La Quinzaine Théâtrale
œuvre charmante, d’émotion délicate, de comique bon enfant, d’exquise recherche dans le détail des caractères, et de simpli
cité toute bourgeoise. Le sujet est menu, sans doute, et dès le premier acte, il est aisé de prévoir le dénouement ; mais qu’im
porte, puisque l’auteur nous y amène, par une série de moyens si touchants, procède avec une telle ingéniosité, qu’on se laisse séduire, sans résistance, parce qu’on est ému jusqu’au fond du cœur. C’est un effet d’impression et de sensation, plus encore que de réflexion, c’est là, d’ailleurs, le meilleur et aussi le plus décisif, au théâtre.
La situation principale du petit drame de Pierre Wolff — qui est, au Gymnase, en son vrai terrain de culture — est un peu celle de Petite Amie, la pièce de Brieux, représentée, l’hiver dernier, à la Comédie-Française, avec cette différence que l’exécution est, ici, toute contraire, et que l’action est menée avec une habileté séduisante. Au lieu du père rogue, brutal,
sèchement égoïste; de la mère incertaine, hésitante, hypnotisée par la crainte de son mari, qui, dans Petite Amie, nous causaient une invincible répugnance, nous nous trouvons en présence d’un ménage exquis d’honnêtes gens, d’un groupe admirable d’époux, qui, tous deux, ont eu la même pensée généreuse, mais n’ont pas osé se la communiquer, parla crainte qu’éprouve chacun d’eux de blesser la conviction, les sentiments de l’autre,
et d’altérer ainsi la sereine affection qui les unit, depuis plus d un quart de siècle. C’est l’émotion produite par la lutte de ces deux tendresses craintives, la méfiante timidité de ces deux cœurs qui fait le grand charme de la pièce de Wolff, et en assure
le succès, auprès d’un public altéré d’honnêteté, et qui recherche plus volontiers le doux optimisme et l’émotion aimable, que les rosseries de théâtre.
Je neveux, d’ailleurs, pas déflorer l’analyse qui vous sera faite, ici, un jour ou l’autre, du Secret de Polichinelle. Je me conten
terai de vous dire que la pièce de Pierre Wolff a bénéficié d’une interprétation remarquable pour ses deux rôles principaux, ceux qui tiennent toute la scène : M. Jauvenel, c’est Huguenet, qui est vraiment de premier ordre. lia fait du bonhomme un type épique, naïf, honnête, solennel et bon enfant, il y est de sincérité absolue et a ciselé une figure de « ganache héroïque » qui égale les plus belles créations de Geoffroy, jadis le maître du genre. Madame
Jauvenel, c’est Judic, une mère de bonté souriante, d’une pureté délicate, aux sentiments discrets, au charme bien féminin,
radieuse de tendresse. Le Gymnase me paraît, cette fois, tenir un succès de bon aloi.
Au théâtre Antoine, une pièce de petites mœurs, en trois petits actes, les Tabliers blancs, vient en complément d’affiche, pour aider à l’alternance usuelle des spectacles, en ce théâtre. Les Tabliers blancs, c’est la grève supposée des cuisinières et femmes de ménage, dans une petite ville de province, et le chaos culinaire qui en est la suite. Mesdames les bourgeoises se trou
vant dans la nécessité cruelle de laver la vaisselle, de vider et d’embrocher le poulet, de leurs blanches mains. Cette pièce, à prétentions aristophanesques, n’est pas déplaisante, elle est du comique au gros sel, comme il convient alors qu’il s’agit d’une question de cuisine. Mademoiselle Fava, dont nous avons eu occasion de parler lors des concours du Conservatoire, a fait ses débuts dans les Tabliers blance, début dans un rôle médiocre et sans agréments, c’est une maldonne, il faut rebattre les cartes.
Pour être complet au tableau de quinzaine, nous avons encore à citer la reprise du Bossu à la Porte-Saint-Martin, reprise dont il n’y a rien à dire puisqu’elle est chronique, et se représente tous les cinq ou six mois, quand il y a un trou à boucher. Cette fois, le « trou », c’est le départ de Coquelin
qui va faire une tournée d’Europe, et nous abandonne pour deux ans. — et aussi la remise à la scène, au Château-d’Eau, du vieux mélo, le Chiffonnier de Paris, de Félix Pyar, un drame qui fut jadis (en 1847 ! !) à tendances révolutionnaires, et n’est plus aujourd’hui qu’une vieille rocambole naïve et fort démodée.
