LA QUINZAINE THEATRALE


C’est l’heure du plein repos, et aussi celle de la gestation. Les théâtres, dans le silence de la fermeture, préparent la saison prochaine. Déjà, de divers côtés, il y a des indiscrétions plus ou moins combinées qui traversent les airs, comme des ballons d’essai. Ça, ce sont les projets...! alors rien n’est moins sûr. Les projets, ça ne s’exécute pas toujours, c’est
comme les condamnés à mort.
Cependant, par ce que j’ai entendu dire, il me paraît résulter que l’année ne sera pas indifférente : nous aurons, chez les frères Isola, à la Gaîté-Lyrique, le Don Quichotte de Massenet, et, à la Comédie-Française, une comédie de Pierre Wolff et un drame de H. Bernstein. — A la Porte-Saint-Martin, il y aura un grand changement dans les allures du théâtre, qui, renonçant au vieux jeu du drame de boulevard, s’offrira la peau neuve d’une scène tout à fait moderne : d’abord, ce sera une comédie, l’A venturier d’Alf. Capus, avec, pour protagonistes, Guitry, Magnier, Signoret, Mesdames Gabrielle Dorziat et Darcourt. Puis après, une grande pièce en cinq actes de Henry Bataille, avec Guitry,
déjà nommé, Brulé et... Réjane!... Oui, Réjane... En rupture de rue Blanche alors ?... Il en est ainsi, et ce ne sera pas mince curiosité. Mais alors, me direz-vous, que deviendra son théâtre ? Le gardera-t-elle ? Passera-t-elle la main ? Vous m’en demandez trop, et comme je ne mens jamais, je vous dirai, en toute franchise, que je n’en sais rien.
Chez le voisin d’à côté, à la Renaissance, on ouvrira vers le 15 octobre, avec une reprise quelconque, pour avoir le temps de monter le Vieil Homme, la pièce de Georges de Porto-Riche, attendue depuis tant d’années. Celle-ci passerait en novembre. Elle ne peut guère être prête plus tôt, puisque Tarridc, qui est en représentation dans l’Amérique du Sud, ne rentrera à Paris que le 8 octobre. Maintenant, qui jouera dans le Vieil Homme?
Tarride, naturellement ; Madame Simone, — la Poule faisane de la Porte-Saint-Martin, qui change de cage, — Madame Marthe Régnier, la toute charmante comédienne qui, elle aussi, sera revenue de l’Amérique du Sud.— Mais alors, le divorce? me direz-vous ? •— Dame ! il y a un engagement antérieur aux que
relles de ménage, il faudra bien l exécuter. C’est dans le Vieil Homme que nous verrons reparaître une gentille.comédienne, Mademoiselle Margel, qu’on utilise trop rarement. Le malheur, c’est que nous n’aurons pas Marthe Régnier pour bien long
temps : le 15 janvier, il faut qu’elle se rende à Monte-Carlo, où, paraît-il, elle doit rester jusqu’à fin mars. Il faut convenir que nos artistes deviennent de vrais nomades.
Au Vaudeville, on inaugurera la saison avec une comédie de M. Kistemackers... Après? Je ne sais. On annonce trop de choses pour qu’il y ait rien de certain ; et aux Variétés, vous pensez bien que, dès qu’on sera au complet, c’est le Bois sacré qui reprendra l’affiche. Il est en pleine sève, le Bois sacré, et ce n’est pas encore demain qu’on le défrichera.
Voilà ce que j’ai entendu dire, ami lecteur ; je me fais, pour vous, le transmetteur des bruits recueillis sur le bitume du bou
levard, et je les répète simplement, comme ils sont venus à moi, sous toutes réserves et sans garantie.
En attendant l’heure du spectacle, nous en sommes, à ce moment, à l’heure de la lecture. Pendant les chaleurs, à l’ombre des grands arbres, alors qu’on n’a pas sa partie de bridge, ce qu’on peut faire de mieux, c’est lire. Je recommanderai donc à ceux qu’intéressent les « choses de théâtre », la lecture du Jour
nal d Edmond Got (deux volumes, 1822 1901, chez Plon et Nourrit), parce que c’est, à coup sûr, le bréviaire de la Comédie- Française pendant un demi-siècle, son histoire véridique et humoristique. L’auteur, qui est d’une belle franchise, ouvre aussi parfois la lucarne du théâtre pour regarder ce qui se passe au dehors, et ceci n’est pas la partie la moins suggestive de son Journal.
C’était un très honnête homme, ce Got, un peu brutal, un peu grognon, mais de grande franchise. Thiron disait, en par
lant de lui : « Il ne pourra jamais jouer les rondeurs, il a trop d’angles... »
La carrière dramatique du sociétaire, qui fut, on le sait, très brillante, s’est accomplie sous sept directions, occupées par des hommes de qualités bien différentes. Il y a là une étude de caractères amusante à réaliser. C’est sous Buloz qu’il débuta, Buloz, le dernier des commissaires généraux — c’était alors le titre— qui ait administré la Comédie sous Louis-Philippe, et jusqu’à la Révolution de 1848. C’était, paraît-il, le plus bourru des hommes, un Auvergnat sans pitié et sans entrailles, admi
nistrateur correct, sévère mais juste. J ai quelque idée que la nature de Got, un peu fruste, sympathisait avec celle de son directeur. Lockroy vint après Buloz et resta peu. Ancien comé
dien, il se ressentait de son origine et voyait le théâtre par ses petits côtés. Au mois de novembre 1849, révolution de sérail; le commissaire du gouvernement est remplacé par un administrateur général, directeur souverain, Arsène Houssaye, homme charmant, mais très fantaisiste, un peu bohème, qui fit de très belles choses, — c’est à lui, entre autres, qu’on doit l’in
troduction à la Comédie du répertoire de Musset, — mais ne mit pas précisément beaucoup d’ordre dans une maison qui en avait besoin. Aussi, en février 1856, c’est l’académicien Empis, auteur dramatique médiocre, mais fort honnête homme, qui succède à Arsène Houssaye. Il avait deux défauts fâcheux, l’acadé


