La liquidation de l’année qui vient de finir et l’empressement au renouveau de celle qui succède nous ont mis bien « du pain sur la planche ».
Nous trouvons d’abord, au Théâtre Réjane, une pièce intéressante, qui relève du genre dit « historique ». L’auteur, Émile Moreau, en est d’ailleurs spécialiste. Il fut le collaborateur de Sardou pour Madame Sans-Gêne et aussi pour Cléopâtre,
alors qu’en ce moment il tient glorieusement l’affiche du Théâtre Sarah-Bernhardt, avec le Procès de Jeanne d’Arc.
L’héroïne de sa nouvelle pièce, Madame Margot, c’est la princesse Marguerite de Valois, fille de Catherine de Médicis et première femme du roi Henri IV. Ce fut une créature aimable et galante, d’un esprit singulier, — ses mémoires en témoignent, — dont la vie accidentée et compliquée est bien faite pour allé
cher l’auteur dramatique en quête d’aventures. Alexandre Dumas père nous l’a déjà présentée sur la scène, sous le titre de la Reine Margot, mais ce fut dans une forme tragique, puisque son drame très noir nous conte l’aventure de cette princesse et du beau gentilhomme La Môle, qui mourut décapité en place de Grève, après avoir subi l’effroyable supplice de la « question ». Ici, tout au contraire, la figure est d’aspect aimable et riant. C’est le caractère enjoué de la princesse qui en forme le relief. Elle nous est présentée, après son divorce avec le roi Henri, qui vient d’épouser Marie de Médicis, fille du duc de Florence et propre nièce de Marguerite, alors que le Louvre, transformé, est devenu une sorte de phalanstère. Tout le monde y vit ensemble ou à peu près. Marie de Médicis, l’épouse, a sa chambre vis-à-vis de celle de la marquise de Verneuil, Henriette d’Entragues, la maîtresse du Roi, tandis que l’ex-reine Margue
rite, revenue à la Cour, y occupe son pavillon particulier. Les intrigues y ont beau jeu, se nouent et se dénouent, au grand casse-tête du Roi, qu’étourdit le baragouin franco-italien de Marie de Médicis, et qu’assomment les ambitieuses jérémiades de la marquise de Verneuil, qui conspire en vue d’assurer l’hé
ritage royal, au bâtard, son fils. Au milieu du tohu-bohu, Madame Margot va et vient, elle est l’influence bienfaisante, l’huile qui lubrifie les rouages, défendant le Roi contre luimême, contre ses faiblesses, et rétablissant l’équilibre avec une habileté, qui se cache sous un sourire. Adorant les enfants, elle qui n’en eut jamais, elle préside aux jeux de la marmaille royale, rejetons de toute provenance, car il y en a de Gabrielle d’Estrées, — la « charmante Gabrielle », — de la marquise de Ver
neuil, voire de la reine Marie, et tout cela vit, pêle-mêle, dans une manière de « nursery », sorte de « cabane à lapins », où se confondent toutes les races.
C’est un spectacle curieux que celui de cette comédie-drame, bien encadrée, bien habillée, avec le va-et-vient de ses person
nages historiques, avec son ensemble de détails pittoresques. Elle est d’ailleurs des plus variées dans sa contexture. On y rencontre quelques scènes sévères, et plus encore des scènes
amusantes, ornées d’un fin dialogue originalisé de quelques formes de vieux langage.
Toute la partie des « enfants » — ceux-ci jouent un rôle important — est interprétée par un choeur de petits êtres, cabotins jusque dans la moelle des os, dont les grâces enfantines sont soutenues d’une expérience de vieux comédiens. Il y a même parmi eux une petite fille, haute comme une botte, un baby de moins de six ans, qui danse, aux sons d’une boîte-à-cordes, une pavane avec pointes et jetés-battus, d’une adresse sans pareille. Puis, il y a aussi, au-dessus de tout, Réjane, actrice merveilleuse, diseuse exquise, avec sa finesse des nuances, ses émotions à fleur de peau, toujours diverse, toujours elle-même, hier « Madame Sans-Gêne », aujourd’hui « Madame Margot », et toujours Madame Réjane, ce qui est bien mieux encore!
