d’une e motion touchante bien qu’elle soit prise dans une situation complaisante et vieillotte, qui sent son d’Ennery à plein nez. Elle empoigne et saisit quand même, parce que cela correspond à un sentiment bourgeoisement humain qui a, d’ailleurs, déter
miné le succès sérieux qui se traduit en grosses recettes. — Enfin un quatrième acte qui n’est pas déplaisant, mais où l’on se contente d’enfoncer des portes ouvertes.
L’exécution est excellente dans son ensemble, remarquable en certains points. Mademoiselle Bartet se surpasse elle-même dans ce rôle de charme, d’émotion douce et de tendresse délicate. Elle m’y a paru tout à fait remarquable précisément parce que son jeu est fait de simplicité et de sincérité, sans cris ni violence, mais dans un grand accent humain. Mademoiselle Blanche Pierson est d’exquise finesse et de franche bonhomie dans le rôle de Laure de Roine, une brave femme qui raisonne avec son cœur. Quant à Mademoiselle Piérat, elle a donné au rôle délicat de Lucienne un délicieux charme expressif. Elle est jeune, de vraie jeunesse, tendre, touchante, et sa jolie voix, aux timbres prenants, module avec grande justesse la gamme des émotions. Du côté masculin, il faut citer de Féraudy et Leloir, Briant père et fils, le premier tout enolemi-nuances, en hésitations, faiblesses; le second, impassible, rogue, narquois, sec, et si bien convaincu de son infaillibilité.
Au Palais-Royal, ainsi que nous l’avions prévu le Maroquin n’a pas fait long séjour sur l’affiche, où il vient d’être remplacé par Une Affaire scandaleuse, vaudeville en quatre actes de MM. Paul Gavault et Maurice Ordonneau. C’est le vaudeville
ultra-comique, suivant la formule, où Galipaux s’en donne à cœur joie, se « camouflant » ainsi que jadis firent Tricoche et Cacolet. C’est du gros rire, mais c’est du rire; alors ne nous plaignons pas, c’est une denrée rare, en ces temps maussades.
Aux Bouffes-Parisiens, Armand Bour, un comédien qui n’est pas sans mérite, lutte, en vers et en prose, contre la mauvaise fortune, faisant appel, pour combattre celle-ci, à toutes les races latines. Cette fois, c’est à la race italienne qu’il s’est adressé. Il a joué un spectacle intéressant, composé exclusivement de deux pièces traduites du Napolitain Roberto Bracco, un drame en un acte, Don Pietro Caruso, triste et noir, et une fantaisie en quatre actes, la Fin de l Amour : deux pièces qui furent régal de dilet
tanti. Le malheur, c’est qu’ils sont rares, les « dilettanti », ils forment des couches peu profondes, et on les a vus s’épuiser bien vite, si vite même qu’au bout d’une huitaine de jours il a fallu changer l’affiche.
A l’Odéon, la Déserteuse a fait son demi-cent de représentations, couci-couça, cahin-caha ! C’est un drame héroïque puisé aux sources pures de la Jérusalem délivrée qui lui a succédé.
L’auteur, Camille de Sainte-Croix, y a répandu généreusement une poésie sonore, dont il a enveloppé une action symbolique,
prétexte à bellès envolées et à rêveries poétiques. Je crains d’ailleurs que ça ne soit en pure perte. Les vers ont quelque chose de suranné qui ne plaît guère au tempérament positif de notre siècle, et, si l’on excepte la rencontre inattendue de Cyrano, je ne vois pas la pièce en vers qui ait eu fortune heuheuse depuis une quinzaine d’années. Artnide et Gildis, malgré sa valeur réelle, ne fera pas exception à la fâcheuse règle. Ce drame a, d’ailleurs, le défaut de manquer de clarté, et Renaud, tiré à deux amours, celui de la gloire et... l’autre, l’amour vrai,
la passion amoureuse, ne nous touche qu’à demi, parce qu’il manque de réalité. Armide et Gildis fut occasion de deux débuts intéressants, ceux de Mademoiselle Sergine et de M. Maxudian, premiers prix de tragédie au dernier concours du Conservatoire.
Mademoiselle Sergine a de sérieuses qualités : belle voix chaude et gestes harmonieux ; elle a beaucoup plu dans le rôle écrasant d’Armide, qu’elle a vaillamment porté. M. Maxudian, moins bien partagé, a tiré médiocre parti du personnage du comte Odoard. C’est un début à recommencer.


