La Quinzaine Théâtrale


parce qu’un des tableaux, le cinquième, donne une reproduction vive et animée de la peinture fameuse d’Alph. de Neuville, représentant un des épisodes de l’héroïque résistance de Bazeilles en 1870. Ce tableau, d’impression douloureuse, est assez bien mis en scène, et constitue le « clou » de la soirée, où, d’ailleurs, il vient en hors-d’œuvre.
Au Vaudeville, le Devoir conjugal, la comédie nouvelle de M. Léon Gandillot, n’a eu que demi-fortune. Le sujet en est délicat, et repose sur un petit démêlé d’alcôve, étude de psycho
logie physique d’une certaine crudité déplaisante. Cécile se plaint de la froideur de son mari, dont l’ardeur au devoir matri
monial s’est, àson gré, calmée trop vite; tandis que, de son côté, Robert, l’époux, se plaint de n’avoir pas rencontré dans le mariage ce qu’il en attendait. Il est fatigué de retrouver tous les jours les mêmes tendresses, de voir, chaque soir, la même tête sur le même oreiller, d’où lassitude, agacement, et... saturation. Les confi
dences dumari entenduespar la femme, qui écoutait parsurprise, amènent une rupture entre les deux époux. Il est bien entendu, d’ailleurs, qu’après quelques agitations stériles, on se rapproche,
la réflexion ayant amené les parties à un me\\o termine, qui est le triomphe de la logique, laquelle s’assied à côté de la vérité sur la place du milieu : in medio stat veritas. La théorie des con
cessions mutuelles étant de nécessité en matière conjugale, Monsieur se montrera dans l’avenir plus généreux de lui-même, plus soucieux de son « devoir » de mari; tandis que Madame sera moins exigeante, plus modérée, l’excès pouvant engendrer la satiété. Comme on le peut voir, le sujet est scabreux, et je crois que l’auteur, d’ordinaire mieux inspiré, a choisi un terrain glissant.
Aux Folies-Dramatiques, où le Billet de Logement tint l’affiche plus d’uneannée entière, c’est un vaudeville de gaieté folle signé Tristan Bernard qui a pris la succession. Celui-ci est encore une pièce militaire, — tout au moins les personnages principaux y portent l’uniforme, — et cela se passe, comme souvent, entre réser
vistes. Ces sortes de choses qu’il faut prendre du bon côté, celui du rire, sans réflexion, pour le plaisir de rire, ne se racontent
guère, et le ciel me garde de chercher à m’y reconnaître dans cet assemblage de quiproquos très amusants, où se désopile la rate. Cela tient de la façon du vieux vaudeville, et rappelle la Cagnotte, le Chapeau de Paille d Italie ou la Mariée du Mardi-Gras. Ce qui est curieux, c’est que c’est très bien joué, par des artistes sans grande notoriété, mais qui y mettent tant d’ardeur, tant d’entrain et de verve, qu’on les admire sous leur presque anonymat. Il y a, entre autres, un type de vieux paysan, pares
seux, ivrogne et madré, qui est un vrai chef-d’œuvre d’exécution.
Il est impossible d’être plus vrai, plus vivant; c’est pris en pleine réalité, et Modot, le comédien qui joue ce rôle, a un vrai talent d’assimilation.
Parlons, maintenant, de l’Odéon et de la Comédie-Française, et aussi des incidents de la quinzaine, dans laMaison deMolière: d’abord, le i5 du mois dernier, c’était l’anniversaire de la nais
sance du Patron, — une fête locale qui revient tous les ans et coïncide avec le terme de janvier. -— Cette fois, c’était le 281e, et il est de tradition, comme on le sait, de dire le « bout de l’an » sur la rive droite et sur la rive gauche, à la Comédie-Française et à l’Odéon. La cérémonie consiste à jouer, ce jour-là, « exclusivement » du Molière — on souhaite la fête au grand auteur
Notre numéro d’aujourd’hui donne les aspects les plus intéressants de la nouvelle édition d’Orphée aux Enfers, telle que nous l’a présentée le théâtre des Variétés. Celle-ci, il faut le dire, dépasse singulièrement en richesse, tout ce qui a été fait jusqu’à ce jour. Le succès de cette reprise aura été considérable, mais le directeur du théâtre peut en revendiquer une belle part, pour la façon tout artistique avec laquelle il a monté le chefd œuvre d’Offenbach. Certes, l’exécution n’en pouvait être qu’excellente, avec des comédiens comme Brasseur, Guy, Baron, Max-Dearly; d exquises comédiennes, comme Eve Lavallière, Jeanne Saulier, Brésil, Dorgère, et surtout Méaly, la seule à cette heure qui, grâce à sa voix solide et d’un si bon timbre, puisse tenir, sans faiblesse, le rôle fatigant d’Eurydice avec un or
chestre sonore, et des chœurs faits de voix fraîches, parce qu’on a eu soin d’en éliminer les choristes hors d’âge des deux sexes, comme trop souvent on en voit « chevroter » dans les théâtres de musique.
Mais ce qui m’a paru encore au-dessus de tout, c est la mise en scène décorative. — Je crois que jamais on n’a fait mieux, si toutefois on a fait aussi bien. — C’est une orgie de lumière, de couleurs, de paillettes, un chatoiement de blanches épaules et de regards bleus et noirs, encadrés par des décors merveilleux. Celui du second acte, entre autres, signé Amable, avec son horizon immense et sa silhouette lointaine du Parthénon, se découpant sur le ciel d’un gris rose, est d’une perspective étonnante. Le der
nier, celui de l’Enfer, signé Lemeunier, est d’une tonalité superbe dans ses teintes de feu.
Il y a, au courant de la soirée, des tableaux vivants très harmonieux posés de main d’artiste. Celui des « Heures» qu’éclaire Astarté, la lune, couchée sur un nuage vaporeux, et que traverse une lueur bleue, est de délicieuse poésie. Au baisser du rideau du dernier acte, legroupedeBacchus, pris dansun horizon lumineux, a des aspects de Rubens. Ces tableaux ont été réglés et mis au point par un véritable artiste, M. Lemoine, qui mérite vraimentqu’onlenomme. 11 y a, m’a-t-on dit, cinq cents costumes, je le crois sans peine.Ceux du défilé de l’Olympe, qui termine le second acte, sont superbes; il en est aussi qui sont très som
maires, une simple guirlande de roses, et c’est tout, -dame ! il fait chaud dans l’Olympe, où l’on ignore les maussaderies de l’hiver. Tous ces costumes ont été composés et dessinés par Gerbault, qui a l’imagination et le coup de crayon, l’une qui invente, l’autre qui traduit. A quoi bon, d’ailleurs, s’étendre sur la mise en scène A Orphée aux Enfers? les reproductions si exactes et si artistiques du journal le Théâtre en donnent le spectacle bien mieux que toutes les descriptions qu’on pourrait en faire.
Les nouveautés de la quinzaine sont moins abondantes que d’ordinaire, les théâtres se sont un peu calmés après l’orage de fin d’année, où tous s’empressent, pour profiter de la moisson du Jour de l’an. Je ne vois guère à signaler que le drame nouveau de l’Ambigu, les Dernières Cartouches ; la comédie du Vaude
ville, le Devoir conjugal; et le vaudeville des Folies-Dramatiques, la Famille du Brasseur.
Le drame des Dernières Cartouches est assez vulgaire, c’est le mélo ordinaire, touffu, enchevêtré, peu clair. Compliqué à plaisir, il ne justifie son titre de Dernières Cartouches, que