A signaler, au Gymnase, Pierre et Thérèse, pièce en quatre actes, de Marcel Prévost ; et au théâtre des Arts, Un Cœur d’homme, pièce en quatre actes, de Madame Sarah Bernhardt, sur lesquelles il n’y a pas à s’arrêter, et passons bien vite pour arriver à l’Athénée, où l’on a trouvé, chemin faisant, à l’imprévu, presque sans y penser, ainsi d’ailleurs que le plus sou
vent, un grand succès avec le Danseur inconnu, une charmante comédie en trois actes, de Tristan Bernard. C’est une pièce exquise, faite de rien, mais finement déduite, d’un comique spi
rituel, où l’esprit aimable et séduisant est d’une qualité tout à fait personnelle, avec des dessous d’une honnêteté délicate et
saine. Elle a mis en joie le public, gagné par une belle humeur communicative, qui a franchi la rampe et envahi la salle.
Le sujet pourrait tenir en dix lignes, alors qu’on ne tarirait pas si l’on entrait dans le détail des scènes, plus suggestives les unes que les autres, et l’aventure d’André Calvel, qui n’a rien de bien neuf, est présentée avec tant d’humour qu’on s occupe peu de l’action, charmé que l’on est par l’exécution, de forme nouvelle. Celle-là ne ressemble en rien au théâtre de « fabrication industrielle », dont nous avons les oreilles rebattues.
Donc le jeune « purotin » André a pénétré, sous un habit d’emprunt, dans un bal de noces où il ne connaît personne. Il y fait rencontre d’une délicieuse jeune fille, Mademoiselle Berthe Gonthier, avec laquelle il entame la conversation traditionnelle, et, peu à peu, la sympathie naît entre les jeunes gens. De là à l’amour, il n’y a qu’un pas. Aussi, c’est le « coup de foudre », mais un coup de foudre qui ne doit pas avoir de lendemain. André Calvel n’a pas le sou, Berthe Gonthier est très riche ; le « danseur inconnu » ne restera donc qu’à l’état de souvenir. Il en serait certainement ainsi, sans l’intervention providentielle d’un ami d’André, le sieur Barthazard, autre panné de marque, mais un débrouillard sans scrupule, qui en augure autrement et veut tirer parti de la situation : « Cette jeune fille a du goût pour toi,
dit-il à André, elle est charmante, de plus très riche, il faut que tu l’épouses. — Mais je n’ai pas le sou ! — Laisse donc, ça ne fait rien, je connais le père, c’est un brave homme qui a confiance en moi, j’arrangerai les choses... — Mais je n’ai aucune position
Nous trouvons d’abord, au Théâtre Réjane, une pièce intéressante, qui relève du genre dit « historique ». L’auteur, Émile Moreau, en est d’ailleurs spécialiste. Il fut le collaborateur de Sardou pour Madame Sans-Gêne et aussi pour Cléopâtre,
alors qu’en ce moment il tient glorieusement l’affiche du Théâtre Sarah-Bernhardt, avec le Procès de Jeanne d’Arc.
L’héroïne de sa nouvelle pièce, Madame Margot, c’est la princesse Marguerite de Valois, fille de Catherine de Médicis et première femme du roi Henri IV. Ce fut une créature aimable et galante, d’un esprit singulier, — ses mémoires en témoignent, — dont la vie accidentée et compliquée est bien faite pour allé
cher l’auteur dramatique en quête d’aventures. Alexandre Dumas père nous l’a déjà présentée sur la scène, sous le titre de la Reine Margot, mais ce fut dans une forme tragique, puisque son drame très noir nous conte l’aventure de cette princesse et du beau gentilhomme La Môle, qui mourut décapité en place de Grève, après avoir subi l’effroyable supplice de la « question ». Ici, tout au contraire, la figure est d’aspect aimable et riant. C’est le caractère enjoué de la princesse qui en forme le relief. Elle nous est présentée, après son divorce avec le roi Henri, qui vient d’épouser Marie de Médicis, fille du duc de Florence et propre nièce de Marguerite, alors que le Louvre, transformé, est devenu une sorte de phalanstère. Tout le monde y vit ensemble ou à peu près. Marie de Médicis, l’épouse, a sa chambre vis-à-vis de celle de la marquise de Verneuil, Henriette d’Entragues, la maîtresse du Roi, tandis que l’ex-reine Margue
rite, revenue à la Cour, y occupe son pavillon particulier. Les intrigues y ont beau jeu, se nouent et se dénouent, au grand casse-tête du Roi, qu’étourdit le baragouin franco-italien de Marie de Médicis, et qu’assomment les ambitieuses jérémiades de la marquise de Verneuil, qui conspire en vue d’assurer l’hé
ritage royal, au bâtard, son fils. Au milieu du tohu-bohu, Madame Margot va et vient, elle est l’influence bienfaisante, l’huile qui lubrifie les rouages, défendant le Roi contre luimême, contre ses faiblesses, et rétablissant l’équilibre avec une habileté, qui se cache sous un sourire. Adorant les enfants, elle qui n’en eut jamais, elle préside aux jeux de la marmaille royale, rejetons de toute provenance, car il y en a de Gabrielle d’Estrées, — la « charmante Gabrielle », — de la marquise de Ver
neuil, voire de la reine Marie, et tout cela vit, pêle-mêle, dans une manière de « nursery », sorte de « cabane à lapins », où se confondent toutes les races.