Entendez-vous crier, hurler, siffler ?... Ce sont les spectateurs


de l’Ambigu qui ont les nerfs trop sensibles, le cinématographe de l’assassinat d’Eugénie Fougère, à Aix, a révolté les uns, alors que les autres acclament Cassive, tout à fait étonnante dans ce tableau qui fera, peut-être, par son horreur même, le succès relatif du Crime d’Aix, ainsi s’intitule ce drame assez médiocre, qui n’a été créé et mis au monde que pour avoir l’occasion de mettre sous nos yeux cetté scène tragique. Il semble, d’ailleurs, qu’un souffle d’horreur parcoure en ce moment les théâtres ;
c’est au Roi Lear, la curieuse tentative d’Antoine, dont nous vous parlerons une autre fois, car il est trop tard aujourd’hui, les yeux crevés, en scène, à l’infortuné duc de Glocester, et, au Grand-Guignol, une scène plus lugubre encore, extraite de la guerre de Chine... On ne peut monter plus haut au thermomè’.re de l’effroi !
A côté des théâtres, qui jouent leurs pièces plus ou moins bonnes, plus ou moins réussies, il y a le théâtre que je puis qua
lifier de platonique, celui qui, non représenté, maintenant du moins, paraît en librairie, pour le charme du coin du feu. Je vous citerai, parmi les dernières pièces ainsi produites, l’Em
prise, de Madame Pescherard, une comédie de mœurs bien tournée, et ma foi, bien écrite, qui nous retrace la lutte de l’homme sans volonté aux prises avec un amour néfaste. J’en recom
mande la lecture, en attendant qu’une scène avisée en tente la représentation.
Les premières ont abondé cette quinzaine, comme on le peut voir, elles nous absorbent et nous laissent bien peu de place pour nous occuper de certains points d’actualité. Ainsi, dernièrement s’est posée, dans le monde de la presse, une question où
je prétends dire mon mot. A propos de je ne sais quel incident, un critique, je crois, qui a lâché son journal, ou a été lâché par lui, — qui pourra jamais dire la vérité? — on s’est demandé si la même personne pouvait être à la fois critique et auteur drama
tique ; en d’autres termes, si l’une des professions n’était pas exclusive de l’autre ?
Ma réponse, en ce qui me concerne, sera simple et nette : « Je ne vois aucune incompatibilité sérieuse entre la fonction de critique et celle d’auteur dramatique. Pour exercer à la fois l’une et l’autre, il me semble qu’il suffit d’avoir les doubles apti


tudes professionnelles et d’être suffisamment honnête homme.


Je ferai observer, en outre, que le critique ne sera jamais, quoi qu’il fasse, qu’un auteur dramatique occasionnel et intermittent.
Les labeurs fatigants, les soucis et l’activité de sa fonction de critique ne lui laisseront jamais les loisirs et la liberté céré
brale nécessaires pour se livrer à la fabrication régulière de ce «Théâtre Industriel », qui semble être, hélas ! l’objectif le plus sérieux de bon nombre d’auteurs dramatiques de nofre époque. »
Mais, riposte-t-on, on ne peut être à la fois juge et partie ? Je répondrai tout d’abord que « la critique, telle qu’elle se pra
tique aujourd’hui, ne fait pas, du critique théâtral, un juge, à proprement parler. Il n’apprécie pas absolument les pièces qu’il voit jouer, il ne les juge pas, il donne simplement leur analyse et y joint ses impressions, sans porter un jugement; mieux encore, quand il est avisé, il dit ce que lui a paru être l’impres
sion du public. Enfin, on n’est vraiment juge et partie que lorsqu’on juge sa propre cause, ce qui serait peut-être le cas du critique qui rendrait compte de sa propre pièce. Or, il est alors toujours loisible de se récuser soi-même, si on ne sent pas la force d’une impartialité absolue. On passe alors le martinet à son voisin et on tend l’échine. Il y eut, toutefois, des gens qui furent, dans leur propre cause, des juges sans tendresse......, le
vieux Brutus, par exemple ! Vous me direz, il est vrai, que cela remonte à la plus lointaine antiquité, et que, depuis ce temps-là, il a coulé beaucoup d’eau sous les ponts du Tibre !... Cela est vrai, et je suis obligé d’en convenir. »
FÉLIX DUQUESNEL.