L Poptneau. del.
plaisir à multiplier les difficultés. Avoir choisi pour personnages des animaux, ce n est presque rien. Il a osé proposer au public une pièce où l’action n’est qu’un prétexte à un exposé de morale civique et artistique. Chantecler, le coq gaulois, pousse des cris perçants pour dissiper toutes les ombres qui menacent le génie de la race française. 11 veut défendre les cerveaux de ses compatriotescontre l’obscurité et contre le mauvais goût. Il veut mettre la société à l’abri du désordre. Jamais on n’écrivit une pièce plus nationaliste. Mais M. Rostand n’appartient à aucun parti. Il n’y a, dans son œuvre, ni haine ni amertume. Son héros allégorique est aussi résigné que Jésus à l’ingratitude des foules. Il lance son appel comme le principal personnage de la Samaritaine laissait tomber ses conseils divins. Tous deux sont clairvoyants et ils sourient de la haine aveugle. En vérité, je vous le dis, Chantecler, que ses ennemis livrent aux attaques d’un coq de combat, Chantecler, qui saigne sous les coups de bec en enten
dant les rires méchants de la multitude, Chantecler nous fait songer au Dieu qui fut mis en croix et qui subit aussi les injures et les plaisanteries. Cette féerie atteint souvent une sérénité religieuse.
* * *
Le poulailler où règne Chantecler lui est sourdement hostile. Ce coq, dont la réputation s étend au loin, est odieux au
dindon, qui en est jaloux; au canard et à l’oie, qui ont les pieds palmés et qui ne peuvent souffrir qu’en marchant il dessine sur le sol des étoiles ; la taupe même le hait parce qu’elle ne l’a jamais vu. Ses poules le trahissent. Il n’a qu’un véritable ami : le vieux chien de la ferme. Il met en garde Chantecler contre ses ennemis, et aussi contre ceux qu’il peut croire ses amis,— contre le merle, qui siffle sans cesse; contre le paon, qui lui dispute secrètement le pouvoir; contre la faisane au merveilleux plumage, qui s’est réfugiée dans la ferme pour éviter un chien de chasse et qui a été tentée par l’idée de con
quérir Chantecler. Car chacun sait que ce coq merveilleux a un secret. Arracher au mâle le mystère qui fait sa force, ce fut toujours une tentation pour la femelle, depuis Dalila.
Mais la faisane ne nous est pas tout à fait odieuse, car elle aime Chantecler. Certes, elle veut l’asservir. Cependant elle tremble pour ses jours. Elle a surpris la conspiration des oiseaux de nuit, qui détestent et redoutent l’oiseau delà lumière. Ils ont même décidé de le faire assassiner par un coq de combat
qui le provoquera chez la pintade. La faisane admire déjà celui qui excite de telles haines. Elle va l’adorer quand elle connaîtra la mission divine dont il se croit chargé. Chantecler pense qu’à la fin de la nuit il est la voix même de la terre qui implore le retour de la lumière. Fixé au sol du pays, il appelle le jour. Il est la prière de tous les êtres et de toutes les choses. La ferveur de ce cri universel qui passe en lui le secoue et l’épuise : mais il fait lever le soleil. La faisane sourit d’abord de ce fol enthou
siasme; mais bientôt elle est gagnée par l’illusion sacrée, et, quand l’aurore apparaît aux cris de Chantecler, elle croit vrai
ment que l’oiseau accomplit le miracle quotidien. Elle le chérit, elle le vénère. Elle n’exige pas de lui qu il l’accompagne chez la pintade, — dans le monde. Elle va toute seule faire visite à cette sotte, qui est affolée d’élégance. Chantecler cependant la rejoint dans cette réunion fâcheusement littéraire; car il sait qu’un coq de combat l’attend pour l’égorger. Il est de ceux qui vont vers le péril.
