il n’y a plus qu’à glaner. Malgré les froids tardifs, tous les théâtres ont fermé leurs portes, à l ex
ception de deux ou trois, qui persistent quand même, affrontant les chaleurs en expectative, comptant sur les pluies et les orages pour refaire leur « moyenne ». Les autres, ceux qui ontopéré la fermeture annuelle, s’entr’ouvrent, parfois, pour un « déballage », mais cela est quantité négli
geable, il n’y a pas à en tenir compte, et, pour deux mois au moins, les comédiens sont aux champs. Les uns se reposent,ce sont les plus sages. Les autres courent les bains de mer et les stations thermales, en représentations dans les Casinos. La season de Londres, qui, cette année, est des plus brillantes, occupe beaucoup d’artistes français, trop peut-être. Y a-t-il, à Londres, un public suffisant pour alimenter les représentations françaises qui se donnent en même temps dans quatre théâtres à la fois ? That is the question ! « c’est là la question ! » comme dit Hamlet. Ce qui est certain, c’est que Londres pos
sède un brelan carré de comédiennes françaises, et non des moindres : Sarah Bernhardt, Jeanne Granier, Réjane, Jane Hading, qui font des chassés-croisés de Répertoire. Ainsi, Jane Hading joue la Dame aux Camélias, tandis que Sarah Bernhardt joue Plus que Reine! Je souhaite bonne chance aux quatre comédiennes, avec la crainte que « ceci ne tue cela ».
J’en reviens aux théâtres de Paris et à la glane des derniers épis : on a célébré, à la Comédie-Française et à l’Odéon, l’an
niversaire de la naissance de Pierre Corneille, comme tous les ans. Le 6 juin dernier, il y a eu deux cent quatre-vingt-dix-sept ans que le grand tragique a fait son entrée dans le monde, en passant par la ville de Rouen. Dans trois ans, il y aura juste trois siècles que l’auteur du Cid aura poussé son premier vagis
sement. Le bout de l an a été, des deux parts, célébré, comme l’on dit, dans la plus « stricte intimité »; on ne s’est pas mis en grands frais, et ce fut simple messe basse. On sait que la cou
tume est de commémorer le triple anniversaire de Molière, Racine et Corneille en donnant une représentation exclusivement com
posée de leurs œuvres, qu’on accompagne d’un petit morceau de circonstance intitulé « à-propos », ce qui est vraiment un euphémisme, parce que d’ordinaire l’ « à-propos » est volon
tiers ce qui fait surtout défaut à ces œuvres improvisées dans la naïveté et l’innocence. On les demande le plus souvent à des inconnus qui font rimer, comme disait Musset, fâché avec aisé,
alors que les premiers de nos poètes devraient avoir à honneur de célébrer à tour de rôle, et de leur mieux, la gloire des grands Ancêtres.
Donc, cette année, à la Comédie, le bout de l’an — en messe basse — se composait du Cid, joué par Albert Lambert dans le rôle du Cid, Mounet-Sully se trouvant trop vieux pour les ardeurs du fils de Don Diègue; Paul Mounet, pittoresque dans le vieux héros à barbe blanche ; Silvain, fantaisiste dans le personnage du Roi; et Madame Segond-Weber, une Chimène
plus dramatique que passionnée. L’à-propos, Corneille et Lulli, venait de l’Odéon, où il fut représenté déjà en 1901.
A l Odéon, on a joué Horace, accompagné d’un à-propos, en vers,le Grand Aïeul, dans la moyenne de médiocrité coutu
mière. Au même Odéon, on a terminé la saison par un drame de M. Perski, d’après Maxime Gorky, Wania (histoire d un
crime). Ce drame est médiocre, c’est une anecdote trop simple en sa complication, on dirait un chapitre de feu la « Morale en action », animé pour la scène. Celui qui a inspiré la pièce est plus intéressant que l’œuvre dramatique elle-même. Il mérite que nous en tracions ici une biographie rapide.
