LE THÉATRE ANTOINE EN 1904=1905


LE MEILLEUR PARTI, pièce en quatre actes de M, MAURICE MAINDRON.— LA RATE, comédie en trois actes DE M. JEAN THOREL. — L AMOURETTE, COMÉDIE EN TROIS ACTES, DE M. P. WEBER. — DISCIPLINE, PIÈCE EN DEUX ACTES, DE M. DE COU RING, ADAPTÉE PAR M. JEAN THOREL.
emandez à un habitant lettré des provinces ou de l’étranger dans quels théâtres il se rendra lorsqu’il viendra passer quelques jours à Paris. Il vous répondra certainement — sous réserve qu’un triomphal succès, comme Cyrano, par exemple, ne dominera pas son attention — : « J’irai à la Cdmédie-Française et chez Antoine. » On va au Théâtre-Français comme on entre néces
sairement au Louvre ou à la Madeleine ; mais aussi, faute de passer pour un Huron, comme on disait au xvme siècle, on ne peut se dispenser désormais, quand on traverse Paris, de passer une soirée chez Antoine.
Et il ne s’agit point d’une vogue passagère, d’un éphémère engouement, de ceux que le snobisme établit et démolit avec la même légèreté et la même désinvolture. La renommée d’Antoine repose sur des fondements solides : la prodigieuse activité du directeur, sa curiosité toujours éveillée, son intelligence de l’art dramatique, son habileté pour former des interprètes, son hon
nêteté administrative, un ensemble de qualités de premier ordre que l’on trouve rarement réunies.
Il n’est pas de ces directeurs qui cherchent la pièce « américaine », destinée à donner coûte que coûte trois cents représenta
tions et qui dépensent, pour une œuvre souvent médiocre, dans une réclame préventive, l ingéniosité qu’ils devraient employer à trouver de bons manuscrits. Ceux-là, le moindre échec les décourage et les déprime : joueurs de baccara, ils se désespèrent quand ils n’abattent pas « neuf » ; quelles « bûches », d’ailleurs, leur jeu renferme le plus souvent! Antoine lit les manuscrits ; il sait les choisir; il présente les œuvres sous le meilleur jour ; s’il s’est trompé, ce qui est rare, il ne perd pas la tête. Vite, à un autre ouvrage, et toujours au travail ! Aussi le public a confiance dans Antoine. Il sait que pour l’argent qu’il apporte — et Antoine ne lui en demande pas beaucoup — il aura sûrement une soirée bien remplie, d’un intérêt réel, qui le passionnera ou l’amusera, qui le fera réfléchir et penser.
Si Antoine n’existait pas, il faudrait l’inventer.
Le morceau capital de la saison a été, sans constestation possible, la traduction faite par MM. Pierre Loti et Vedel du chefd’œuvre shakespearien Le Roi Lear. Un long article a été consacré déjà, dans le Théâtre (n° 146, janvier 1905 II), à cette magnifique restitution. Je n’ai pas à revenir surunsujet que mon confrère et ami M. Louis Schneider a traité au mieux et j’arrive tout de suite aux autres représentations essentielles de l’année.
Voici, d’abord, en octobre, Discipline, pièce allemande en deux actes, qu’encadraient deux autres ouvrages.
Discipline n’est pas seulement une pièce allemande (l’auteur s’appelle M. de Couring et l’adaptateur français M. JeanThorel); c’est une pièce où l’on ne voit que des uniformes allemands.
J’avoue que, pour quelques-uns d’entre nous, de ceux qui, enfants ou hommes faits, connurent les horreurs de l’invasion de 1870, de ceux aussi dont le pays natal, arraché à la mèrepatrie, fut cédé à un vainqueur impitoyable, pour tous ceux-là, dis-je, il ne fut guère agréable de contempler ces uhlans qui se
montrèrent particulièrement barbares et féroces sur le sol français envahi. Je ne veux pas insister sur ces douloureux souvenirs.
Le commandant de Besser, officier sorti du rang, brave soldat, bon pour ses inférieurs capitaines, lieutenants ou soldats, franc du collier, honnête, loyal, arrive dans le régiment où com
mande un nouveau colonel, officier de cour, qui a gagné ses galons dans les antichambres du ministère ou du palais impé
rial. Les deux natures si différentes entrent tout de suite en opposition. Le commandant de Besser prend contre le colonel de Ruch la défense d’un jeune lieutenant, un excellent soldat, mais qui, malgré les règlements, s’est livré au jeu. Le colonel, que pousse encore un autre commandant, homme méchant et faux, exige de Besser un rapport contraire à celui que l’officier estime conforme à la justice. Besser refuse ; le colonel, pour éviter une affaire qui pourrait, malgré tout, tourner mal pour lui, n’insiste pas. Il attendra l’occasion propice pour se venger. La déclaration de guerre la lui fournit. Il impose à Besser, au brave Besser, si joyeux d’aller combattre, l’humiliation de prendre le commandement de l’escadron de dépôt. Besser, irrité, s’em
porte et, devant témoin, il injurie son colonel. C’est l’incident que celui-ci attendait. Rébellion contre son supérieur : trois ans de forteresse. Besser demande quelques instants de répit pour écrire à sa femme. Il adresse aussi quelques paroles d’adieu à ses camarades et amis : « Je dois payer, leur dit-il. J’ai donné le mauvais exemple. J’ai violé la discipline, la force unique, la force essentielle des armées ». Il s’éloigne. On entend un coup de feu. Besser s’est immolé à la « discipline ».
L’impression de ces deux tableaux, sur lesquels planent les images de Guillaume II, l’empereur, et du feld-maréchal de Moltke, l’homme de fer, et où n’apparaît aucune figure de femme, est profonde, saisissante. Je me permets de rappeler ici que, le lendemain du jour où la pièce fut représentée, en octobre dernier, j’écrivais ceci dans un journal quotidien :
« C’est, pour tous ceux que préoccupent les craquements qui se font entendre sur le vieux sol européen, une sérieuse leçon : de l’autre côté des Vosges, toute une armée est là, debout, prête, et qui, elle, a une discipline. On devrait mener tous les officiers et tous les soldats à la pièce du théâtre Antoine — et aussi quelques civils. » Les événements qui se sont produits en juin, cette année, ne m’ont donné, n’est-ce pas ? que trop raison.
Le rôle du commandant de Besser fut tenu à merveille par M. Chelles, tandis que le colonel de cour était représenté, dans la perfection aussi, par M. Signoret. Autour d’eux, l’excellente
troupe d’Antoine fournissait les officiers et soldats du régiment de uhlans.
Discipline était précédé d’une pièce en deux actes d’auteurs anglais, MM. Parker et Jacobs, adaptée par M. Robert Nunès, la Main de Singe. Un fakir indien a légué à un soldat anglais une main de singe, sorte de talisman, qui donne à chaque per
sonne qui la possède le pouvoir de réaliser trois souhaits. Le soldat a réalisé les trois souhaits, mais toujours ils furent « compensés » par de terribles malheurs. Un ami du soldat,
M. White, esprit fort, achète la main de singe. Il souhaite immédiatement d’avoir deux cents livres sterling. Quelques heures