tions s’est allongé par centaines. Le succès n’a pas été moindre chez nous, bien que la surprise ait nui à son intensité. Le drame nous a paru un peu sombre et nous a étonnés. Le public n’a cependant pas ménagé son admiration à l’œuvre et à
ses interprètes. Ceux-ci sont de notoriété modeste, leur ciel est sans étoile, mais ils ont donné l’impression du « rare en
semble ». Tous ont joué leur rôle avec une telle sincérité, qu’ils ont rendu l’action vivante, et rendu l’illusion de la vie vécue. Quant à la mise en scène, elle est étonnante de réalité, soignée dans ses moindres détails, d’un pittoresque fouillé curieusement, avec une recherche d’exactitude qui est de la virtuosité; on sent que celui qui l’a faite ainsi est un artiste vraiment épris de son art.
A l Athénée, agréable spectacle d’attente : on pelote, au théâtre de la rue Boudreau, en attendant la partie sérieuse. Leurs Amants, la comédie en trois actes de M. de Féraudy, le sociétaire de la Comédie-Française, est une comédie en trois actes « genre rosse », spirituellement écrite, mais dans laquelle on a tiré sur l’étoffe. On aurait pu faire un gros acte bien plein,
on en a fait trois petits, un peu vides. Cette aventure d’une de ces « demoiselles » qui lâche l’amant sérieux, un peu mûr, dont s’alimente généreusement la « matérielle » pour prendre « col


lage » avec le «de cœur», qui n’apporte, lui, qu’amour, eau


claire, gêne et misère, si bien qu’après fâcheuse expérience, icelle relâche le n° 2, pour réintégrer le n° 1, quitte à donner quelques entr’actes au n° 2, pour qui elle a toujours, et quand même, douceur de cœur, cette aventure, comme on le peut voir, n’est pas absolument nouvelle, mais elle est très agréablement racontée, ce qui est l’essentiel. La pièce de M. de Fé
raudy pourrait porter en sous-titre : « Conseils à ces dames pour diriger leur esquif à travers les écueils de la vie... »
Leurs Amants s’accompagnaient d’un petit acte de M. Francis de Croisset : Par vertu ! proverbe pimenté d’esprit, histoire d’un chassé-croisé où les cavaliers balancent leurs dames, comme au quadrille d’autrefois, une femme mariée épousant, après divorce, le prétendu d’une de ses amies, alors que l’amie se rattrape sur l’époux divorcé. Cette petite plaisanterie dramatique, exécutée avec tour de main et dextérité, n’est pas désagréable à voir.
Voici venir, maintenant, les deux gros morceaux de la quinzaine : l’ Autre Danger, la comédie en quatre actes de M. Mau
rice Donnay, représentée à la Comédie-Française, et Théroigne de Méricourt, drame en six actes, de M. Paul Hervieu, au théâtre Sarah-Bernhardt.
L Autre Danger, qui s’intitulait autrefois Dans la Vie, appartient au genre de la comédie-drame ou de la pièce de mœurs comme la pratiqua Alexandre Dumas fils. Longue en son exposition, exquise en ses détails, et d’un dialogue spirituel et ironiste, d’une forme très personnelle àl’auteur, elle développe une action souvent présentée déjà, rivalité d’amour entre une mère et sa fille. C’est le sujet traité dans le roman de Maupassant, Plus fort que la Mort, et dans celui de Paul Bourget, le Fantôme. La pièce est habilement faite, mais le dénouement est cruel et difficile à accepter. Cette mère faisant de l’homme qui, une heure auparavant, était son amant, le propre mari de sa fille, nous semble de
Tous les ans, à pareille époque, les théâtres s’empressent. L’appât des grosses recettes du
Réveillon, de Noël et des trois ou quatre premiers jours de janvier, les excite, et ceux qui sont à bout de rouleau jouent des pièces nouvelles et font affiche neuve. C’est ainsi que les choses se sont passées cette année, comme, d’ailleurs, les années précé
dentes, et comme elles se passeront pendant les années qui vont suivre.
Nous ferons donc rapidement la revue des nouveautés de la quinzaine, puisqu’elles sont trop nombreuses, pour qu’il nous soit loisible de nous y étendre, bien que, parmi celles-ci, il y en ait plusieurs qui sont d’importance.
En procédant par ordre chronologique, nous trouvons, au théâtre des Bouffes-Parisiens, une aimable opérette sans pré
tention, une farce amusante et bon enfant, agrémentée d’une partitionnette spirituelle, légère et gazouillante, de Victor Roger, qui est de facture agréable, avec des sonorités d’éclat de rire. Je ne vous raconterai pas, par le menu, la folle équipée de ce riche bourgeois sportsman, dont le rêve est d’unir sa fille unique avec un jockey qui aurait décroché le Grand Prix; tandis
que le notaire, Godefroy, n’a qu’une idée fixe, être l’amant de cœur d’une « gigolette », mais d’une vraie « gigolette », et com
ment tous deux sont déçus, — car la vie n’est que déception ! — le bourgeois mariant sa fille à un simple clerc de notaire qu il prend pour un jockey, lequel est, en effet, le « jockey malgré lui »; alors que le notaire est joué, sous jambes, par une cocotte de haute volée, qui se fait passer pour la gigolette demandée. Ces aventures, émaillées de gendarmes guillerets et d’Apaches de convention, lesquels ne sont que des gandins travestis, ont paru assez réjouissantes, et contribueront peut-être à désenguignonner ce gentil théâtre des Bouffes, à qui, jusqu’à présent, la Fortune a montré les dents, bien plus qu’elle n’a souri.
Chez Antoine, voici une curieuse et intéressante manifestation du théâtre exotique. C’est un genre de spectacle que son initiative intelligente nous donne parfois. Nous devons lui en savoir gré, et c’est pour nous un régal d’exception. Celte fois, Antoine a été chercher en Hollande la Bonne Espé
rance, un drame de M. Herman Heyermans, une œuvre très émouvante, singulière dans sa forme, plutôt tableau de mœurs que pièce de théâtre de structure coutumière — « Jeu de la Mer», dit l’affiche, qui porte ainsi la qualification que l’au
teur a donnée à sa pièce, pour qu’il n’y ait pas malentendu, et qu’on ne s’attende pas à un spectacle autre que celui qu’il a prétendu nous offrir. — L’action est violente, d’un souffle
hardi, d’une allure presque nouvelle, avec des scènes de vérité sinistre; c’est, dans son réalisme coloré, le bréviaire de la vie douloureuse de l homme de mer, présentée avec la sobriété de la tragédie antique. La Bonne Espérance a eu grand succès un peu partout. D’abord en Hollande, et cela se conçoit du reste, puisque le tableau se développe dans le milieu hollandais, mais aussi en Allemagne, où le chapelet des représenta


La Quinzaine Théâtrale