Gorky, de son vrai nom Alexis Pechkow, est né en 1869, à Nijni. — (Gorky est un nom de guerre qui veut dire l’ « Amer », et nul ne le mérita mieux.) — Sa famille était d’artisans, et, de bonne heure orphelin, il battit l’estrade, fit tous les métiers, tour à tour boulanger, jardinier, marchand de pommes, marmi
ton, petit clerc... A quels moments apprit-il à écrire et put-il acquérir de l’instruction ? Je ne sais. Toujours est-il qu il avait le don. car ayant pu faire paraître une Nouvelle, dans une Revue publiée à Tiflis, du premier coup il vit naître sa réputa
tion, avec le succès. Sa fortune fut rapide, et, comme romancier, il est presque l’égal de Tolstoï. Au théâtre, il a deux pièces dont les représentations se chiffrent par centaines, disons mieux, par milliers : les Petits Bourgeois, une œuvre des plus popu
laires, qui se joue en Russie, partout où il y a un théâtre, et
un drame, Dans les Bas-fonds. Il signa, l’un des premiers, l’acte de protestation contre les mesures prises par le gouvernement vis-à-vis des étudiants. Arrêté, menacé de Sibérie, puis relâché, il est devenu riche par la vente de ses ouvrages, et relative
ment jeune encore, puisqu’il n’a pas quarante ans, il a presque cessé de produire et s’occupe surtout de bienfaisance utile. Moins littéraire que Tolstoï, il décrit avec plus de relief et de réalisme. On sent qu’il possède un singulier bagage d expérience et qu’il raconte sur le « vu ». Ses récits sont parfois poignants jusqu’à la cruauté. Ce n’est pas qu’il s’y com
plaise, mais il répugne au mensonge. Il reproduit et raconte, on sent qu’il n’invente guère. Au milieu de cette géhenne, où il se fait le guide de son lecteur, on entrevoit le besoin d’idéal du narrateur qui, de loin en loin, implore la pitié pour la souffrance humaine et découvre quelque vague coin d horizon bleu.
Quant à Wania, le héros du drame odéonien, c’est un paysan fruste et pauvre, brute, ignorant, passif et doux, — c’est, en quatre adjectifs, le caractère moujick, — pris de cette mégalo
manie relative qui pousse les pauvres diables ivres de souffrance,
vers la grande ville, où ils croient trouver la vie moins dure. Après les adieux à sa mère et à sa fiancée, qui lui passent au cou le scapulaire préservateur — oh ! combien peu, hélas ! — il arrive je ne sais où, à Kiew, je crois, la ville où on ne rencontre dans les rues que des officiers, des moines et... des confiseurs, et là, mène une de ces misères urbaines plus cruelles encore que celle des steppes. Nous le retrouvons donc, à bout de kopeks,
ception de deux ou trois, qui persistent quand même, affrontant les chaleurs en expectative, comptant sur les pluies et les orages pour refaire leur « moyenne ». Les autres, ceux qui ontopéré la fermeture annuelle, s’entr’ouvrent, parfois, pour un « déballage », mais cela est quantité négli
geable, il n’y a pas à en tenir compte, et, pour deux mois au moins, les comédiens sont aux champs. Les uns se reposent,ce sont les plus sages. Les autres courent les bains de mer et les stations thermales, en représentations dans les Casinos. La season de Londres, qui, cette année, est des plus brillantes, occupe beaucoup d’artistes français, trop peut-être. Y a-t-il, à Londres, un public suffisant pour alimenter les représentations françaises qui se donnent en même temps dans quatre théâtres à la fois ? That is the question ! « c’est là la question ! » comme dit Hamlet. Ce qui est certain, c’est que Londres pos
sède un brelan carré de comédiennes françaises, et non des moindres : Sarah Bernhardt, Jeanne Granier, Réjane, Jane Hading, qui font des chassés-croisés de Répertoire. Ainsi, Jane Hading joue la Dame aux Camélias, tandis que Sarah Bernhardt joue Plus que Reine! Je souhaite bonne chance aux quatre comédiennes, avec la crainte que « ceci ne tue cela ».
J’en reviens aux théâtres de Paris et à la glane des derniers épis : on a célébré, à la Comédie-Française et à l’Odéon, l’an
niversaire de la naissance de Pierre Corneille, comme tous les ans. Le 6 juin dernier, il y a eu deux cent quatre-vingt-dix-sept ans que le grand tragique a fait son entrée dans le monde, en passant par la ville de Rouen. Dans trois ans, il y aura juste trois siècles que l’auteur du Cid aura poussé son premier vagis
sement. Le bout de l an a été, des deux parts, célébré, comme l’on dit, dans la plus « stricte intimité »; on ne s’est pas mis en grands frais, et ce fut simple messe basse. On sait que la cou
tume est de commémorer le triple anniversaire de Molière, Racine et Corneille en donnant une représentation exclusivement com
posée de leurs œuvres, qu’on accompagne d’un petit morceau de circonstance intitulé « à-propos », ce qui est vraiment un euphémisme, parce que d’ordinaire l’ « à-propos » est volon
tiers ce qui fait surtout défaut à ces œuvres improvisées dans la naïveté et l’innocence. On les demande le plus souvent à des inconnus qui font rimer, comme disait Musset, fâché avec aisé,
alors que les premiers de nos poètes devraient avoir à honneur de célébrer à tour de rôle, et de leur mieux, la gloire des grands Ancêtres.
