le plus aimable, le plus galant, le plus conciliant des hommes, commente.les plaidoiries d’un regard de ses yeux spirituellement ma
lins. Encore épars dans l’assistance, on eût pu voir PaulHervicu, l’auteur des Tenailles, celui qui, très psychologue, ou très bla
gueur, je ne saurais dire, a demandé qu’on inscrivit l’« Amour », comme étant une obligation matrimoniale, dans notre Code réformé, ce qui, par parenthèse, va rendre bien délicate l’inter
vention de l’huissier chargé des constatations ; Victorien Sardou, qui s’intéresse à l’avenir des autres ; Georges Pellerin, l’actif agent des auteurs, à qui toute question de droit est familière ; les notes souriantes étant fournies sur le fond sinistre des robes de noire étamine et des redingotes sombres, par les claires toilettes des femmes, parmi lesquelles Mesdames P. Decourcelle, Bernheim, Alf. Capus, qui n’ont pas manqué une audience.
Sur l’estrade siège le tribunal, sous la présidence du président Turcas, un magistrat des plus distingués, esprit très droit, très averti, je dirai presque méticuleux et inquiet, par excès d’intégrité ; dans la stalle du ministère public, le substitut Boulloche, très estimé, un grand blond, au débit laborieux, d’une éloquence médiocre, mais dont les conclusions ont été d’une logique scrupuleuse et serrée.
C’est Me Millerand, plaidant pour MM. Richemond, Roy et Forest, qui a ouvert le feu. Me Millerand est l’avocat dit d’af
faires, il est de l’école argumentative, dont Dufaure fut l’aïeul et Waldeck-Rousseau l’un des plus parfaits produits. Sa voix est lourde, monotone, son débit sans ardeur, sans envolée ; le jardin n’a pas de fleurs, mais l’argumentation pesante pénètre et c’est à coups de lourd bélier qu’il attaque la Société des Auteurs, mise en cause.
Tout autre est son adversaire, Me Poincaré, dont la parole est nette et éloquente, bien que servie par un organe dur et de peu de flexibilité. Sa forme est élégante, presque académique ; je jurerais que l’avocat a jeté, en faisant cette plaidoirie très litté
raire, quelques regards furtifs du côté du Pont des Arts, où il entrevit, dans la brume, la coupole du Palais Mazarin.
Le troisième avocat, Me Signorino, qui plaide pour MM. Carré et Chancel, les auteurs dissidents, est un avocat de grande finesse, d’une parole spirituelle et facile, se laissant aller
susurre à l’oreille de son voisin, Romain Coolus,quelque obser
vation de psychologie humo
ristique, puis, très supersti
tieux, passe une main noncha
lante sur le dos de Georges Ohnet, dansl’espoir que cela
pourraluiporter bonheur; celuilà, Ohnet, le président actuel de la commission,
M. VICTORIEN SARDOU
aux ardeurs de l’improvisation, parlant d’abondance, presque sans notes; il est des plus agréables à entendre, tant son esprit alerte chevauche à travers l’imprévu, qu’il fait ressortir avec des cinglées de bon sens.
Le tournoi fut suggestif, et le ministère public vient de donner ses conclusions. Celles-ci, il en faut convenir, sont absolument favorables à la Société des Auteurs, appuyées sur une argumentation des plus solides et pouvant très brièvement se résumer ainsi :
« La Société des Auteurs dramatiques, société civile régulièrement constituée, ne peut être contrainte à contracter, mais a, tout au contraire, le droit absolu d’accepter ou de refuser, à son gré, le contrat qu’on lui propose, et, si elle réputé ce contrat nuisible aux intérêts qu’elle protège, si elle considère que le contractant ne lui offre pas des garanties suffisantes, elle a, au contraire, le devoir de le repousser. »
Ceci est la réponse à la prétention Richemond. Quant à celle des auteurs dissidents, qui réclament la nullité des engage
ments qu’ils ont pris vis-à-vis de la société, et la reprise de leur liberté, objectant que ces engagements sont nuis parce qu’ils ont été pris vis-à-vis d’une société nulle, parce que viciée dans son essence, le ministère public leur répond que « la société est régulière, que si, de fait, elle peut être à la rigueur consi
dérée comme monopole, elle ne l’est pas de droit, qu’elle n’est ni caduque, ni viciée dans son essence, et que, par conséquent, leurs engagements ne peuvent être résiliés à leur gré, mais qu ils restent bel et bien valables... »
Et le jugement intervenu en première instance donne à la Société des Auteurs gain de cause sur toute la ligne.
Je crois pourtant que ce procès n’aura pas abouti à grand résultat matériel, et que les choses resteront vraisemblablement demain ce qu’elles étaienthier. Mais il me semble qu’il aura eu une certaine utilité morale, en permettant d’appeler l’attention de la
très puissante Société des Auteurs dramatiques sur certains abus qu’il lui serait facile de réformer, ce qu’elle fera bien de faire dans l’intérêt de tous, aussi bien le sien que celui des directeurs de théâtres. Il est évident, par exemple, qu’il est parfaitement inique que cette société perçoive des droits sur les auteurs dont les œuvres sont tombées dans le-domaine public, et que, s’il prend fantaisie à un théâtre de jouer le Tartufe de Molière, on
lui réclame dix pour cent au profit de la société, qui n’a rien à y voir. Molière faisant ainsi des pensions à nombre d’auteurs dramatiques plus ou moins illustres, que je ne saurais nommer ici, me parait avoir, en l’espèce, une posture plutôt ridicule.
