sociale ! — Je vais t’en faire une... » Et Barthazard présente son ami André, au père Gonthier, comme un jeune ingénieur des plus distingués, commissionnaire d’une grande usine d’Alle
magne, dont les remises lui assurent la bagatelle de 70,000 francs bon an, mal an. Et voilà notre André introduit dans la famille qui, de tasse de thé en tasse de thé, devient un intime, en passe de futur gendre, aimé de la jeune fille, dont il est luimôme profondément épris. Mais c’est un honnête homme, bon jeune homme, et la situation odieuse en laquelle l’a installé l’ami Barthazard lui pèse comme un abus de confiance. Il s’en échappe au moyen d’un aveu, contenu dans une lettre, où il implore son pardon. Et ceci nous vaut un troisième acte, d’un comique sans pareil et d’une verve attendrie, tel que j’en connais bien peu
d’aussi émouvants et d’aussi souriants à la fois. Celui-là se perpètre dans un magasin de meubles, où André Calvel a trouvé un petit emploi, et où Berthe Gonthier, qui l’aime toujours et quand même, vient le relancer. Là, le feu se rallume, ainsi que cela devait être, et la comédie se termine sur une scène d’amour, qui est une véritable trouvaille, interrompue à chaque instant, soit par l’entrée inopportune d’un client, soit par les sonneries du téléphone, qui transmettent la commande urgente.
Nous ne nous serions, certes, pas étendu aussi longtemps sur le compte rendu du Danseur inconnu, puisque l’analyse des pièces ne rentre qu’à demi dans le cadre de nos Quinzaines, n’était une particularité curieuse dont nous ne pouvons nous empêcher de faire part à nos lecteurs. En lisant notre brève analyse, certains d’entre eux auront peut-être remarqué comme moi, l’analogie qui existe entre le postulat du Danseur inconnu
— révérence parler — et celui de Ruy Blas. Le jeune André Calvel n’est-ce pas, comme le héros du drame de Victor Hugo, le « ver de terre amoureux d’une étoile », alors que l’ami Bar
thazard, qui le déguise en ingénieur fort achalandé; ressemble à s’y méprendre à Don Salluste transformant le valet Ruy Blas en gentilhomme? Puis, ce Don Salluste au « tout petit pied », lui commandant déplaire à Berthe Gonthier et de l’épouser, n’a-t-il pas quelque ressemblance avec l’autre Don Salluste répondant à la question que lui pose Ruy Blas :
Et que m’ordonnez-vous, seigneur, présentement?
DON SALLUSTE
De plaire à cette femme et d’être son amant !
Alors que l’aveu de son indignité fait, au deuxième acte par le pauvre Calvel, rappelle à s’y méprendre l’exclamation fameuse qui jaillit de la poitrine de Ruy Blas, au cinquième acte du drame :
Je m’appelle Ruy Blas, et ne suis qu’un valet !
Tristan Bernard, très ingénieux, s’est-il amusé à embourgeoiser le drame de Victor Hugo et à le moderniser en une forme comique ? Il se peut..., et certes, ce n’est pas moi qui l’en blâmerais, bien au contraire. Faute de nouveau, — en est-il encore au monde? — il faut chercher le « renouveau », et rien n’est plus logique et plus ingénieux que transformer la mélan
colie en rire, témoin la « Marche funéraire» de Chopin exécutée en polka, ou à peu près. A-t-il, au contraire, cédé à quelque vague souvenir sans formule, en écrivant sa pièce, ainsi que cela arrive souvent ? Gageons qu’il serait bien embarrassé pour le dire, parce qu’il ne le sait probablement pas lui-même. Ce que je sais bien, moi, par exemple, c’est qu’il a fait une pièce très réussie, et qui aura le grand succès... Alors, c’est l’essentiel.
Le Danseur inconnu est très bien joué, avec un excellent ensemble, ce qui est le cas des pièces bien faites, et je m’en, voudrais de ne pas citer à part André Brulé, aimable à souhait, élégant et parfait au delà de ce qu’on peut dire, dans le person-i nage du héros de l’aventure.
