La Quinzaine Théâtrale




On vient de reprendre, à la Comédie, la Médée, de Catulle Mendès, représentée déjà, au mois d’octobre 1898, sur la scène de la Renaissance. Il nous paraît que, cette fois, le drame antique est sur son vrai terrain, et qu’il s’encadre bien




mieux que là-bas, où il était mal à l’aise et comme étouffé entre les portants. Je ne saurais trop féliciter la Comédie d’avoir donné généreuse hospitalité à cette œuvre d art, de belle ampleur poétique, de lui avoir fait l’honneur de ses meilleurs artistes, et de l’avoir agrémentée d’un décor pittoresque.




Le thème de Médée est des plus simples, il s’étaye d’une situation qui se déduit en trois actes rapides et concrets. C’est surtout le développement d’un caractère, ou mieux, l’état d’âme d’un personnage fatal qui tient sans cesse la scène en éveil, et la remplit de ses lamentations, de ses rancœurs, de sa passion amoureuse, de ses jalousies, de ses haines, ce pendant que la basse faite par le chœur soutient la variation, l’accentue et la souligne, suivant le procédé antique. Le drame procède de celui d’Euripide, il suit la même progression et se concentre sur le personnage de Médée, en qui se réunissent tous les effets. C’est l’épisode de l’épouse abandonnée poursuivant de sa ven




geance l’époux parjure, qu’elle n’a pu ramener à elle, et l’acca




blant alors, dans sa nouvelle épouse et dans ses enfants. Elle égorge ceux-ci, de ses propres mains, affolée de désespoir, n’ayant trouvé que ce sacrifice sanglant, pour le châtiment du traître, dont elle déchire les entrailles paternelles. Quant a Créuse, la nouvelle épouse, elle l’a revêtue de la robe d’or qui s’attache à ses flancs, la dévore et la consume, comme fit la tunique de Nessus pour le dieu Hercule.




Les vers de Catulle Mendès sont d une forme eclatante et sonore, dont le rythme remplit bien l oreille. Riches, imagés, caressants ou cruels, mais toujours souples, ils s adaptent mer




veilleusement aux situations qu’ils accompagnent, ainsi que la musique se marie à la voix.




L’interprétation est remarquable, et j’ajoute qu’on éprouve une sorte de soulagement a voir les rôles du duo tragique tenus enfin par des artistes qui ont vraiment la plastique, l’âge et la forme des personnages qu’ils représentent, ce qui, hélas ! est trop rare au théâtre. Médée, c’est Madame Segond-Weber, qui a trouvé dans ce rôle complexe et difficile l’occasion d une créa




tion qui la place au premier rang de l’emploi tragique. Voilà,




assurément, ce qu’elle a fait de mieux, depuis la Guanhumara des Burgraves. Elle a pour elle de magnifiques qualités : la sincérité, la passion convaincue, la fougue, l’émotion, servies par une belle voix sombrée, qui module le vers sans défaillance et dans toute la splendeur de son harmonie. Elle est, en outre, belle de forme tragique. Son corps a des lignes d’une plastique irréprochable, et ses gestes, qui ont de l’ampleur, prennent du charme par la perfection sculpturale des bras, qu’on dirait mo




delés par Phidias. Jason est joué par Albter Lambert, qui réa




lise à souhait le type du guerrier de beauté accomplie, qui fit la folie des Corinthiennes. Il donne la sensation de ces demidieux qui n’atteignaient pas jusqu’au ciel, mais s’élevaient plus haut que la terre.




La troupe des coryphées comprend des comédiennes de rang, telles que Mesdames G. Silvain, Delvair, Géniat, Yvonne Garrick... On voit que tout le monde a tenu à honneur de chanter à la grand’messe !




