ÉtÉOCI.E
Va, menace, injurie :
Tu n’es qu’un criminel, — et je suis la Patrie!
JOCASTE
Je me meurs !
ÉTÉOCLE __
De ton camp reprends donc le chemin... Je te chasse aujourd’hui : — Je te tuerai demain. D ici là, couvre, ô Nuit, ce lâche, de tes voiles !
polynice, avec un geste de menace.
P>andit ! il est des Dieux, derrière les étoiles!


»l




Le troisième acte est, tout entier, rempli par l’épisode de Mœnecée, le jeune fils de Créon se sacrifiant en victime expia


toire, pour le salut de la patrie. Les dieux, par la voix d’un oracle, un vieux pâtre divinateur, ont déclaré que Thèbes ne serait sauvée et les Thébains vainqueurs, que si Mœnecée expi
rait, Créon devant alors remonter sur le trône. Mais Créon n’accepte pas le sacrifice. Peu lui importe le trône, peu lui chaut que ses neveux, les deux fils de sa sœur Jocaste, s’entr’­
égorgent, ce qu’il veut, c’est que son fils vive, ce qu’il veut, c’est garder auprès de lui son cher Mœnecée. Par malheur, l’enfant, caché derrière un pilier, a entendu l’oracle et il n’hésitera pas. Victime expiatoire, il ira à la mort et se sacrifiera au salut de la patrie. Il monte sur la plate-forme d’où il peut apercevoir la plaine thébaine qui s’étend au loin, et, après avoir adressé son dernier adieu à son père Créon affolé de douleur, il se frappe aux yeux de l’armée.


L’épisode est saisissant, de grande émotion, mais celle-ci est trop facile. Bien souvent Euripide a abusé du dévouement « spontané ». Le sacrifice de Mœnecée, c’est celui projeté


d’Iphigénie, dans Iphigénie en Aulide, mieux encore celui
résigné de Macarie, fille d’Hercule et.de Déjanire, dans lesHéraclides.
Le quatrième et dernier acte pourrait s’intituler l’acte des funérailles, il est funèbre ci donne bien le dénouement qui convient à ce drame sinistre.
C’est d’abord les funérailles de Mœnecée, dont Créon porte, en ses bras paternels, l’urne couronnée de fleurs :
N’effeuillez pas sur l’urne close J.a fleur d’Aphrodite, la rose :
Ce mort n’a pas connu l’amour.