Maintenant, entendez-vous rire à gorge déployée, rire d’un
gros rire, celui qui désopile la rate? L’ouragan joyeux vient dé loin, de tout là-bas, du Théâtre Cluny, où l’on joue une folie ultraburlesque intitulée Un Mariage de Gourdes. Ça, par exemple,
ça ne s’analyse pas. On y rit parce qu’il faut y rire, et rien de plus. Ce vaudeville joyeux porte la signature de Gardel, le
propre fils du compositeur Hervé, le père de l’Œil crevé et du Petit Faust. Alors on voit que le comique n’a pas sauté une génération, mais a fait station généreuse à la suivante. La rive droite, qui aime parfois la débauche et volontiers va manger son «haricot de mouton» au cabaret, s’est ébranlée cette fois,
et l’on voit à Cluny pas mal de gilets en cœur et de plastrons reluisants qui vont assister au mariage des Gourdes, où l’oncle delà mariée, le pompier Coradin, déploie un entrain ahurissant.
Ce, pendant que, sur la rive droite, aux Folies-Bergère, triomphe la Revue annuelle, en une mise en scène étincelante et éblouissante, où la paillette éclate, où tout est de plus fort en plus fort, comme disait l’ancêtre Nicolet.
Comme tous les ans nous avons eu, à la Chambre des députés, à propos du budget des Beaux-Arts, l’intermède comique du rapport sur les théâtres subventionnés. C’est, chaque fois, un monument de naïveté délicieuse, combinaison réglementaire de lieux communs, que pourrait signer Joseph Prudhomme, et contresigner Gribouille. Il ne faut d’ailleurs pas en vouloir au brave député auteur de ce palabre. Le mandat législatif ne con
fère pas toutes les compétences, et l’on est bien obligé, parfois,
de juger sur « façade » et de parler de choses qu’on ignore, ce qui est le cas. Au même Théâtre parlementaire, deux députés avisés ont proposé — ils ne savent pourquoi ? — de réduire les subventions des théâtres nationaux de quelques centaines de mille francs. La proposition me paraît inopportune; ce n’est pas au moment où règne Pataud, où sévissent les syndicats et
où-les frais-d’exploitation augmentent, chaque jour, qu’il faut songer à réduire. C’est le contraire du sens commun. On peut supprimer les subventions, ça c’est une manière de voir qui pourrait se défendre, mais les réduire, c’est une autre affaire !
Très intéressante, la séànce annuelle du comité de la Comédie, à fin de nomination de sociétaires. On fut, cette fois, très généreux ; furent nommés à trois douzièmes : Messieurs Des
sonnes, Crouéët André Brunot, Mesdames Géniat, Louise Silvain
et Delvair. Tous les sociétaires n’ayant pas part entière furent augmentés de quelque douzième, chacun, comme l’on dit, en «prenant pour son grade », tandis que le brave Huguenet, lui,
franchissant d’un seul coup toutes les étapes, comme le soldat Fritz de la Grande-Duchesse, — il le jouait joliment bien, au
temps jadis, quand régnait l’opérette, — a passé sociétaire à part entière, à la grande joie de ses camarades, du public, et... de lui-même. On a contenté, cette fois, tout le monde et son père. Cette année, la part de sociétaire paraît fixée à quinze mille francs__ça n’est pas énorme !
Enfin, disons que notre confrère et ami Le Senne a repris avec grand succès son feuilleton parlé, qui fait fureur; et qu’en librairie théâtrale ont paru : chez Eug. Fasquelle, le quatrième volume du « Théâtre de Maurice Donnay », contenant deux des meilleures pièces de son répertoire : l’Autre Danger et le Retour de Jérusalem, — et chez Calmann-Lévy, le premier volume du « Théâtre complet d’Ed. Pailleron », contenant ses premières pièces, celles des débuts : le Parasite, — le Mur mitoyèn, — le Dernier Quartier, — le Second Mouvement, — le Monde où l on s’amuse.
De combien de choses j’aurais encore à vous entretenir, toutes très importantes: «les syndicats au théâtre», —«la
vente des billets de faveur », — « le droit des pauvres sous sa nouvelle forme», — « la question des ouvreuses », — «la discrétion nécessaire en matière de répétition générale», que
sais-je encore? Toutes questions d’actualité; mais il faut remettre, faute de place ; ce sera donc pour une autre fois : « A chaque quinzaine suffit sa tâche ! »
FÉLIX DUQUESNEL.