Rien de bien nouveau, en cette quinzaine, parce que nous sommes en pleines vacances théâ
trales. Les directeurs sont aux champs ; les artistes se reposent, ceux du moins qui ne sont pas en tournées. Car maintenant, l’art théâtral s’« industrialise » et se transforme en simple combinaison commerciale. A peine les théâtres ont-ils fermé leurs portes, que les artistes les plus en vue, loués par un entrepreneur, vont jouer, avec une troupe de ren
contre, la série de leurs rôles à succès. La promenade se faisait volontiers, autrefois, dans l’Amériquedu Nord. Mais là,les beaux jours sont passés. Maintenant, c’est vers l’Amérique du Sud que se dirigent les efforts des troupes nomades. J’en vois, cette année, cinq ou six qui vont donner leurs représentations à Rio, à Buenos-Aires, voire à Montevideo : Albert Brasseur, Tarride, Madame Marthe Régnier, entre autres, sont parmi ceux qui vont tenter la fortune au pied des Cordillières... Bonne chance je leur souhaite ! !
de Bohème, s’était échappée de l’Odéon, où elle était si bien chez elle, et avait gagné la Comédie-Française, où elle était moins à sa place. La voici maintenant au Théâtre Sarah-Bernhardt, voyageuse intrépide, en attendant qu’un jour ou l’autre elle retourne à l’Odéon. La Vie de Bohème fut représentée pour la première fois, le 22 novembre 1849, sur la scène dès Variétés. Elle avait alors des « couplets », voire des chœurs, — en ce tempslà c’était nécessaire, — elle les a perdus en route. Elle n’eut que demi-succès à la création, malgré une très belle interprétation féminine : Mimi, c’était Marguerite Thuillier, une comédienne d’émotion, celle qui, par la suite, a créé Mademoiselle de Saint- Geneix, l’héroïne du Marquis de Villemer ; Musette, c’était Adèle Page, une très jolie femme qui, pendant longtemps, fut l’étoile du Boulevard. Mais la pièce était mélancolique, malgré l’esprit dont elle fourmille, et, aux Variétés, on voulait rire. Plus tard, elle fut reprise à l’Ambigu, où elle fut peu comprise d’un public trop passionné de mélodrame. En 1865, elle vint à l’Odéon, où elle sembla mieux à l’aise. Elle eut son véritable triomphe sur cette même scène du second Théâtre-Fran
çais, à la reprise de i8y3, avec une interprétation de premier ordre. Nous y relevons du côté masculin, entre autres, les noms de Porel, un charmant comédien, — aujourd’hui directeur du Vaudeville, — et de Pierre Berton, l’un des auteurs de Za^a,
qui jouaient les rôles de Marcel et de Rodolphe; et du côté féminin, ceux d’Emilie Broisat — depuis sociétaire de la Comédie-Française — et de la jolie Léonide Leblanc. L’effet de cette représentation dépassa tout ce qu’on peut dire. Le lendemain, le célèbre critique Auguste Vitu écrivait : « On n’a jamais vu représentation plus émotionnante. Tous les hommes qui avaient dépassé la cinquantaine pleuraient à chaudes larmes... » Dame, tous ceux-là, plus ou moins, avaient connu la « Bohème » ou y avaient vécu. — Aujourd’hui, nous nous éloignons de ces temps qui seront bientôt préhistoriques,
et déjà, la Vie de Bohème, c est presque du « Théâtre d’Ombres ».