Ne jetez pas, non plus, sur elle


La fleur des vieillards, l’immortelle : Cet enfant n’a vécu qu’un jour.
Si vous voulez qu’au noir séjour Son ombre descende fleurie,
Cueillez tous les lauriers dans les bois d’alentour :
Mon fils est mort pour la Patrie !
Puis, celles des deux frères ennemis, qui se sont rués, l’un sur l’autre, en un combat singulier, sous le regard des armées en présence, et qui, tous deux, ont succombé à leurs blessures, leur mère Jocaste s’étant frappée, ensuite, elle-même, pour ne pas leur survivre.
Les corps de ces trois victimes sont apportés en scène par les soldats thébains, et c’est le vieux roi Créon qui prononce sur le sort réservé à ces dépouilles mortelles : « Les honneurs seront rendus à Jocaste, la mère infortunée, et à Étéocle, le défenseur de Thèbes. Quant au corps de Polynice, traître-à sa patrie, il restera abandonné sur le sol, où le dévoreront les corbeaux et les vautours. »
Mais voilà que s’ouvrent les portes du palais, alors qu’est
venue la nuit, et le vieil Œdipe aveugle, guidé par sa fille:Antio gone, s’approche en gémissant du corps de son fils ; il le prend: dans ses bras tremblants, le couvre de baisers et, chancelant, le
traîne, pour lui donner la sépulture, hors de l’enceinte du palais.;
Le drame de M. Rivollet a été généreusement taillé dans la riche étoffe d’Euripide, mais, chez lui comme chez le tragique grec, les coutures sont rugueuses et visibles, qui rattachent les divers épisodes entre eux; cela manque d’unité harmonieuse. Les vers sont distingués, bien frappés, de belle couleur et de bonne sonorité, ils n’ont pas la simplicité de ceux de Jules Lacroix, dans son adaptation d Œdipe-Roi, ils ont plus de charme et peut-être plus d’originalité.
La comédie a donné aux Phéniciennes la meilleure interprétation tragique dont elle pût disposer. Mounet-Sully n’a qu’une apparition à la fin du dernier acte, il y est plein de gran
deur et dit, avec une émotion poignante, les imprécations douloureuses du vieil (Edipe. La figure lui est familière, et nul ne pouvait la rendre comme lui. Paul Mounet prête à Créon sa voix pleine, qu’altèrent des notes de désespoir paternel ; Silvain
dessine finement la silhouette pittoresque du mystérieux bergerdevin ; à Jacques Fenoux et à Albert Lambert avait été dévolu le périlleux honneur d’interpréter les deux rôles des frères ennemis, et, de leur mieux, ils en ont varié les figures terminant sur un grand effet, la scène de violence du second acte. — Du côté féminin, je vois à citer Mademoiselle Delvair, très plastique, dans le rôle ingrat de Jocaste ; Madame Silvain touchante en Mœnecée ; Madame Segond-Weber m’a paru un peu forte et trop premier rôle pour le personnage d’Antigone, elle y manque de virginité; Mesdemoiselles Roche et Maille sont les agréables choryphées de ces « Phéniciennes » qui fournissent l’étiquette du drame, on ne sait trop pourquoi puisqu’elles n’en sont que des personnages très accessoires et comme une broderie sur la toile de fond.
Nous devons mentionner, dans ce s tablettes, un événement tout à fait nouveau pour le monde théâtral : je veux dire la décoration de la Légion d’honneur décernée à une comédienne, en tant que comédienne, ce qui crée un précédent imprévu qui va donner l’éveil à bien des ambitions. C’est Julia Bartet, l’exquise doyenne de la Comédie-Française, qui, la première, aura reçu cette distinction honorifique. Je ne vois, avant elle, que Marie Laurent qui ait été décorée, mais quel que fût son talent, ce n’est pas à l’artiste que la croix a été donnée, mais bien à la fondatrice de l Orphelinat des Arts. Julia Bartet est donc la première comédienne décorée. Je suppose,-«d’ailleurs, qu’elle ne sera pas seule, si j’en crois des bruits du boulevard et Sarah Bcrnbardt serait, m’a-t-on dit, comprise dans la prochaine promotion.
Depuis quelques années, la décoration des comédiens ne fait d’ailleurs plus question, elle estpresque d’uniforme à la Comédie- Française, et sans aller à dire, comme Emile Augier, grand faiseur de boutades, qu’il viendra un moment où « il n’y aura plus que Jes comédiens qui seront décorés, bien mieux encore, qu’ils le seront tous... » on use de grande libéralité avec eux, en ce point, et nous sommes loin des temps où, pour décerner la décoration à Samson et à Régnier, on attendit qu’ils eussent quitté les planches. Encore fit-on bien observer dans le décret de nomination, qu’ils étaient « professeurs au Conservatoire
— ce qui était indiquer qu’on les décorait « quoique ayant été comédiens » et non «parce qu’ils avaient été des comédiens illustres... » — Puis, si nous remontons plus loin encore, nous rappellerons que Napoléon Ier n’osa pas décorer Talma et qu’à Saint-Hélène, il exprima à Montholon le regret de n’avoir pu le faire, parce que, disait-il, « cela eût été contraire à l’institution de l’ordre essentiellement militaire, et ne pouvant s’attribuer au civil, que par exception, et pour grands services rendus... »


FÉLIX DUQUESNEL.