dramatique, avec des fleurs cueillies dans son jardin — et à y adjoindre un petit acte d’à-propos plus ou moins réussi, où, régu
lièrement, la Muse vient faire la leçon des choses, et prédire, après coup, ce qui sera dans l avenir, cet avenir qui, depuis longtemps, est devenu du passé! On n’y a pas manqué, cette année, et tout s’est accompli comme d’habitude. A l’Odéon, on a joué les Fourberies de Scapin et le Malade imaginaire, avec un à-propos intitulé le Rire, lequel mettait en scène Molière lui-même, en compagnie des comédiens Lagrange, l’homme au registre, Baron, Armande Béjart, et aussi la vieille servante de Molière, « Laforêt ».
A la Comédie, on s’est mis plus en frais et on a fait quelque effort. On a joué non seulement l École des Femmes, mais aussi la Critique de l’Ecole des Femmes, qui, depuis longtemps, n’avait pas paru à la scène, et qui est bien le plus exquis morceau de critique spirituelle et mordante qu’on puisse voir. Ce fut bien joué par Coquelin cadet, d’impertinente sottise, dansle Marquis « Tarte à la crème! » ; Baillet, qui a plus de raisonnement que de passion; Truffier, plaisant dans Lysidas, l’auteur de peu d’indul
gence pour ses confrères. Mademoiselle Marie Leconte fut exquise dans le rôle de Clémence, la Précieuse, — quelle char
mante comédienne, que la nouvelle sociétaire, et que de bonnes choses on peut attendre d elle ! — et Mademoiselle Cécile Sorel fit preuve de bon sens et de bonne foi, dans le personnage sym
bolique d’Uranie, à qui elle a prêté sa voix chaude et de timbre pénétrant, pour donner la volée à de belles et bonnes vérités.
L’à-propos nécessaire et coutumier portait, ici. pour titre, Molière et sa Servante, il était signé Maurice Miilot, écrit en vers aisés, clairs et simples, avec une idée ingénieuse; c’est dire qu’il était supérieur à ce qu’on nous offre, d’ordinaire, en pareille circonstance. Là aussi, on a mis en scène la servante de Molière, mais sous le nom de « Laforest », — quelle est la véritable orthographe du nom de la célèbre servante, célèbre assurément par sa légende, mais bien ignorée dans son origine? ça n’est pas facile à savoir. J’en vois au moins trois en pré
sence : — « Laforêt », dit l’Odéon ; « Laforest », dit la Comédie- Française, ce qui est, d’ailleurs, à peu près la même chose en vieilleorthographe ; et «Laforêt», disent Larousse et l’Encyclo
pédie. Comme il est difficile de s entendre, même sur les plus petites choses! On en sait peu, sur l’origine de la servante de Molière, si ce n’est que l’auteur dramatique lui lisait volontiers ses pièces. Mais, était-ce pour en essayer l’effet sur une âme fruste qui, sans doute, représentait, pour lui, l’âme du Public ? Etait-ce, au contraire, pour prendre ses conseils, conseils de femme avisée et prudente ? Les deux versions se défendent, car, pour les uns, Laforêt, Laforest ou Laforêt —comme il vous plaira, au fond, il n’importe guère — était une sorte de paysanne impulsive et de gros bon sens, Martine ou Dorine, dont Molière cherchait simplement à surprendre les sensa
tions; selon les autres, ce fut une femme instruite, la veuve sans fortune d’un chirurgien, sorte de dame de compagnie du poète, qui l’avait en estime, et volontiers la consultait sur toutes choses.
Nous avons eu, à la même Comédie-Française, une intéressante représentation du Misanthrope, pour les seconds débuts classiques de Mademoiselle Cécile Sorel, qui bravement affronta le rôle de Célimène, l’un des plus complexes du répertoire, celui qui est réputé le casse-cou des grandes coquettes. On sait qu’à la Comédie, on n’est vraiment réputé être de la Maison qu’après avoir accompli trois débuts dans le répertoire clas
sique. C’est ainsi qu’on s’affirme et qu’on établit son «emploi». Certains esquivent l’épreuve, souvent difficile pour ceux qui n’ont pas passé par le Conservatoire. Mademoiselle Sorel n’est pas du Conservatoire, mais elle est mieux encore, c’est une artiste de vocation, qui s’est juré à elle-même d’arriver à force de travail. Servie par ses qualités naturelles, elle est faite et venue au monde pour l’emploi des grandes coquettes, et, en jouant Célimène, elle a tracé sa voie. L’épreuve lui a réussi. La comédienne est irréprochable au point de vue plastique, et sa taille élégante s’accommode merveilleusement du costume Louis XIV, où, dans sa robe de velours groseille, à long cor
sage, elle semble un de ces beaux portraits que peignit Largillière. Elle a bien la tenue, le port et l’aspect du rôle,
qu’elle a dit finement, avec coquetterie, parfois avec malice. Elle a donné particulièrement bien la scène traditionnelle avec Arsinoë, où elle a riposté d’une bonne raillerie fine et imperti
nente, à la maîtrise de Mademoiselle Pierson, qui joue vraiment bien le personnage de l’héroïque bégueule. Mais où l’on sent que Mademoiselle Sorel est une artiste de volonté, c’est au cin
quième acte du Misanthrope, alors que le rôle parle moins, mais «écoute»; or, «écouter», au théâtre, c’est la pierrede touche, et la nouvelle Célimène sait écouter et se donne la peine de le faire. Elle a exécuté aussi, avec beaucoup de tact et d adresse, la sortie dédaigneuse, précédée des hésitations et soutenue du fameux battement d’éventail inventé par Mademoiselle Mars, qui est resté de tradition dans le rôle de Célimène.
On continue, à la Comédie, à s’occuper du « cas de Mademoiselle Brandès ». Nous avons expliqué de quoi il s’agissait dans notre dernière Quinzaine théâtrale, nous n’y reviendrons donc que pour vous dire où en sont les choses : Eh bien, on en est à la guerre! Mademoiselle Brandès, qui était partie pour Monte- Carlo, en représentation, après avoir envoyé sa lettre de demande au Ministre des Beaux-Arts, est revenue ces jours-ci, à temps pour recevoir la réponse de celui-ci. Le Ministre, qui est tout-puissant, aux termes mêmes du décret de Moscou, — qui vise, il est vrai, le surintendant des théâtres, lequel n’existe plus dans notre hiérarchie, où il est remplacé par le Ministre iui-même, — le Ministre, dis-je, n’a pas jugé qu’il y eût lieu à la mesure exceptionnelle de l’augmentation de six douzièmes, que réclamait la sociétaire. La dérogation à deux douzièmes de supplément, au lieu du douzième réglementaire, lui a paru suf


