Enfin, la défense fut levée et la première représentation eut lieu, à Paris, le 27 août 1784.
Voici comment les Mémoires secrets en rendent compte : « C’a été sans doute aujourd’hui pour le sieur de Beaumarchais qui aime si fort le bruit et le scandale, une grande satisfaction,
de traîner à sa suite, non seulement des amateurs et curieux ordinaires, mais toute la Cour, mais les princes du sang, mais les princes de la famille royale; de recevoir quarante lettres en une heure de gens de toute espèce qui le sollicitaient pour avoir des billets d’auteur et lui servir de battoirs; de voir Madame de Bourbon envoyer, dès onze heures, des valets de pied au guichet, attendre la distribution des billets indiquée pour quatre heures seulement ; de voir des Cordons bleus, confondus dans la foule, se coudoyant, se pressant avec les Savoyards, afin d’en avoir; de
voir des femmes de qualité, oubliant toute décence et toute pudeur, s’enfermer dans les loges des actrices dès le matin, y dîner et se mettre sous leur protection, dans l’espoir d’entrer la première;
de voir, enfin, la garde dispersée, des portes enfoncées, des grilles même de fer n’y pouvant résister et brisées sous les efforts des assaillants. « Trois personnes, dit La Harpe, furent étouffées. »
Cent fois de suite, la pièce fut représentée etapplaudie. L’auteur ne cessait de veiller sur le succès. Il fit lancer des troisièmes loges une chanson satirique, attribuée au comte de Provence, contre sa comédie. Il fit annoncer la cinquantième représentation « au profit des pauvres mères nourrices ». A la soixante-qua
torzième représentation, il fit courir le récit des infortunes d’une pauvre mère nourrice, prétendue fille adultère de Figaro, qui était veuve d’un ouvrier et demeurait sur le pont Saint-Nicolas.
Photo Bert. SUZANNE
(Mlla Berthe Cerny)
Le Journal de Paris ayant à ce propos publié un article ironique, Beaumarchais répondit vivement : l’auteur de l’article était le comte de Provence, qui se plaignit au Roi ; le Roi fit arrêter Beaumarchais. C’était le comble. Aussi bien, Beaumarchais ne fut détenu que six jours, et, comme compensation, il reçut du
Roi une ordonnance de deux millions de livres sur des avances dont il sollicitait le remboursement.
Et l’on dit que notre temps a inventé « la réclame ».
Il ne serait pas moins intéressant de reproduire les commentaires dont le Mariage de Figaro fut l’objet. Ils sont innom
brables. J’en ai beaucoup sous les yeux. Je voudrais m’en tenir aux plus récents.
Sainte-Beuve est sévère : Il concède que les deux premiers actes sont charmants de vivacité et d’entrain, mais tout de suite il s’en prend à Figaro : « Si l’on prend Figaro et Almaviva comme types des deux sociétés aux prises et en présence, il y a lieu à hésiter (quand on est galant homme), si l’on n’aimerait pas mieux vivre, après tout, dans une société où régneraient les Almaviva,
que dans une société que gouvernerait le Figaro. Figaro est comme le professeur qui a enseigné systématiquement, je ne dirai pas à la bourgeoisie, mais aux parvenus et aux prétendants de toutes classes, l’insolence. » Sainte-Beuve estime que la pièce se gâte du moment que la Marceline, en étant reconnue la mère de celui qu’elle prétend épouser, introduit dans la comédie un faux élément de drame et de sentiment, et il ajoute: « Une tellepièce, où la société entière était traduite en déshabillé et en mascarade, comme dans un carnaval de Directoire, où tout était pris à partie et retourné sens dessus dessous, le mariage, la maternité, la ma
gistrature, la noblesse, toutes les choses de l’Etat : où le maîtrelaquais tenait le dé d’un bout à l’autre, et où la licence servait d’auxiliaire à la politique, devenait un signe évident de révolution. »
J’ai encore devant moi un très curieux article écrit par Francisque Sarcey, en 1871. C’était aprèsles terribles événements de 1871 dont Paris gardait encore la trace : « On a, écrit Sarcey, comme un instinct vague que le moment n’est plus de rire des Figaros. Ce sont eux qui ont fait la Commune, par haine de
CHÉRUBIN
(Mlls Marie Leconte)
LA COMTESSE
(M11* Cécile Sorel)
LE COMTE ALMAVIVA (M. Jacques Fenoux)
FANCHETTE
(Mlle Yvonne Lifraud)
BAZFLE
(M. Bavet)