Au lendemain de la belle représentation de Médée, nous




avons eu, à la Comédie, une « première » plutôt fâcheuse, celle d une erreur dramatique, bévue de deux auteurs de talent, qui sont partis sur une mauvaise piste, et se sont laissé séduire pat un sujet de psychologie raffinée pouvant fournir un acte, mais était insuffisant pour trois. Les Ames en peine, de MM. Am




broise Janvier et Marcel Ballot, médiocrement défendues par leurs interprètes, ont vécu l’espace de quelques soirs, et sont entrées bien vite dans le purgatoire de l’oubli.




Les deux théâtres de drame qui, seuls, restèrent ouverts pendant cette période estivale, se sont réfugiés, comme toujours en cette saison cruelle pour les théâtres, dans le vieux mélodrame, qu ils ont appelé à leur secours.




A l’Ambigu, on a plongé très à fond, dans le passé, et on a repêché Latude ou trente ans de captivité, dont la première représentation remonte simplement à novembre 1834. C’est sur la scène de laGaîté, située Boulevard du Temple, que fut repré




senté ce produit de la collaboration de deux auteurs d âge divers et de qualité différente, un vieux, Guilbert de Pixérécourt, en ce tentps-là le doyen du mélodrame, — il avait alors soixante-deux ans, — et un jeune, Anicet Bourgeois, — il avait alors vingtsept ans,— qui, par la suite, devint le fournisseur attitré des théâtres du «Boulevard du Crime ». Un critique, non des moindres, écrivait, en 1834 : « Cette collaboration est un heureux mélange. L’aîné a fourni l’expérience et le bienfait du sa




voir-faire. Le plus jeune, l’entrain et la jeunesse, la fougue de la vingtième année. » L’ « heureux mélange » a produit un drame naïf mais bien charpenté, qui eut grand succès jadis et a retrouvé, après soixante-dix ans, une sorte de regain.




Les collaborateurs ont, d’ailleurs, suivi assez exactement les incidents de l’étrange aventure de Latude, cette victime d’un malentendu judiciaire, reproche vivant pour la justice criminelle, qui ne trouva rien mieux à faire qu’étouffer ses cris. Le drame se développe en cinq actes, précédés d’un pro




logue : le prologue, c’est l’entrevue de Madame de Pompadour et de Latude, le jeune officier du génie, qui pénétra jusqu’à la favorite, et fut arrêté par le lieutenant de police, qui l’embas




tilla pour le punir de son audace. Quant aux cinq actes, un peu monotones, ils nous font assister aux « trente-cinq ans de cap




tivité » du prisonnier qui vieillit, d’acte en acte, escorté de son compagnon de servitude, Dalègre, le Maroncelli de ce nouveau Silvio Pellico. C’est aussi l’évasion des deux prisonniers, évasion historique, inouïe, et dont ils avaient mis huit ans à pré




parer les engins. — Latude et Dalègre confectionnèrent une échelle de corde, dont les montants furent tressés avec des débris de linge dérobés à leurs draps, à leurs vêtements, et les échelons extraits des bûches qui servaient pour le chauffage du cachot. — Puis ce fut la fuite en Hollande, où ils furent rat




trapés, tous deux, par la police du XVIIIe siècle, — plus habile que celle du xxe, paraît-il, — qui les ramena à Paris et les interna à Bicêtre, où Dalègre mourut fou, alors que Latude fut enfin libéré, grâce à l’intervention de M. de Malesherbes. — Par parenthèse, il fallait que ce chevalier de Latude eût un rude tempérament, pour résister à tant d’épreuves, car il en sortit




victorieusement. Il avait vingt-cinq ans quand il fut arrêté par le lieutenant de police Berryer, et soixante, par conséquent, lorsqu’il fut élargi, en 1785. Or, il vécut encore pendant vingt ans après, et ne mourut qu’en 18o5, âgé de quatre-vingts ans, d’ailleurs fort oublié et fort ignoré.




A la Porte-Saint-Martin, on a fait aussi des fouilles dans le




passé, mais moins profondes, puisqu’on s’est arrêté au mois de