fisante, et il l’a signifié, à Mademoiselle Brandès, en une longue


lettre de réponse, où il exprime ses regrets en donnant ses raisons, qui sont plus juridiques que sentimentales. Mademoi
selle Brandès a riposté, en ne se rendant pas à la répétition de la pièced’Octave Mirbeau, les Affaires sont les Affaires..., ce qui équivaut à un refus de service.
« Qu’allez-vous faire? — a demandé un interviewer, à l’administrateur général.
— Suivre la procédure habituelle en pareil cas ! — a répondu M. Claretie.


— Qui est ?...


— Qui est une mise en demeure, suivie de l’assignation nécessaire, quand le comité et l’administration officielle se seront mis d’accord. Mademoiselle Brandès est liée pour dix ans avec la Comédie, et ne peut, en tout cas, jouer sur aucune scène sans autorisation ministérielle; aussi, nous demanderons l’indemnité, l’astreinte par chaque jour de retard et aussi par représentation, comme c’est l’usage, ce sera la procédure employée déjà lors de la fugue de Sarah Bernhardt, et aussi lors du refus d’observation des clauses de son traité par Coquelin..., nous avons malheureusement déjà l’expérience de cette procédure. »
Cela est logique, assurément ; mais, ainsi que nous l’écrivions l’autre fois, il paraît bien difficile d’avoir deux poids et deux mesures. La procédure faite contre Coquelin, et qui dura deux ans, fut une procédure inutile, naïve même, puisque Coquelin, une fois condamné, doublement condamné, la Comé
die s’inclina, de par la volonté ministérielle, et, au mépris des lois et des décrets, laissa Coquelin en agirà sa guise. D’ailleurs, il faut bien le dire, les lois et les décrets, on les observe ou on ne les observe pas, à volonté. Ainsi, il est entendu maintenant que les artistes de la Comédie-Française prennent des congés
quand bon leur semble, lâchent leur service tout à leur gré pour aller, en toute saison, donner des représentations au dehors, soit à l’étranger, soit en province, alors que le décret de Moscou déclare que les congés ne peuvent être pris que du mois de mai
au mois de septembre, c’est-à-dire pendant l’été, alors que l’exploitation du théâtre n’en peut souffrir. La conclusion, c’est que si le décret de Moscou est vétuste et a fini son temps, comme certains le prétendent, on ferait bien de le rapporter et de refaire à nouveau le règlement de la Comédie; que si, au con
traire, comme cela est l’avis de certains autres, il est encore la charte utile de notre premierthéâtre, le mieuxserait de l’observer dans sa teneur, ce dont on paraît ne se soucier qu’à demi.


FÉLIX DUQUESNEL.