est trop vive, on en joue partout. La Grimpette est une pièce amusante, écrite de belle humeur, où l’élément mili
taire se combine avec l’élément civil, ce qui est une garantie de succès. Les pièces qui ont le mieux réussi, depuis une quin
zaine d’années, à commencer par Champignol malgré lui, pour aller jusqu’à la dernière du cycle, Tire-au-flanc, cinq fois cen
tenaire à ce jour, relèvent plus ou moins de l’uniforme, cet uniforme qui intéresse tout le monde, parce que tout le monde est appelé à le porter.
On a beaucoup ri aux galanteries tardives du commandant Chabrisson, qui sévit sur les femmes des réservistes. Il poursuit la politique des résultats avec ces dames, et il y a un thermo
mètre, auquel on peut connaître le degré de réussite de ses cam
pagnes amoureuses. S’il s’acharne à outrance sur le réserviste marié dont il convoite l’épouse, et s’il lui flanque des journées de salle de police, c’est que « ça ne va pas ! » ; si, au contraire, il se montre envers lui d’une douceur parfaite, lui accordant toutes les permissions qu’il demande, c’est que « ça va! », et il faut se méfier. Je dois reconnaître, d’ailleurs, que la morale est respectée, dans ce vaudeville, et ces dames aussi, car le com
mandant ne fait pas ses frais, et revient bredouille de sa chasse aux poulettes !
C’est bien joué, avec entrain, par une troupe de second plan, une troupe de « recrues », reste à savoir si le public, qui est très snob et très mouton de Panurge, ne trouvera pas qu’il lui faut des « réservistes » pour — comme l’on dit — « faire l’affiche ».
Il nous reste encore, pour être au pair, à vous parler de la Renaissance, où on joue les Hannetons, une comédie de Brieux,
curieuse étude de caractère finement observée, et gravée à fleurde-coin, mais qui n’est guère ce qu’on appelle vulgairement du « théâtre », suite de scènes ingénieuses qui auraient pu fournir un acte très plein, alors qu’elles s’étirent en trois actes similaires, et dont les effets se répètent. Trois personnages principaux sont les protagonistes qui s’agitent dans le vide de l’action : Charlotte, le hanneton, créature ultra-nerveuse, capri
cieuse, écervelée, insupportable, qui va, vient, n’a pas deux idées de suite, exagère, pleure et rit dans la même minute, bourdonne, ment, sans savoir pourquoi, pour rien... pour le plaisir. C’est la Guenon du Puys de Gad, dans toute l’horreur de son charme et de sa folie; — Pierre, la victime, un sceptique doux et bon enfant, amoureux du calme de la vie, qui a pris une maîtresse par faiblesse, par désœuvrement, l’a gardée par bonté d’âme, s’y est attaché par veulerie et par le besoin d’habitude;
— enfin le « Monsieur » ; quel « Monsieur » ? le Monsieur, ce personnage sans nom, que nous connaissons pour l’avoir vu déjà dans « Boubouroche », figure intime qui tient grande place dans le répertoire d’Antoine, première manière. Quand je vous aurai dit que Charlotte c’est Mademoiselle Polaire, servie par ses qualités et aussi par ses défauts, qui donne des nuances d’une admirable vérité, se révélant tout à coup très curieuse comédienne; que Pierre c’est Guitry, étonnant de bonasserie résignée et de philosophie naïve; que le « Monsieur» c’est ce
comique parfait qui s’appelle Guy, vous comprendrez qu’il y a là une interprétation supérieure, qui crée l’illusion et donne sensation de la vie réelle.
N’étant pas le préteur, — de minimis non curatprcetor__, — j’ai le droit, le devoir même, de parler des moindres choses, quand elles sont intéressantes,— les moindres choses,ce sont les théâtres d’à-côté, et ils sont légion, — ce qui est intéressant, c’est la pantomime le Désir, la Chimère et l’Amour, jouée avec succès, aux Mathurins, par trois actrices qui, pour la première fois, piétinaient sur les planches. Elles y reviendront, sans doute, par la suite, parce qu’une fois qu’on en a goûté, ça
.ne se guérit pas; c’est comme la grippe, ça vous repince. n
Il paraît que tous les hannetons ne sont pas à la Renaissance, j’en sais qui s’agitent et bourdonnent au ministère des Beaux-Arts, sous prétexte de « Théâtres populaires ». — Pour
quoi faire, bon Dieu! des « Théâtres populaires » ? Qui donc1 les réclame, sinon quelques députés ou sénateurs, qui ont des tragédies ou des drames rentrés, et j’en connais quelquesuns qui sont dans ce cas. Je voudrais bien savoir quel sera le public de ces théâtres et quelles pièces on y jouera? Le
public aime à choisir son spectacle, ne va qu’où il lui plaît d’aller, et où il croit s’amuser.- Ça n’est ni le prix des places, ni l’étiquette du théâtre qui pourront l’attirer. Il ira au Théâtre populaire si on y joue des pièces qui l’intéressent, tout comme il irait ailleurs; mais si les pièces sont ennuyeuses, mal jouées et mal montées, il se fera un devoir et un plaisir de ne pas y aller. Or, dans ces théâtres, les recettes étant forcément minces,puisque les places seront àtrès bonmarché,on disposera de peu de ressources ; par suite, lès mises en scène seront écono
miques, donc médiocres; les acteurs peu payés, donc de second ou troisième choix. Quant aux pièces, comme on a du mal à en trouver, même de passables, dans les théâtres les meilleurs, vous voyez d’ici ce que sera le répertoire de ces fameux Théâtres popu
laires, dont certains nous bassinentles oreilles, les uns pour cause de réclame électorale, les autres pour se donner de l’importance.
