Mademoiselle Jeanne Thomassin




V


oici assurément une des comédiennes les plus exquises de l’heure présente. Son talent, fait de charme, de sim
plicité, de naturel, est delà plus délicate sincérité. Elle a le sourire, la grâce et aussi l’émotion douce et vraie. Cette émotion n’est, d’ailleurs, qu’une répercussion d’elle-même, elle l’éprouve en l’inspirant, car elle possède, au suprême degré, ce don de tendresse aimable que nos pères appelaient la « sensibilité ». Le mot a pris au
jourd’hui comme un arrièregoût de naïveté, et c’est injus
tice, car mieux qu’aucun autre il exprime l’idée d’une nature de sensitive, ce qui est le cas pour Jeanne Thomassin. Très jeune encore, elle n’a pas trente ans, c’est une artiste faite, sûre d’elle-même, possédant toutes les finesses de son art. On peut attendre d’elle bien plus qu’elle n’a donné encore, parce qu’elle n’a eu, jusqu’à ce jour, que la demi-occasion de montrer ce qu’elle sait faire, la porte entr’ouverte au lieu de la
porte ouverte toute grande. Si j’excepte le rôle de la Petite
Fonctionnaire, où ses qualités se trouvèrent à l’aise, et où son succès fut très grand, la reprise du Conseil judiciaire, au Vau
deville, où elle se présenta sous l’aspect imprévu du plus fin comique de comédie, et le second acte d’une pièce mé
diocre de Gandillot, jouée sans succès au Gymnase, en 1898, sous ce titre /’Amorcent , où elle fit une création délicieuse du rôle de Léopoldine, une jeune fille honnête, franche et de libre propos, née dans un milieu corrompu où elle a
poussé très pure, comme la petite fleur bleue qui croît en plein fumier. Je ne parle que pour mémoire du Beau Jeune Homme, d’Alf. Capus, où elle fut exquise dans un rôle inégal, imprécis, qui ne commençait guère et ne finissait pas du tout.
Comme on le peut voir, l’effectif est maigre, et il faut être homme de théâtre, tout au moins connaisseur, pour apprécier la valeur d’une comédienne, sur ces échantillons, hélas trop
rares ! Le soir de la première représentation de la Petite
Fonctionnaire, je me souviens qu’un de mes amis, critique distingué, érudit, d’esprit très fin, me dit : « Pourquoi cette comédienne n’est-elle pas à la Comédie-Française? c’est une artiste de premier rang, une diseuse admirable. Elle a joué ce second acte avec une perfection absolue, des des
sous d’émotion saisissante, des accents de pudeur bourgeoise d’une touchante simpli
cité, et une sincérité d’action à laquelle nous ne sommes pas habitués. Qui est-elle ? d’où
vient-elle? avez-vous remarqué comme tous les comédiens qui jouent autour d’elle semblent dire faux, tant elle parle juste? — Doù elle vient? — lui ré
pondis-je — elle vient de Russie, où pendant neuf ans elle a joué, au Théâtre-Michel, tous les rôles de l’emploi des
grandes ingénuités et jeunes premières, dans tous les réper
toires, comme l’on fait là-bas, depuis le vaudeville et la comé
die, jusqu’au mélodrame et à l’opérette, en passant même par la pantomime. C’était à Pétersbourg, l’actrice adorée
Cliché Reutlinger.
Mllo JEANNE THOMASSIN
Rôle de Pauline. — LE CONSEIL JUDICIAIRE. — GYMNASE