Nous avons remis à aujourd’hui, la question du sociétariat à
Notre numéro d’aujourd’hui est consacré à Théroigne de Méricourt, le drame de M. Hervieu, en cours de représentation au théâtre Sarah- Bernhardt. Nous en avons parlé déjà dans notre dernière Quinzaine. Nous n’y revien
drons aujourd’hui que pour insister sur la mise en scène très intéressante de ces tableaux de la Révolution, dont le Théâtre donne les plus curieuses reproductions. Il y a là une série de décors
d’une recherche d’exactitude louable, et qui font honneur aux artistes qui les ont plantés et peints, au metteur en scène qui les a réglés.
Le premier, c’est le cabinet de travail de l’empereur d’Autriche (1792) à la Hofburg, à Vienne. Il est deforme Louis XVrococo, avec cette lourdeur d’ornementation et de forme qu’on retrouve dans les demeures royales allemandes en général, et plus particulièrement dans les palais autrichiens. — Schœnbrünn est encore, aujourd’hui, un des spécimens les plus complets de cette forme particulière, pesante, tourmentée, surchargée d’ornements et de dorure. Les meubles y sont de structure monu
mentale; les tapisseries, riches en couleur, trop riches parfois. — Au théâtre Sarah-Bernhardt, cet aspect, qui est aussi celui delà Hofburg, est bien rendu, et j’ai retenu le souvenir d’un grand bureau rocaille, au ventre cambré, avec bronzes dorés se détachant sur fond d’écaille rouge, qui est d’une imitation réjouissante pour l’œil d’un amateur de curiosités. Je ne sais si
le meuble est réel, ou décoratif seulement, en tout cas, il donne une singulière illusion de vérité et d’exactitude.
Le second représente un salon de réception, aux Tuileries, dans la nuit du 9 août 1792, alors que le palais, défendu par les Suisses, était menacé d’invasion par la foule ameutée. C’est ici le décor traditionnel, prenant vue sur la galerie vitrée. Il a pu être aisément recomposé, avec les gravures du temps. Il en est de nombreuses qui peuvent suppléer à 1’ « original », incendié en 1871, parles insurgésde la Commune.
Le troisième, très simple et très bien conçu, c’est le salon à boiseries blanches de l’appartement qu’occupait Théroigne de Méricourt, alors que celui-ci était le rendez-vous des députés Danton, Robespierre, Camille Desmoulins, Brissot, Fabre d’Eglantine, Collot d’Herbois, Pétion, dont nous apercevons les silhouettes, qui sont toujours intéressantes. Je faisais obser
ver, dans ma dernière chronique de quinzaine, que ce salon était précisément celui qu’occupa Octave Feuillet, dans les der
nières années de sa vie. Il est peu probable que l’artiste qui a peint le décor, ait visité l’appartement de la rue de Tournon, il a dû faire simplement « le salon d’époque». Celui-làest, d’ailleurs, à peu près exact, par la raison que les demeures bourgeoises du xvme siècle se ressemblaient toutes, à peu de chose près, avec leurs panneaux à moulures uniformément peints en gris, avec des réchampissages blancs.
Le quatrième, qui se répète au cinquième, c’est « la terrasse des Feuillants » (10 août 1792-mai 1793), il est d’une exactitude amusante, avec ses grands arbres, aux troncs en ronde-bosse, et à feuillage détaché, — ainsi que cela se pratique dans la déco
ration du théâtre anglais, où, bien plus souvent que chez nous, on a recours à l’artifice du relief, —il encadre merveilleusement les scènes populaires qui s’y agitent, à la manière des épopées shakespeariennes, et des mouvements de foule de Schiller. Le grouillement est formidable. Le défilé du Roi, de la Reine, suivis des Enfants de France et des principaux personnages de la suite, se rendant à la Législative, pour y chercher asile, est rendu avec beaucoup de réalisme, et les mouvements d’opposition sont habilement combinés.
Le dernier, c’est la cour de la «Salpêtrière », décor sinistre et sombre, où s’accomplit l’épisode des apparitions.
Il nous faut maintenant enregistrer, en cette quinzaine, un événement dramatique, un de ceux qui sont à marquer de la pierre blanche, le très grand succès du théâtre du Gymnase, du Secret de Polichinelle (la pièce nouvelle de Pierre Wolfîj,