Le five o clock de la pintade est très brillant. Dans son potager, au murmure harmonieux des abeilles etdes cigales,défilent des animaux rares que le paon amena. Ce sont des coqs étrangers, à double crête, à col nu, à pattes de vautour. Or, Chante
cler arrive et il malmène ces coqs tourmentés. Il les invite à rendre hommage à la beauté naturelle de la rose. Le coq de combat refuse grossièrement. C’est le duel. Avant de subir les attaques de l’adversaire, Chantecler défie la foule hostile. Il proclame qu il fait lever le soleil. Il ne lui suffit pas d’être haï : il veut être hué. Déjà il faiblit. Mais ceux qui le raillaient se taisent et se groupent autour de lui. C’est qu’un épervier les menace. Quand Chantecler a mis en fuite l’oiseau de proie, il se retrouve seul devant son ennemi. Ceux qu’il vient de défendre ne sont que plus pressés de voir sa défaite et sa mort. Mais d’un élan maladroit, le coq de combat s’est brisé une patte. La lâcheté de la foule acclame Chantecler. Il resterait cependant, il ne céderait pas à la faisane, qui le supplie de la suivre dans la forêt, où il y a de vraies bêtes. Mais soudain il s’aperçoit qu’il ne peut plus chanter. Pour avoir entendu les théories d’art qui se professent chez la pintade, il doute de son génie. Il ne peut plus pousser son cri. Il doit sauver sa voix, qui est nécessaire au bonheur de la terre, et c’est pourquoi il s’enfuit avec sa bienaimée vers les grands bois.
Hélas ! la faisane est jalouse de sa mission. Elle voudrait qu’il se consacrât tout entier à l’amour et que près d’elle il oubliât l’aurore. Elle prouvera à Chantecler qu’il est le jouet d’une illusion et que, s’il ne chante pas, le soleil se lèvera cependant. Elle lui fait oublier l’heure en écoutant le mélodieux rossignol, et, comme un chasseur a tué le divin chanteur, la faisane berce la douleur du coq et lui cache ainsi l’arrivée de l’aurore. Elle triomphe ! Il fait jour et Chantecler n’a pas poussé son cri ! Il voit bien que son effort est vain et que seules les joies de la passion sont réelles. Qu’il se taise comme s’est tû le rossignol, qu’un coup de fusil vient d’abattre ! Mais un autre rossignol chante. Il faut que toujours un rossignol chante dans la forêt comme il faut que la foi chante dans les âmes. Non ! Chantecler ne renonce pas à sa mission. Il restera l’oi
seau qui appelle le jour. Puisque la faisane refuse d’accepter cette rivale, l’Aurore, Chantecler retourne vers la ferme, vers l’ordre, vers le travail. Il se sent plus grand parce qu’il a souffert.
plaisir à multiplier les difficultés. Avoir choisi pour personnages des animaux, ce n est presque rien. Il a osé proposer au public une pièce où l’action n’est qu’un prétexte à un exposé de morale civique et artistique. Chantecler, le coq gaulois, pousse des cris perçants pour dissiper toutes les ombres qui menacent le génie de la race française. 11 veut défendre les cerveaux de ses compatriotescontre l’obscurité et contre le mauvais goût. Il veut mettre la société à l’abri du désordre. Jamais on n’écrivit une pièce plus nationaliste. Mais M. Rostand n’appartient à aucun parti. Il n’y a, dans son œuvre, ni haine ni amertume. Son héros allégorique est aussi résigné que Jésus à l’ingratitude des foules. Il lance son appel comme le principal personnage de la Samaritaine laissait tomber ses conseils divins. Tous deux sont clairvoyants et ils sourient de la haine aveugle. En vérité, je vous le dis, Chantecler, que ses ennemis livrent aux attaques d’un coq de combat, Chantecler, qui saigne sous les coups de bec en enten
dant les rires méchants de la multitude, Chantecler nous fait songer au Dieu qui fut mis en croix et qui subit aussi les injures et les plaisanteries. Cette féerie atteint souvent une sérénité religieuse.
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Le poulailler où règne Chantecler lui est sourdement hostile. Ce coq, dont la réputation s étend au loin, est odieux au
dindon, qui en est jaloux; au canard et à l’oie, qui ont les pieds palmés et qui ne peuvent souffrir qu’en marchant il dessine sur le sol des étoiles ; la taupe même le hait parce qu’elle ne l’a jamais vu. Ses poules le trahissent. Il n’a qu’un véritable ami : le vieux chien de la ferme. Il met en garde Chantecler contre ses ennemis, et aussi contre ceux qu’il peut croire ses amis,— contre le merle, qui siffle sans cesse; contre le paon, qui lui dispute secrètement le pouvoir; contre la faisane au merveilleux plumage, qui s’est réfugiée dans la ferme pour éviter un chien de chasse et qui a été tentée par l’idée de con
quérir Chantecler. Car chacun sait que ce coq merveilleux a un secret. Arracher au mâle le mystère qui fait sa force, ce fut toujours une tentation pour la femelle, depuis Dalila.