A propos des représentations du Mariage de Télémaque, à l’Opéra-Comique, j’ai entendu discuter une fois encore,l’origine de l’opérette, car, en réalité, l’œuvre de Jules Lemaître et de Maurice Donnay, c’est bel et bien une opérette, ce qui n’a rien de déshonorant d’ailleurs, puisque l’opérette n’est, à tout prendre, qu’une manière d’opéra-comique. — Que de discus
sions sur l’origine de l’opérette, et que de revendications ! « C’est moi qui suis son père, a dit Offenbach ; elle est née aux Champs-Elysées, dans la baraque du physicien Lacaze^
que j’ai transformée en théâtre, en 1854. » Et à l’appui de son dire, il brandit un lot de partitions : les Deux Aveugles, le Violoneux, Bataclan, Trombalca^ar, que sais-je encore ? petits chefs-d’œuvre qui précédèrent les grandes opérettes, dont il fut vraiment l’initiateur. — Mais voici que survient Hervé qui, lui, n’entend pas de cette oreille-là, et répond : « Vous nous la baillez belle! c’est moi qui suis vraiment le père de l’opérette, car en 1848, six ans avant vous, j’ai fait représenter Don Qui
chotte, au Théâtre National Lyrique. Puis, moi aussi, j’ai à mon actif une série de petits actes musicaux de fantaisie singulière, de comique burlesque, pleins à déborder, d’idées mélodiques : Toinette et son Carabinier, la Perle d’Alsace, la Fine Fleur d’Andalousie, le Hussard persécuté, le Compositeur toqué, et tant d’autres que j’oublie moi-même; or, ils datent de 1851. D’ailleurs, si ça ne vous suffit pas pour me décerner la paternité, eh bien, je puis aller plus loin encore : en 1841, j’avais alors seize ans, j’ai fait jouer, à Bicêtre, par les fous, ma première opérette : l’Ours et le Pacha, un vaudeville de Scribe et Saintine, que j’avais converti en fantaisie musicale......Vous voyez bien que le père de l’opérette c’est moi ! »
L’argument semble sans réplique, et Hervé triomphe, dates en main, si l’on s’en réfère à la brillante, à l’admirable période de l’opérette, dont Offenbach et Hervé furent les prophètes et dont ils tracèrent la voie. Us y furent suivis par d’autres maîtres de ce genre, devenu populaire : Lecocq, Audran, Planquette, Lacôme, Victor Roger, Varney, et tant d’autres, car ils furent légion. Mais, si l’on se reporte plus en arrière, il me semble bien que ni Hervé, ni Offenbach n’ont inventé l’opérette, par la raison qu’elle existait longtemps avant eux, puisque la marquise de Pompadour la jouait et la chantait dans ses appartements de Versailles, où l’architecte du Roi lui avait édifié un théâtre tout exprès. Elle avait composé un répertoire écrit à son intention, et elle n’était pas, elle-même, le moindre interprète de ces fantaisies musicales. Elle était très fine comédienne, disent les chroniqueurs du temps, chantait très agréablement et avait une voix charmante. On raconte même que M. de La Vaupalière, fermier général et courtisan impeccable, acheta à Jean-Jacques Rousseau le poème et la partition du Devin de Village, qu’il paya bel et bien six mille livres, pour en faire hommage à la favorite. L’opérette de J.-J. Rousseau — car c’en est bien une — fut représentée sur le théâtre particulier de la marquise de Pompadour, qui joua elle-même, en travesti, le rôle de Colin où, paraît-il, elle était délicieuse. Et le succès du
trales. Les directeurs sont aux champs ; les artistes se reposent, ceux du moins qui ne sont pas en tournées. Car maintenant, l’art théâtral s’« industrialise » et se transforme en simple combinaison commerciale. A peine les théâtres ont-ils fermé leurs portes, que les artistes les plus en vue, loués par un entrepreneur, vont jouer, avec une troupe de ren
contre, la série de leurs rôles à succès. La promenade se faisait volontiers, autrefois, dans l’Amériquedu Nord. Mais là,les beaux jours sont passés. Maintenant, c’est vers l’Amérique du Sud que se dirigent les efforts des troupes nomades. J’en vois, cette année, cinq ou six qui vont donner leurs représentations à Rio, à Buenos-Aires, voire à Montevideo : Albert Brasseur, Tarride, Madame Marthe Régnier, entre autres, sont parmi ceux qui vont tenter la fortune au pied des Cordillières... Bonne chance je leur souhaite ! !
Ici, je ne vois guère à signaler qu’une assez intéressante reprise de la Vie de Bohème. Elle avait franchi les ponts, la Vie
de Bohème, s’était échappée de l’Odéon, où elle était si bien chez elle, et avait gagné la Comédie-Française, où elle était moins à sa place. La voici maintenant au Théâtre Sarah-Bernhardt, voyageuse intrépide, en attendant qu’un jour ou l’autre elle retourne à l’Odéon. La Vie de Bohème fut représentée pour la première fois, le 22 novembre 1849, sur la scène dès Variétés. Elle avait alors des « couplets », voire des chœurs, — en ce tempslà c’était nécessaire, — elle les a perdus en route. Elle n’eut que demi-succès à la création, malgré une très belle interprétation féminine : Mimi, c’était Marguerite Thuillier, une comédienne d’émotion, celle qui, par la suite, a créé Mademoiselle de Saint- Geneix, l’héroïne du Marquis de Villemer ; Musette, c’était Adèle Page, une très jolie femme qui, pendant longtemps, fut l’étoile du Boulevard. Mais la pièce était mélancolique, malgré l’esprit dont elle fourmille, et, aux Variétés, on voulait rire. Plus tard, elle fut reprise à l’Ambigu, où elle fut peu comprise d’un public trop passionné de mélodrame. En 1865, elle vint à l’Odéon, où elle sembla mieux à l’aise. Elle eut son véritable triomphe sur cette même scène du second Théâtre-Fran
çais, à la reprise de i8y3, avec une interprétation de premier ordre. Nous y relevons du côté masculin, entre autres, les noms de Porel, un charmant comédien, — aujourd’hui directeur du Vaudeville, — et de Pierre Berton, l’un des auteurs de Za^a,
qui jouaient les rôles de Marcel et de Rodolphe; et du côté féminin, ceux d’Emilie Broisat — depuis sociétaire de la Comédie-Française — et de la jolie Léonide Leblanc. L’effet de cette représentation dépassa tout ce qu’on peut dire. Le lendemain, le célèbre critique Auguste Vitu écrivait : « On n’a jamais vu représentation plus émotionnante. Tous les hommes qui avaient dépassé la cinquantaine pleuraient à chaudes larmes... » Dame, tous ceux-là, plus ou moins, avaient connu la « Bohème » ou y avaient vécu. — Aujourd’hui, nous nous éloignons de ces temps qui seront bientôt préhistoriques,
et déjà, la Vie de Bohème, c est presque du « Théâtre d’Ombres ».
