folle ivresse, le poète, enfin dégrisé, s’aperçut avec horreur qu’il ne tenait qu’une hideuse sorcière entre ses bras.
Il aurait bien voulu alors se dégager de sa promesse et regagner son tranquille manoir d’Enceldonne, mais la vilaine enchanteresse ne l’entendait pas ainsi : elle contraignit celui qu’elle avait séduit à monter avec elle sur le coursier qui l’avait amenée et tous les deux, chevauchant sur cette monture magique, arrivèrent en un instant dans une région éblouissante de lumière où Titania — car c’était elle la belle chasseresse — reprit ses formes les plus séduisantes et se montra à son cher amant dans le rayonnant appareil qui convenait à la reine des fées. Et pendant sept jours — tout marche par sept dans cette vieille histoire — pendant sept jours qui passèrent avec une
rapidité vertigineuse, encore qu ils représentassent sept années pour les pauvres mortels, le poète goûta les jouissances les plus raffinées, les plus enivrantes ; après quoi, la fée, qui n’avait plus rien à apprendre de lui, le reconduisit poliment sous le chêne où elle l’avait rencontré et lui tira sa révérence, en lui promettant toutefois de venir le chercher quand sa dernière heure serait proche, et en lui accordant le don de prophétie, grâce auquel le bon poète émerveilla ses contemporains et fut en grand honneur durant tout le restant de sa vie. Un beau soir enfin, il vit apparaître une biche d’une blancheur surnaturelle au haut du mont Farnalie qui s’élevait non loin du manoir : Thomas n’hésita pas à comprendre que cette blanche messagère lui était envoyée par la compatissante déesse ; il suivit la bête fantastique, disparut avec elle dans les eaux du Leader, et s’engloutit... Pour tout le monde, il était mort; en réalité, il avait rejoint pour toujours dans son royaume enchanté la fée qui avait tenu sa promesse et l’avait fait immortel.
L’aventure de Yann le rimeur, telle que Louis Gallet et M. André Corneau l’ont brodée d’après ce premier thème, est loin de se terminer d’une façon aussi heureuse, car nous voyons mourir à la fin le poète qui a méconnu le bonheur ter
restre pour aspirer à des jouissances supraterrestres et qui a cru, un instant, les pouvoir posséder dans un rêve chimérique; puis nous voyons expirer, par contrecoup, celle qui l’aimait du plus profond de son cœur et lui aurait fait l’existence la plus heureuse sur terre s’il avait pu se détacher de ses folles rêvas
series. D’où il se dégage cette moralité que le vrai sage doit se contenter du bonheur qu’il peut atteindre et qu’il a près de lui, sous la main, au lieu de se perdre dans des conceptions de l’autre monde et des aspirations vers l’idéal suprême, l’éternel amour, auquel nul ne saurait atteindre. C’est pourquoi Yann, et Hermine avec lui, expirent dans la forêt glacée, sous les flocons de neige qui forment bientôt un épais linceul, en expia
tion des rêves fous qu’a osé former Yann et qu’il a pensé devoir se réaliser entre les bras de la trompeuse Titania.
Car celle-ci, quand elle a trouvé le poète endormi sous le chêne des fées où elle aime à attirer les jeunes garçons sur lesquels elle a jeté son dévolu, n’a rien eu de plus pressé, le voyant éperdument épris d’elle, que de se refuser à son étreinte et de l’enlever avec elle dans le radieux royaume où son époux Obéron commande au peuple ailé des elfes, sylphes et lutins.
Yann, devant qu’apparût la déesse, avait repoussé les sages conseils de la douce Hermine qui voulait le retenir auprès d’elle ; et le malheureux courait à sa perte en n’écoutant pas la voix de son amante, en se laissant attirer par la promesse d’ensorcelantes caresses de la part de la belle Titania. Ce n’est pas qu’Obéron soit un dieu méchant ni un mari jaloux ; il est même assez accommodant d’ordinaire; il enseigne avec phi
losophie qu’une fidélité éternelle ne saurait être exigible entre époux unis pour l’éternité et il se console des incessantes infi
délités de sa femme avec de très séduisantes déesses qui bercent son sommeil en dansant devant ses yeux à demi clos des danses passablement lascives : que Titania s’en donne à cœur joie, a-t-il l’air de penser, pourvu qu’elle ne trouble pas mon délicieux tête-à-tête avec la voluptueuse Philida !
Mais Puck, ou plutôt Rolin, ce méchant lutin, fils d’Obéron mais non fils de Titania, se mêle ici de la partie. 11 représente à son père insouciant que c’est par tout le monde, au ciel et sur la terre, un éclat de rire universel en ce qui le concerne et que sa longanimité conjugale est un sujet de plaisanteries
THÉATRE NATIONAL DE L’OPÉRA-COMIQUE
TITANIA
titania. — Mme Jeanne Raunay
Cliché Boyer.