqu’à nous on n’en compte que quatre : Chérubini (de 1822 à 1842), Auber (de 1842 à 1871), Ambroise
Thomas (de 1871 à 1897), et enfin Théodore Dubois. Je ne sais si le poste est une sinécure comme certains le prétendent, mais il semble qu’il conserve, on y reste longtemps, et on y meurt très vieux.
Le florentin Chérubini, français d’adoption, compositeur admirable, avait inspiré à l’empereur Napoléon, une invincible antipathie, c’est seulement sous la Restauration qu’il trouva, chez nous, la place qu’il méritait d’y avoir, et c’est après sa mer
veilleuse messe de Requiem qu’il fut nommé par Louis XVIII, directeur du Conservatoire reconstitué. Il y resta vingt ans,
donna sa démission, parce qu’il se sentait vieux et malade, en 1842, le 4 février, et mourut un mois après, le i5 mars. Très honnête homme, d’un esprit très droit et très juste, d’une indé
pendance absolue, il était peu aimé de son personne], et de rapports difficiles, parce qu’il était irascible et nerveux.
Ce fut Auber, son élève, qui lui succéda le 8 août 1842, et c’est lui qui fit la station la plus longue, car il resta vingt-huit ans à son poste, d’où il ne fut délogé que par la mort. On peut dire qu’Auber fut, à certains points de vue, surtout pour l’extérieur, le directeur idéal, car personne ne fut plus courtois, plus fin,
plus aimable, en un mot, plus Parisien. C’est surtout au moment des concours, alors que s’élevaient les orages, qu’il était étonnant d’à-propos et d’esprit, trouvant le mot qui calme, la réponse qui rétablit l’équilibre, dominant le tumulte desa voix aigrelette, son
dant la profondeur de la tempête, de son œil noir perçant et si malin sous la proéminence de son arcade sourcilière. On l’a accusé de scepticisme et de négligence, on a dit qu’il gouvernait un peu à la manière du roi Pétaud. La vérité est qu il ne se pas
sionnait guère, fort insensible aux ardeurs du protocole, mais il faut convenir qu’il n’y eut pas déchéance tant qu’il resta à la tête du Conservatoire, qu’il gouvernait sans solennité.
Après la mort d’Auber, survenue au mois de mai 1871, ce fut le compositeur Ambroise Thomas, qui devint directeur, car, jusqu’à nos jours, bien que notre Conservatoire soit qualifié « de Musique et de Déclamation », c’est toujours à un compositeur qu’en fut confié la direction. Bien souvent même, il a été ques
tion de diviser l’administration en deuxparties, deux directions : l’une musicale, l’autre dramatique, mais, pour cela faire, il fau
drait d’abord, comme on le demande depuis si longtemps, agrandir les bâtiments, mieux encore, reconstruire, et l’argent manque. Il est donc probable que longtemps encore, les choses resteront dans l’état où elles sont. Le canonicat d’Ambroise Thomas a duré son quart de siècle, voire quelques mois de plus, et l’auteur d Hamlet, fut assurément l’homme le meilleur et le plus doux qu’on puisse imaginer. Il fallait voir aux concours, sa bienveillance, sa bonté. Jamais il n’a été décerné autant de prix et d’accessits que sous son règne. Il avait si bon cœur, qu’il aurait voulu couronner tout le monde. Les jours d’orage, il avait des colères qui n’en imposaient à personne, et ses coups de sonnette étaient ses manifestations les plus violentes.