Donc, cette année, à la Comédie, le bout de l’an — en messe basse — se composait du Cid, joué par Albert Lambert dans le rôle du Cid, Mounet-Sully se trouvant trop vieux pour les ardeurs du fils de Don Diègue; Paul Mounet, pittoresque dans le vieux héros à barbe blanche ; Silvain, fantaisiste dans le personnage du Roi; et Madame Segond-Weber, une Chimène
plus dramatique que passionnée. L’à-propos, Corneille et Lulli, venait de l’Odéon, où il fut représenté déjà en 1901.
A l Odéon, on a joué Horace, accompagné d’un à-propos, en vers,le Grand Aïeul, dans la moyenne de médiocrité coutu
mière. Au même Odéon, on a terminé la saison par un drame de M. Perski, d’après Maxime Gorky, Wania (histoire d un
crime). Ce drame est médiocre, c’est une anecdote trop simple en sa complication, on dirait un chapitre de feu la « Morale en action », animé pour la scène. Celui qui a inspiré la pièce est plus intéressant que l’œuvre dramatique elle-même. Il mérite que nous en tracions ici une biographie rapide.
Gorky, de son vrai nom Alexis Pechkow, est né en 1869, à Nijni. — (Gorky est un nom de guerre qui veut dire l’ « Amer », et nul ne le mérita mieux.) — Sa famille était d’artisans, et, de bonne heure orphelin, il battit l’estrade, fit tous les métiers, tour à tour boulanger, jardinier, marchand de pommes, marmi
ton, petit clerc... A quels moments apprit-il à écrire et put-il acquérir de l’instruction ? Je ne sais. Toujours est-il qu il avait le don. car ayant pu faire paraître une Nouvelle, dans une Revue publiée à Tiflis, du premier coup il vit naître sa réputa
tion, avec le succès. Sa fortune fut rapide, et, comme romancier, il est presque l’égal de Tolstoï. Au théâtre, il a deux pièces dont les représentations se chiffrent par centaines, disons mieux, par milliers : les Petits Bourgeois, une œuvre des plus popu
laires, qui se joue en Russie, partout où il y a un théâtre, et
un drame, Dans les Bas-fonds. Il signa, l’un des premiers, l’acte de protestation contre les mesures prises par le gouvernement vis-à-vis des étudiants. Arrêté, menacé de Sibérie, puis relâché, il est devenu riche par la vente de ses ouvrages, et relative
ment jeune encore, puisqu’il n’a pas quarante ans, il a presque cessé de produire et s’occupe surtout de bienfaisance utile. Moins littéraire que Tolstoï, il décrit avec plus de relief et de réalisme. On sent qu’il possède un singulier bagage d expérience et qu’il raconte sur le « vu ». Ses récits sont parfois poignants jusqu’à la cruauté. Ce n’est pas qu’il s’y com
plaise, mais il répugne au mensonge. Il reproduit et raconte, on sent qu’il n’invente guère. Au milieu de cette géhenne, où il se fait le guide de son lecteur, on entrevoit le besoin d’idéal du narrateur qui, de loin en loin, implore la pitié pour la souffrance humaine et découvre quelque vague coin d horizon bleu.
Quant à Wania, le héros du drame odéonien, c’est un paysan fruste et pauvre, brute, ignorant, passif et doux, — c’est, en quatre adjectifs, le caractère moujick, — pris de cette mégalo
manie relative qui pousse les pauvres diables ivres de souffrance,
vers la grande ville, où ils croient trouver la vie moins dure. Après les adieux à sa mère et à sa fiancée, qui lui passent au cou le scapulaire préservateur — oh ! combien peu, hélas ! — il arrive je ne sais où, à Kiew, je crois, la ville où on ne rencontre dans les rues que des officiers, des moines et... des confiseurs, et là, mène une de ces misères urbaines plus cruelles encore que celle des steppes. Nous le retrouvons donc, à bout de kopeks,