La Quinzaine Théâtrale


l’espoir d’une descendance, et fait signera Elise,qu’il affoled’un flux de paroles, une déclaration de grossesse qui lui accorde dix mois de délai légal pour... confirmer son dire. Il faut donc que, dans ce délai, l’héritier présumé fasse son entrée dans le monde.
Voilà le scabreux postulat; on voit ce que des auteurs habiles ont pu en tirer. C’est d’abord la course folle en recherche, non pas du « plus grand commun diviseur... », non, mais du « facteur de la multiplication » nécessaire. Ils ont trouvé des situa
tions désopilantes, des rebondissements inespérés. Tout cela, manipulé de main assez légère pour qu’on ne fasse que frôler, sans appuyer outre mesure. Au moment où on croit que l’action va languir, l’intervention d’un personnage nouveau remet tout en cause. Ce personnage falot, imprévu, n’est autre que le secré
taire de la mairie de Guéret, le nommé Escalopier, un mufle idéal, délégué par la ville héritière, pour surveiller Madame veuve Mouluret, en qualité de « curateur au ventre », c’est l’expression légale. L’ignoble Escalopier s’installe dans la maison, comme un garnisaire, et c’est alors la course folle, Escalo
pier, dont on ne sait comment se défaire, promené, toute une nuit,des Folies-Bergère en Maxim’s, de Maxim’s en Pré Catelan. La folie déborde, le rire s esclaffe jusqu’au dénouement, qui est la découverte du testament, qu’on n’espérait plus, et qu’on retrouve au fond d’une vieille potiche cassée par accident.
Il est difficile de donner idée, par une analyse sèche et rapide, du mouvement endiablé de cette bouffonnerie, jouée avec beaucoup de fantaisie et de « furia », et qui prend ragoût particulier de personnages épisodiques très bien dessinés et
d’un comique vraiment pittoresque, entre autres le couturier Pauline-Sœurs, portrait pris sur nature d’un professionnel
célèbre, dont la barbe en éventail fait légende; et le docteur Paradeux, un hypnotisé, qui fait un cours imaginaire, réfutant, par une pantomime vive et animée, les objections qu’on ne lui fait pas. A citer, les interprètes Matrat (l’architecte Croche), qui mène la sarabande; Le Gallo, amoureux romantique, à gestes automatiques et phrases entrecoupées; Jean Périer (le couturier Pauline-Sœurs , tour à tour chanteur et comédien, mais cette fois comédien exquis ; Levesque (le curateur au ventre) et Bouchard (le docteur Paradeux). Mademoiselle Mar
guerite Caron, à force d’adresse, d’esprit et de tact, rend accep
table, et même sympathique, le rôle délicat d’Elise Mouluret, qui court à travers les œufs sans faire d’omelette.
Les premières représentations se suivent et ne se ressemblent pas, c’est le cas de le dire; au lendemain de la folie de
l’Athénée, nous avons eu, à l’Odéon, la pièce lugubre et demisymbolique, les Appeleurs, sorte de tragédie bourgeoise de M. Ambroise Janvier, qui a dépensé beaucoup de talent en pure perie, voulant nous prouver que, sur cette terre, notre bonheur est bien plus fait d’illusions que de réalité. Il se peut, mais alors qu’on nous laisse nos illusions, elles ne sont pas inutiles, et nous les perdons assez vite.
Passons maintenant au Vaudeville, ou Réjane, qui vient d’y rentrer, a créé un rôle nouveau dans Heureuse !, une aimable comédie de Maurice Hennequin et Paul Bilhaud. Heureuse!
appartient bien, en effet, au genre aimable. C’est la comédie qui plaît, parce que finement écrite, en belle humeur, qui fait sou
rire plutôt que rire aux éclats, et ne manque ni d’agrément ni de
charme dans son exécution. C’est encore le divorce qui fait les frais de cette aventure, parfois contée déjà, d’un ménage divorcé, où, par la force des événements et du caprice, le mari reprend sa femme après le divorce, qui a dissipé le malentendu. Ici, l’ori
ginalité de la conception, c’est que le mari n° i — numérotons les pièces de l’échiquier pour mieux nous faire comprendre — devient l’amant n° 2, alors que l’amant n° 1, devenu le mari n° 2, se trouve trompé par celui-là même qu’il trompait autrefois. Cela s’appelait, en Israël, la peine du talion. C’est excellemment
joué par André Dubosc (le mari n° 1, amant n° 2), Noblet (l’amant n° 1, mari n° 2) et par Réjane (la femme, selon l’Evan
gile de Gavarni, possédant à fond « les roueries en matière de sentiment »), toujours parfaite, toujours elle-même, c’est-à-dire la comédienne qui ne peut monter plus haut, étant arrivée au sommet extrême de l’échelle.