COMEDIE-FRANÇA.ISE. — LE MARIAGE DE FIGARO — Acte
Voici comment les Mémoires secrets en rendent compte : « C’a été sans doute aujourd’hui pour le sieur de Beaumarchais qui aime si fort le bruit et le scandale, une grande satisfaction,
de traîner à sa suite, non seulement des amateurs et curieux ordinaires, mais toute la Cour, mais les princes du sang, mais les princes de la famille royale; de recevoir quarante lettres en une heure de gens de toute espèce qui le sollicitaient pour avoir des billets d’auteur et lui servir de battoirs; de voir Madame de Bourbon envoyer, dès onze heures, des valets de pied au guichet, attendre la distribution des billets indiquée pour quatre heures seulement ; de voir des Cordons bleus, confondus dans la foule, se coudoyant, se pressant avec les Savoyards, afin d’en avoir; de
voir des femmes de qualité, oubliant toute décence et toute pudeur, s’enfermer dans les loges des actrices dès le matin, y dîner et se mettre sous leur protection, dans l’espoir d’entrer la première;
de voir, enfin, la garde dispersée, des portes enfoncées, des grilles même de fer n’y pouvant résister et brisées sous les efforts des assaillants. « Trois personnes, dit La Harpe, furent étouffées. »
Cent fois de suite, la pièce fut représentée etapplaudie. L’auteur ne cessait de veiller sur le succès. Il fit lancer des troisièmes loges une chanson satirique, attribuée au comte de Provence, contre sa comédie. Il fit annoncer la cinquantième représentation « au profit des pauvres mères nourrices ». A la soixante-qua
torzième représentation, il fit courir le récit des infortunes d’une pauvre mère nourrice, prétendue fille adultère de Figaro, qui était veuve d’un ouvrier et demeurait sur le pont Saint-Nicolas.
Photo Bert. SUZANNE
(Mlla Berthe Cerny)
Le Journal de Paris ayant à ce propos publié un article ironique, Beaumarchais répondit vivement : l’auteur de l’article était le comte de Provence, qui se plaignit au Roi ; le Roi fit arrêter Beaumarchais. C’était le comble. Aussi bien, Beaumarchais ne fut détenu que six jours, et, comme compensation, il reçut du
Roi une ordonnance de deux millions de livres sur des avances dont il sollicitait le remboursement.
Et l’on dit que notre temps a inventé « la réclame ».
Il ne serait pas moins intéressant de reproduire les commentaires dont le Mariage de Figaro fut l’objet. Ils sont innom
brables. J’en ai beaucoup sous les yeux. Je voudrais m’en tenir aux plus récents.
Sainte-Beuve est sévère : Il concède que les deux premiers actes sont charmants de vivacité et d’entrain, mais tout de suite il s’en prend à Figaro : « Si l’on prend Figaro et Almaviva comme types des deux sociétés aux prises et en présence, il y a lieu à hésiter (quand on est galant homme), si l’on n’aimerait pas mieux vivre, après tout, dans une société où régneraient les Almaviva,
que dans une société que gouvernerait le Figaro. Figaro est comme le professeur qui a enseigné systématiquement, je ne dirai pas à la bourgeoisie, mais aux parvenus et aux prétendants de toutes classes, l’insolence. » Sainte-Beuve estime que la pièce se gâte du moment que la Marceline, en étant reconnue la mère de celui qu’elle prétend épouser, introduit dans la comédie un faux élément de drame et de sentiment, et il ajoute: « Une tellepièce, où la société entière était traduite en déshabillé et en mascarade, comme dans un carnaval de Directoire, où tout était pris à partie et retourné sens dessus dessous, le mariage, la maternité, la ma
gistrature, la noblesse, toutes les choses de l’Etat : où le maîtrelaquais tenait le dé d’un bout à l’autre, et où la licence servait d’auxiliaire à la politique, devenait un signe évident de révolution. »
J’ai encore devant moi un très curieux article écrit par Francisque Sarcey, en 1871. C’était aprèsles terribles événements de 1871 dont Paris gardait encore la trace : « On a, écrit Sarcey, comme un instinct vague que le moment n’est plus de rire des Figaros. Ce sont eux qui ont fait la Commune, par haine de
CHÉRUBIN
(Mlls Marie Leconte)
LA COMTESSE
(M11* Cécile Sorel)
LE COMTE ALMAVIVA (M. Jacques Fenoux)
FANCHETTE
(Mlle Yvonne Lifraud)
BAZFLE
(M. Bavet)
COMEDIE-FRANÇA.ISE. — LE MARIAGE DE FIGARO — Acte