Comme notre budget national,, qui ne « boucle » jamais, ne pourrait offrir de fonds à gaspiller aux promoteurs de cette idée ingénieusedes Théâtres populaires, pour construire ces soidisant théâtres, on s’est écrié : « On fera une loterie ! » Vous remarquerez que, depuis quelque temps, la loterie c’est le mqyen infaillible de tourner toutes difficultés, c’est le triomphant « tarte à la crème ! » à quoi l’on ne peut rien répondre, sinon qu’il était inutile d’interdire les loteries de la main droite, si on les autorise ensuite de la main gauche, à propos de tout et de rien. Les théâtres établis et réguliers ont, d’ailleurs, assez de mal à vivre, pour qu’il soit nécessaire d’en créer de nouveaux, qui seraient fatalement de simples boîtes à faillites.
Je crains maintenant que la Société des Auteurs dramatiques n’ait pas à marquer d’une pierre blanche l’année 1906, car elle s’annonce assez mal pour elle, et comme l’on dit, la « commis
sion » a du « coton ». Il y a d’abord la question du Trust, qui ne se résout pas. La commission sévit, il est vrai, en mettant hors la loi, c’est-à-dire en expulsant ceux des membres de la société qui, au mépris de leurs engagements, se font jouer sur les théâtres non « concordataires ». Mais le nombre des schisma
tiques menace, quand même, de grossir, et le moindre modus
vivendi adopté d’accord et par transaction, vaudrait mieux que cette guerre au couteau.
Mais, ceci n’est pas tout. Il y a, d’autre part, un nuage noir qui plane sur la rue Hippolyte-Lebas : c’est la réclamation Donizetti, laquelle peut entraîner une forte carte à payer. Voici en quoi elle consiste : les héritiers de l’auteur de la Favorite réclament à la Société des Auteurs et Compositeurs drama
tiques, les droits d’auteur arriérés du compositeur Donizetti, lesquels auraient été perçus — comme de raison — par ladite société, mais non servis auxdits héritiers, qui, d’ailleurs, ne
les ont pas réclamés, soit par ignorance, soit par oubli, et cela depuis plus de cinquante ans, et vous voyez d’ici la somme que
cela peut représenter ? — Que va faire, dans l’occurrence, la Société des Auteurs dramatiques? — Si les droits des deman
deurs sont justifiés, elle n’a qu’à payer, dans la proportion de ce qui peut être légalement dû; et si par hasard Donizetti n’a pas laissé d’héritiers au degré successible, sa succession alors étant en déshérence, il y a un héritier tout désigné par la loi pour la recueillir, c’est 1’ « État ». Or le fisc, sans entrailles, a des doigts crochus faits exprès pour crocheter les caisses les mieux fermées. En tout cas, voilà en perspective un procès curieux, qui pourra durer pas mal d’années, au train dont
marche la justice, qui passe pour boiteuse, mais qui est plutôt cul-de-jatte.
Pour terminer cette quinzaine théâtrale, que nous nous efforçons de faire aussi complète que possible, signalons dans la
nécrologie dramatique, la mort du tragédien Gibeau, qui, pendant bien des années, tint à l’Odéon, puis à la Comédie-Française, le premier emploi tragique. C’était un petit homme court, trapu,
tassé, campé sans élégance sur des jambes en accent circonflexe. Il était doué seulement d’une bonne mémoire et d’une forte voix,
savait imperturbablement tout le répertoire tragique, et le hurlait à gorge déployée. Au demeurant, un brave homme qui, hors de la tragédie, ne voulait rien savoir, et vibrait avec conviction, plein d’un mépris profond pour ceux qui se permettaient de grasseyer.