micien Empis, pour réussir dans la situation : il n’était pas cour


tisan, et il était colère. Un beau jour, on voulut lui imposer le sociétariat pour 1’ « amie » d’un personnage politique, —volon
tiers les personnages politiques ont des « amies » à la Comédie- Française, — le père Empis — ainsi l’appel ait-on — se fâcha tout rouge, et, frappant du poing, le bureau légendaire, s’écria : « Je suis ici pour administrer la Comédie, et non pour faire les affaires des « amies » de ces Messieurs ! » J’écris « amies » par bienséance, mais je sais qu’il se servit d’un mot plus vif. Quarante-huit heures après, jaillissait de l’Arsenal, où il était bibliothécaire, Edouard Thierry, bombardé inopinément admi
nistrateur de la Comédie, où il resta une dizaine d’années. Ce fut un bon administrateur, doux, melliflu, un peu cafard. En 1871, il fut remplacé par Emile Perrin, dont l’administration, à la Comé
die, est restéelégendaire. Ce fut,pendant dix ans, la plus grande prospérité qu on y eût jamais connue. A Emile Perrin succéda Jules Claretie, qui occupe le siège depuis tantôt vingt-cinq ans.
Les Mémoires de Got rappellent les faits et gestes les plus saillants de ces divers administrateurs, et il y a vraiment plaisir et curiosité à faire avec lui ces retours en arrière.
Il y eut, il y a quelques semaines, une séance à l’Hôtel de Ville dont les échos ont dû tinteraux oreilles desgens de théâtre. Car il fut question d’eux au Conseil municipal. M. Emile Massard avait adressé au directeur de l’Assisiance publique une de
mande à l’effet de voir consacrer un service d’hôpital spécial, soit un pavillon particulier, à l’usage des auteurs dramatiques, comé
diens, artistes lyriques et directeurs de théâtre, et aussi un pavillon à usage des mêmes dans une maison de refuge. Sa demande
essuya, de la part de l’Assistance publique, un refus pur et simple : pour l’hospitalisation, lui fut-il répondu, il y a les asiles Galignani et Rossini ; quant à la création d’un pavillon d’hôpital, c’est impossible, parce que cela nous coûterait trop cher.
A quoi le conseiller municipal a très justement répondu que Galignani et Rossini étaient encombrés, car, pour une place vacante, il y a toujours des centaines de demandes ; et que, en ce qui concerne le pavillon spécial dans un hôpital, il était assez juste qu’on s’imposât une dépense, même importante, pour une corporation qui, depuis un demi-siècle, a produit plus de deux cents millions à l’Assistance publique; qui, cette année (1909), a versé près de six millions à la même, et au dévouement de laquelle on ne faisait appel jamais en vain en temps de sinistre.
L’affairé en est là. M. Emile Massard, très soutenu au Conseil municipal, ne se tient pas pour battu, et reprendra sa proposition en temps utile.
FÉLIX DUQUESNEL.