QUELQUES belles « premières », quelques autres moindres, comme toujours, et aussi quelques reprises composent le bilan très chargé de la quinzaine.
Je procède par ordre chronologique : au théâtre des Nouveautés, je constate un succès, avec la très charmante pièce, la Gueule du Loup, un vaudeville qui confine à la comédie, ce qui est l’intelligente évolution de ce théâtre, à cheval sur les deux genres. Voici, en quelques lignes, le postulat de la Gueule du Loup, sèche analyse qui ne saurait vous traduire le charme de l’exécution. L’architecte Barentin est le mari d’une jolie femme bien près de tromper son mari, car elle met son petit pied sur le rebord du précipice, vivement attaquée par le célibataire Chalindrey,grand chasseur de vertu. Gilberte, c’est le nom de Madame Barentin, succomberait sans l’intervention de son amie Antoinette Planturel, plus expérimentée, qui la bourre de bons conseils, et lui persuade qu’une honnête femme ne doit tromper son mari que si celui-ci l’a trompée lui-même, ce qui est la peine du talion, « dent pour dent, œil pour œil... voir corne pour corne », et Barentin est un modèle de fidélité ! Du moins, on doit le croire. La timide Gilberte, à demi convain
cue, est fort embarrassée. Elle a un rendez-vous, ce jour-là, avec Chalindrey, dans sa garçonnière de la rue La Boétie, et vraiment elle ne peut le laisser faire le pied-de-grue, dans les horreurs de l’attente. C’est Antoinette qui ira, à sa place, porter la bonne parole au célibataire impénitent, et entreprendre sa conversion. Ainsi fait-elle. Mais, voyez les surprises du hasard : Chalindrey fut autrefois fort amoureux d’Antoinette, elle-même fort éprise de Chalindrey, simple aventure platonique, .d’ailleurs, qui est restée sous la cendre, un peu trop facile à rallumer. Voilà donc Antoinette en pleine « Gueule du Loup », c’est le cas de le dire, et comme elle découvre, à point nommé, que Planturel, son magistrat de mari, la trompe, à dire d’expert, il va de soi qu’elle succombe au réveil du souvenir, et que la « Gueule du Loup » la dévore toute vive. Ce qui fait le salut de l’une, fait la perte de l’autre. Salut bien provisoire, d’ailleurs, car Gilberte, ayant elle aussi découvert que son architecte de mari ne la trompait pas moins que celui d’Antoinette ne trompait sa femme, je crains que la chute ne soit proche et inévitable. Elle est charmante cette pièce, qui ne fut pas faite, assurément, à l’intention des pensionnats de jeunes personnes, et pourra être difficilement repré
sentée dans les couvents, aux distributions de prix, mais qui est de délicate psychologie féminine, développée avec beaucoup de tact, dans ses détails les plus scabreux.
Aux Variétés, l’opérette nouvelle s’est inaugurée avec Monsieur de La Palisse, un grand succès qui abat son maximum, tous les soirs. Les aventures du Monsieur de La Palisse des Variétés n’ont rien de commun avec celles de l’héroïque maréchal du même nom, qui mourut à Pavie, traîtreusement assassiné après
la bataille. Les auteurs ont pris pour héros, le personnage naïf de la chanson populaire du poète La Monnoye, le fils comédienne du théâtre de genre. Le succès des deux protagonistes a été aux nues, voire même plus haut si c’est possible. La partition renferme de jolis motifs délicats et bien rythmés, entre autres un duo d’amour, qui est assurément une des plus jolies compositions musicales entendues depuis longtemps.
Passons rapidement sur la nouvelle pièce de l’Athénée, Chiffon, une œuvre de débutant. M. René Péter, le fils du célèbre médecin, et Robert Danceny, pseudonyme derrière lequel se cache, paraît-il, une femme du monde. Cette comédie, qui contient quelques détails amusants, quelques figures bien dessinées par un crayon original, a le grand tort de reposer sur un portc-à-faux, comme on dit en architecture, et cette tare d’origine nuit au développement de l’action que, par suite, on a peine à prendre au sérieux. Le malentendu qui fait le fond de l’intrigue est trop facilement accepté. Il est certain que si le marquis d’Estérel qui, rentrant chez lui, a trouvé sa femme en
proie aux attaques d’un butor, avait giflé celui-ci comme s’il eût été un simple ministre de la guerre, l’avait jeté dehors comme il
convenait, et avait ensuite pris la peine de s’expliquer avec la victime, sa jalousie n’aurait eu aucune raison d’être, puisque rien ne la justifiait. Mais, par suite, il est vrai, les trois actes rentraient dans le tiroir, et c’eût été dommage, car, ainsi que je l’ai
dit, ils renferment quelques jolies scènes, et le dialogue ne manque pas d’esprit. C’est égal, quand on construit, il faut le faire sur de bonnes fondations.
Arrivons-en maintenant aux deux gros morceaux de la quinzaine, qui sont /’Escalade, la pièce de Maurice Donnay représentée à la Renaissance, et Maman Colibri, le drame de Henry Bataille, qui a fait, pour quelques mois, élection de domicile au Vaudeville.
L Escalade appartient au théâtre scientifico-psychologique, l’action y est accessoire et se subordonne aux discussions psy
chologiques et physiologiques tenues en un dialogue élégant, spirituel, et de grand charme. C’est le développement graduel d’une passion amoureuse, au cœur d’un savant, qui ne croit pas à l’amour, qu’il considère comme une déformation de l’âme humaine, et qui, volontiers, en eût fait voir le microbe gamba
dant, en son bouillon de culture. Et l’on éprouve un véritable soulagement alors qu’on voit cet homme qui, de bonne foi, vous a dit : « L’amour n’est qu’un mirage, une maladie cérébrale, dont on peut guérir... », lorsqu’on le voit, lui, l’impec
cable, courir les sentiers battus, succomber comme les autres, prendre la file et subir les mêmes phénomènes amoureux que les camarades. Ça n’est pas la faillite de la science, si vous le voulez absolument, mais c’est l’éclatante et réelle victoire de la passion. La donnée de la pièce, son armature, est des plus simples : une jeune veuve qui, à la suite d’une déception matri
moniale, s’est fait le cœur d’airain, Madame Cécile deGerberoy, a prié son frère, M. de Bois-Dugand, de l’introduire dans le labo
ratoire de son ami, le savant Guillaume Soindres, façon Pasteur, où elle exercera, en compagnie de son amie Suzanne Motreff,
sa curiosité féminine, ainsi que jadis fit Diane de Lys, dans l’atelier du peintre Paul Aubry. Comment, du contact de ces deux êtres refroidis en apparence, naîtra l’amour irrésistible ?
Si vous voulez savoir, allez à la Renaissance, où, pendant les trois premiers actes qui sont d’exposition, vous verrez naître et


LA QUINZAINE THÉATRALE