C’est un spectacle curieux que celui de cette comédie-drame, bien encadrée, bien habillée, avec le va-et-vient de ses person
nages historiques, avec son ensemble de détails pittoresques. Elle est d’ailleurs des plus variées dans sa contexture. On y rencontre quelques scènes sévères, et plus encore des scènes
amusantes, ornées d’un fin dialogue originalisé de quelques formes de vieux langage.
Toute la partie des « enfants » — ceux-ci jouent un rôle important — est interprétée par un choeur de petits êtres, cabotins jusque dans la moelle des os, dont les grâces enfantines sont soutenues d’une expérience de vieux comédiens. Il y a même parmi eux une petite fille, haute comme une botte, un baby de moins de six ans, qui danse, aux sons d’une boîte-à-cordes, une pavane avec pointes et jetés-battus, d’une adresse sans pareille. Puis, il y a aussi, au-dessus de tout, Réjane, actrice merveilleuse, diseuse exquise, avec sa finesse des nuances, ses émotions à fleur de peau, toujours diverse, toujours elle-même, hier « Madame Sans-Gêne », aujourd’hui « Madame Margot », et toujours Madame Réjane, ce qui est bien mieux encore!
A signaler, au Gymnase, Pierre et Thérèse, pièce en quatre actes, de Marcel Prévost ; et au théâtre des Arts, Un Cœur d’homme, pièce en quatre actes, de Madame Sarah Bernhardt, sur lesquelles il n’y a pas à s’arrêter, et passons bien vite pour arriver à l’Athénée, où l’on a trouvé, chemin faisant, à l’imprévu, presque sans y penser, ainsi d’ailleurs que le plus sou
vent, un grand succès avec le Danseur inconnu, une charmante comédie en trois actes, de Tristan Bernard. C’est une pièce exquise, faite de rien, mais finement déduite, d’un comique spi
rituel, où l’esprit aimable et séduisant est d’une qualité tout à fait personnelle, avec des dessous d’une honnêteté délicate et
saine. Elle a mis en joie le public, gagné par une belle humeur communicative, qui a franchi la rampe et envahi la salle.
Le sujet pourrait tenir en dix lignes, alors qu’on ne tarirait pas si l’on entrait dans le détail des scènes, plus suggestives les unes que les autres, et l’aventure d’André Calvel, qui n’a rien de bien neuf, est présentée avec tant d’humour qu’on s occupe peu de l’action, charmé que l’on est par l’exécution, de forme nouvelle. Celle-là ne ressemble en rien au théâtre de « fabrication industrielle », dont nous avons les oreilles rebattues.
Donc le jeune « purotin » André a pénétré, sous un habit d’emprunt, dans un bal de noces où il ne connaît personne. Il y fait rencontre d’une délicieuse jeune fille, Mademoiselle Berthe Gonthier, avec laquelle il entame la conversation traditionnelle, et, peu à peu, la sympathie naît entre les jeunes gens. De là à l’amour, il n’y a qu’un pas. Aussi, c’est le « coup de foudre », mais un coup de foudre qui ne doit pas avoir de lendemain. André Calvel n’a pas le sou, Berthe Gonthier est très riche ; le « danseur inconnu » ne restera donc qu’à l’état de souvenir. Il en serait certainement ainsi, sans l’intervention providentielle d’un ami d’André, le sieur Barthazard, autre panné de marque, mais un débrouillard sans scrupule, qui en augure autrement et veut tirer parti de la situation : « Cette jeune fille a du goût pour toi,
dit-il à André, elle est charmante, de plus très riche, il faut que tu l’épouses. — Mais je n’ai pas le sou ! — Laisse donc, ça ne fait rien, je connais le père, c’est un brave homme qui a confiance en moi, j’arrangerai les choses... — Mais je n’ai aucune position