Il n’est pas moins évident qu’il est injustifié et odieux d’imposer aux directeurs de théâtres le paiement d’une prime annuelle au profit de la caisse de secours des auteurs dramatiques, alors que ceux-ci ne versent rien au profitde la caisse de secours des directeurs, où
M. CHANCEL
lins. Encore épars dans l’assistance, on eût pu voir PaulHervicu, l’auteur des Tenailles, celui qui, très psychologue, ou très bla
gueur, je ne saurais dire, a demandé qu’on inscrivit l’« Amour », comme étant une obligation matrimoniale, dans notre Code réformé, ce qui, par parenthèse, va rendre bien délicate l’inter
vention de l’huissier chargé des constatations ; Victorien Sardou, qui s’intéresse à l’avenir des autres ; Georges Pellerin, l’actif agent des auteurs, à qui toute question de droit est familière ; les notes souriantes étant fournies sur le fond sinistre des robes de noire étamine et des redingotes sombres, par les claires toilettes des femmes, parmi lesquelles Mesdames P. Decourcelle, Bernheim, Alf. Capus, qui n’ont pas manqué une audience.
Sur l’estrade siège le tribunal, sous la présidence du président Turcas, un magistrat des plus distingués, esprit très droit, très averti, je dirai presque méticuleux et inquiet, par excès d’intégrité ; dans la stalle du ministère public, le substitut Boulloche, très estimé, un grand blond, au débit laborieux, d’une éloquence médiocre, mais dont les conclusions ont été d’une logique scrupuleuse et serrée.
C’est Me Millerand, plaidant pour MM. Richemond, Roy et Forest, qui a ouvert le feu. Me Millerand est l’avocat dit d’af
faires, il est de l’école argumentative, dont Dufaure fut l’aïeul et Waldeck-Rousseau l’un des plus parfaits produits. Sa voix est lourde, monotone, son débit sans ardeur, sans envolée ; le jardin n’a pas de fleurs, mais l’argumentation pesante pénètre et c’est à coups de lourd bélier qu’il attaque la Société des Auteurs, mise en cause.
Tout autre est son adversaire, Me Poincaré, dont la parole est nette et éloquente, bien que servie par un organe dur et de peu de flexibilité. Sa forme est élégante, presque académique ; je jurerais que l’avocat a jeté, en faisant cette plaidoirie très litté
raire, quelques regards furtifs du côté du Pont des Arts, où il entrevit, dans la brume, la coupole du Palais Mazarin.
Le troisième avocat, Me Signorino, qui plaide pour MM. Carré et Chancel, les auteurs dissidents, est un avocat de grande finesse, d’une parole spirituelle et facile, se laissant aller
susurre à l’oreille de son voisin, Romain Coolus,quelque obser
vation de psychologie humo
ristique, puis, très supersti
tieux, passe une main noncha
lante sur le dos de Georges Ohnet, dansl’espoir que cela
pourraluiporter bonheur; celuilà, Ohnet, le président actuel de la commission,
M. VICTORIEN SARDOU
aux ardeurs de l’improvisation, parlant d’abondance, presque sans notes; il est des plus agréables à entendre, tant son esprit alerte chevauche à travers l’imprévu, qu’il fait ressortir avec des cinglées de bon sens.
Le tournoi fut suggestif, et le ministère public vient de donner ses conclusions. Celles-ci, il en faut convenir, sont absolument favorables à la Société des Auteurs, appuyées sur une argumentation des plus solides et pouvant très brièvement se résumer ainsi :
« La Société des Auteurs dramatiques, société civile régulièrement constituée, ne peut être contrainte à contracter, mais a, tout au contraire, le droit absolu d’accepter ou de refuser, à son gré, le contrat qu’on lui propose, et, si elle réputé ce contrat nuisible aux intérêts qu’elle protège, si elle considère que le contractant ne lui offre pas des garanties suffisantes, elle a, au contraire, le devoir de le repousser. »
Ceci est la réponse à la prétention Richemond. Quant à celle des auteurs dissidents, qui réclament la nullité des engage
ments qu’ils ont pris vis-à-vis de la société, et la reprise de leur liberté, objectant que ces engagements sont nuis parce qu’ils ont été pris vis-à-vis d’une société nulle, parce que viciée dans son essence, le ministère public leur répond que « la société est régulière, que si, de fait, elle peut être à la rigueur consi
dérée comme monopole, elle ne l’est pas de droit, qu’elle n’est ni caduque, ni viciée dans son essence, et que, par conséquent, leurs engagements ne peuvent être résiliés à leur gré, mais qu ils restent bel et bien valables... »
Et le jugement intervenu en première instance donne à la Société des Auteurs gain de cause sur toute la ligne.
Je crois pourtant que ce procès n’aura pas abouti à grand résultat matériel, et que les choses resteront vraisemblablement demain ce qu’elles étaienthier. Mais il me semble qu’il aura eu une certaine utilité morale, en permettant d’appeler l’attention de la
très puissante Société des Auteurs dramatiques sur certains abus qu’il lui serait facile de réformer, ce qu’elle fera bien de faire dans l’intérêt de tous, aussi bien le sien que celui des directeurs de théâtres. Il est évident, par exemple, qu’il est parfaitement inique que cette société perçoive des droits sur les auteurs dont les œuvres sont tombées dans le-domaine public, et que, s’il prend fantaisie à un théâtre de jouer le Tartufe de Molière, on
lui réclame dix pour cent au profit de la société, qui n’a rien à y voir. Molière faisant ainsi des pensions à nombre d’auteurs dramatiques plus ou moins illustres, que je ne saurais nommer ici, me parait avoir, en l’espèce, une posture plutôt ridicule.
Il n’est pas moins évident qu’il est injustifié et odieux d’imposer aux directeurs de théâtres le paiement d’une prime annuelle au profit de la caisse de secours des auteurs dramatiques, alors que ceux-ci ne versent rien au profitde la caisse de secours des directeurs, où
M. CHANCEL