A propos des représentations du Mariage de Télémaque, à l’Opéra-Comique, j’ai entendu discuter une fois encore,l’origine de l’opérette, car, en réalité, l’œuvre de Jules Lemaître et de Maurice Donnay, c’est bel et bien une opérette, ce qui n’a rien de déshonorant d’ailleurs, puisque l’opérette n’est, à tout prendre, qu’une manière d’opéra-comique. — Que de discus
sions sur l’origine de l’opérette, et que de revendications ! « C’est moi qui suis son père, a dit Offenbach ; elle est née aux Champs-Elysées, dans la baraque du physicien Lacaze^
que j’ai transformée en théâtre, en 1854. » Et à l’appui de son dire, il brandit un lot de partitions : les Deux Aveugles, le Violoneux, Bataclan, Trombalca^ar, que sais-je encore ? petits chefs-d’œuvre qui précédèrent les grandes opérettes, dont il fut vraiment l’initiateur. — Mais voici que survient Hervé qui, lui, n’entend pas de cette oreille-là, et répond : « Vous nous la baillez belle! c’est moi qui suis vraiment le père de l’opérette, car en 1848, six ans avant vous, j’ai fait représenter Don Qui
chotte, au Théâtre National Lyrique. Puis, moi aussi, j’ai à mon actif une série de petits actes musicaux de fantaisie singulière, de comique burlesque, pleins à déborder, d’idées mélodiques : Toinette et son Carabinier, la Perle d’Alsace, la Fine Fleur d’Andalousie, le Hussard persécuté, le Compositeur toqué, et tant d’autres que j’oublie moi-même; or, ils datent de 1851. D’ailleurs, si ça ne vous suffit pas pour me décerner la paternité, eh bien, je puis aller plus loin encore : en 1841, j’avais alors seize ans, j’ai fait jouer, à Bicêtre, par les fous, ma première opérette : l’Ours et le Pacha, un vaudeville de Scribe et Saintine, que j’avais converti en fantaisie musicale......Vous voyez bien que le père de l’opérette c’est moi ! »
L’argument semble sans réplique, et Hervé triomphe, dates en main, si l’on s’en réfère à la brillante, à l’admirable période de l’opérette, dont Offenbach et Hervé furent les prophètes et dont ils tracèrent la voie. Us y furent suivis par d’autres maîtres de ce genre, devenu populaire : Lecocq, Audran, Planquette, Lacôme, Victor Roger, Varney, et tant d’autres, car ils furent légion. Mais, si l’on se reporte plus en arrière, il me semble bien que ni Hervé, ni Offenbach n’ont inventé l’opérette, par la raison qu’elle existait longtemps avant eux, puisque la marquise de Pompadour la jouait et la chantait dans ses appartements de Versailles, où l’architecte du Roi lui avait édifié un théâtre tout exprès. Elle avait composé un répertoire écrit à son intention, et elle n’était pas, elle-même, le moindre interprète de ces fantaisies musicales. Elle était très fine comédienne, disent les chroniqueurs du temps, chantait très agréablement et avait une voix charmante. On raconte même que M. de La Vaupalière, fermier général et courtisan impeccable, acheta à Jean-Jacques Rousseau le poème et la partition du Devin de Village, qu’il paya bel et bien six mille livres, pour en faire hommage à la favorite. L’opérette de J.-J. Rousseau — car c’en est bien une — fut représentée sur le théâtre particulier de la marquise de Pompadour, qui joua elle-même, en travesti, le rôle de Colin où, paraît-il, elle était délicieuse. Et le succès du