Les tablettes de la quinzaine sont remplies, si remplies même, qu’il va falloir glisser, sans appuyer, sur les choses d’importance mé
diocre, afin de pouvoir mieux insister sur les autres, en nous efforçant de n’oublier rien, ni personne.
Au Théâtre Antoine, il y a eu spectacle de
transition, deux pièces assez intéressantes, mais qui sont de la catégorie de celles sur lesquelles, pour parler le jargon usuel, « on ne fonde pas de grandes espérances ». — Le Colonel Cliabert n’est qu’une découpure prise dans le roman de Balzac, image de grand Epinal, en quatre feuilles,
de l’aventure du vieux brave laissé pour mort à Eylau, qui, revenant inopportun, vient traverser le nouveau ménage de sa veuve remariée, et devenue la comtesse Féraud, comme un chien mal appris traverse un jeu de quilles : « La destinée lamentable du héros sorti de l Hospice des Enfants trouvés qui revient mourir à l Hospice de la Vieillesse, à Bicêtre, après avoir aidé, dans l’intervalle, Napoléon à conquérir l Egypte et l’Europe... » comme dit l’avoué Dcrville, qui fait le dénouement du drame par la leçon des choses, cette destinée est plus intéres
sante à suivre dans le livre qu’à la scène. La forme concrète, voire un peu brutale du théâtre, a de la sécheresse, et l’action, dépouillée de ses détails pittoresques, y prend un aspect de maigreur. — Bonne Fortune, deux actes de M. André Picard,
n’est que marivaudage du « xxe siècle », d’une forme finement spirituelle, bien que trop cherchée, où l’auieur semble avoir manqué de parti pris. — Le spectacle n’était, d’ailleurs, que de transition, et aura, vraisemblablement, quitté l’affiche quand paraîtront ces lignes.
A la Porte-Saint-Martin, reprise de la vieille Tour de Nesle, dont les tirades échevelées passionnaient naguère et font sou
rire aujourd’hui. C’est démodé au delà de ce qu’on peut dire,
et le vieux « panache » est tout à fait déplumé, mais qu’importe ? le drame, en lui-même, est si passionnant, les situations s’y accu
mulent, depuis le commencement jusqu’à la fin, avec une telle
abondance, que l’intérêt ne languit pas une minute. Aussi, le public a suivi, avec une attention étonnée, les péripéties saisis
santes de ce conte à dormir debout, raconté par des fantoches.
Si j’excepte Krauss, Buridan adroit mais étriqué et sans héroïsme ; Madame Gilda Darty, Marguerite de Bôiurgogne fort jolie mais sans autorité, les autres n ont droit qu’à l’oubli, qui est une forme de l’indulgence.
A l’Athénée, je trouve un gros succès, avec une comédiebouffe, l Enfant du Miracle, trois actes de MM. Paul Gavault et
Robert Charvay, amusant et du comique le plus aigu. La situation est presque nouvelle, en tout cas, très imprévue. En voici le postulat en quelques lignes : l’entrepreneur Mou
luret, riche comme Crésus, a quitté ce monde laissant un héritage de dix millions, et une veuve toute jeune encore et tout à fait charmante. Entre le mari et la femme, il y avait simplement trente-cinq ans de différence. Le ménage était d’ailleurs parfait. Mouluret adorait sa femme, qui l’entourait des soins les plus affectueux. Aussi suppose-t-on que la for


tune va revenir à celle-ci. 11 doit y avoir un testament en sa


faveur. Or, de testament, on n’en trouve nulle part. Et le notaire de la famille prévient Elise Mouluret, l’aimable veuve, que, faute d’un testament à son profit, il y en a un autre, un ancien,
déposé en son étude, celui-là antérieur au mariage, —mais valable, s’il n’a pas été révoqué, — lequel attribuait toute la fortune du défunt à la ville de Guéret, son pays d’origine, à charge par celle-ci de lui élever une statue. Voilà un incident imprévu qui ne met en joie ni la veuve, ni l’architecte Croche, qui lui a vendu, pour cinq cent mille francs, un castel moyen
âgeux qui en valait bien vingt-cinq mille, ni son amie, Madame Berthe Paradeux, qui lui a emprunté vingt-cinq mille francs et aimerait à ne pas les rendre. Croche, qui est un vieux malin que les scrupules ne font pas tousser, s’avise que, dans ce testa
ment d’autrefois, Mouluret a spécifié que celui-ci n’aurait d’effet qu’au cas où, au jour de son décès, « il n’aurait pas de descendance légitime ». Que fait alors notre Crpche? Il affirme