Mais la faisane ne nous est pas tout à fait odieuse, car elle aime Chantecler. Certes, elle veut l’asservir. Cependant elle tremble pour ses jours. Elle a surpris la conspiration des oiseaux de nuit, qui détestent et redoutent l’oiseau delà lumière. Ils ont même décidé de le faire assassiner par un coq de combat
qui le provoquera chez la pintade. La faisane admire déjà celui qui excite de telles haines. Elle va l’adorer quand elle connaîtra la mission divine dont il se croit chargé. Chantecler pense qu’à la fin de la nuit il est la voix même de la terre qui implore le retour de la lumière. Fixé au sol du pays, il appelle le jour. Il est la prière de tous les êtres et de toutes les choses. La ferveur de ce cri universel qui passe en lui le secoue et l’épuise : mais il fait lever le soleil. La faisane sourit d’abord de ce fol enthou
siasme; mais bientôt elle est gagnée par l’illusion sacrée, et, quand l’aurore apparaît aux cris de Chantecler, elle croit vrai
ment que l’oiseau accomplit le miracle quotidien. Elle le chérit, elle le vénère. Elle n’exige pas de lui qu il l’accompagne chez la pintade, — dans le monde. Elle va toute seule faire visite à cette sotte, qui est affolée d’élégance. Chantecler cependant la rejoint dans cette réunion fâcheusement littéraire; car il sait qu’un coq de combat l’attend pour l’égorger. Il est de ceux qui vont vers le péril.
Le five o clock de la pintade est très brillant. Dans son potager, au murmure harmonieux des abeilles etdes cigales,défilent des animaux rares que le paon amena. Ce sont des coqs étrangers, à double crête, à col nu, à pattes de vautour. Or, Chante
cler arrive et il malmène ces coqs tourmentés. Il les invite à rendre hommage à la beauté naturelle de la rose. Le coq de combat refuse grossièrement. C’est le duel. Avant de subir les attaques de l’adversaire, Chantecler défie la foule hostile. Il proclame qu il fait lever le soleil. Il ne lui suffit pas d’être haï : il veut être hué. Déjà il faiblit. Mais ceux qui le raillaient se taisent et se groupent autour de lui. C’est qu’un épervier les menace. Quand Chantecler a mis en fuite l’oiseau de proie, il se retrouve seul devant son ennemi. Ceux qu’il vient de défendre ne sont que plus pressés de voir sa défaite et sa mort. Mais d’un élan maladroit, le coq de combat s’est brisé une patte. La lâcheté de la foule acclame Chantecler. Il resterait cependant, il ne céderait pas à la faisane, qui le supplie de la suivre dans la forêt, où il y a de vraies bêtes. Mais soudain il s’aperçoit qu’il ne peut plus chanter. Pour avoir entendu les théories d’art qui se professent chez la pintade, il doute de son génie. Il ne peut plus pousser son cri. Il doit sauver sa voix, qui est nécessaire au bonheur de la terre, et c’est pourquoi il s’enfuit avec sa bienaimée vers les grands bois.
Hélas ! la faisane est jalouse de sa mission. Elle voudrait qu’il se consacrât tout entier à l’amour et que près d’elle il oubliât l’aurore. Elle prouvera à Chantecler qu’il est le jouet d’une illusion et que, s’il ne chante pas, le soleil se lèvera cependant. Elle lui fait oublier l’heure en écoutant le mélodieux rossignol, et, comme un chasseur a tué le divin chanteur, la faisane berce la douleur du coq et lui cache ainsi l’arrivée de l’aurore. Elle triomphe ! Il fait jour et Chantecler n’a pas poussé son cri ! Il voit bien que son effort est vain et que seules les joies de la passion sont réelles. Qu’il se taise comme s’est tû le rossignol, qu’un coup de fusil vient d’abattre ! Mais un autre rossignol chante. Il faut que toujours un rossignol chante dans la forêt comme il faut que la foi chante dans les âmes. Non ! Chantecler ne renonce pas à sa mission. Il restera l’oi
seau qui appelle le jour. Puisque la faisane refuse d’accepter cette rivale, l’Aurore, Chantecler retourne vers la ferme, vers l’ordre, vers le travail. Il se sent plus grand parce qu’il a souffert.