Les Concours du Conservatoire en 1910


Que dire des concours du Conservatoire? C’est chaque année la même chose ou peu s’en faut :
une bonne production d’instrumentistes, car, de ce côté, le travail est excellent, et c’est là que tous les grands orchestres trouvent à se recruter; de bons élèves, au genre lyrique,
simplement de « bons élèves », ce qui est déjà beaucoup, avec parfois la trouvaille d’une belle voix, ce qui est mieux encore; enfin, dans le compartiment tragédie-comédie,
des sujets bien dressés pour dire la scène qu’on leur a serinée pendant des mois et des mois, et rien plus !
C’est au dernier compartiment qu’est la faiblesse. Pour y remédier, il faudrait faire la révolution, changer bien des choses, et commencer par opérer la séparation des deux enseignements, qui sont très différents, et n’ont rien à voir ensemble. On aurait ainsi un conservatoire de musique et un autre conservatoire pour la déclamation, où se perpétreraient des études plus longues et plus complètes que celles d’à présent.
Cette transformation a préoccupé déjà beaucoup de bons esprits. Elle a même amené, cette année, la démission de deux membres du jury, MM. Antoine, directeurdel’Odéon, etBrieux, l’auteur dramatique, démissions qui ne sont pas une protesta
tion contre les actes du jury, comme on a paru le croire, mais simplement une constatation de l’inutilité des efforts, et l’indica
tion d’une réforme nécessaire. Nous venons d’expliquer ce qui est, et n’avons pas aujourd’hui à insister davantage. Tout le monde est d’accord, d’ailleurs, sur le bien-fondé du desideratum.
La question est de savoir si la réforme est réalisable. Elle nécessiterait, en effet, une certaine dépense, alors que nous sommes, hélas, un peuple très riche... qui n’a jamais le sou !
Le concours de cette année, dont nous allons donner le compte rendu rapide, ressemble beaucoup à celui de l’année dernière, et ressemblera, sans doute, à celui de l’année prochaine. C’est un peu la loi fatale.
Dans le chant, du côté des hommes, le résultat est satisfaisant d’une manière générale et il y a de jolies voix. Nous y trouvons deux premiers prix : M. Tirmont (classe Imbart de la Tour), avec une bonne interprétation de Y Adélaïde de Beethoven. La voix est agréable, le chanteur phrase avec charme. — M. Carrié (classe Cazeneuve), qui a dit l’air fameux de Ballo in Maschera, de Verdi, d une voix juste et avec un bel accent. — Trois seconds prix : MM. Pasquier (classe Hettichj, qui a concouru dans la cavatine du Prince Igor, de Borodine — c’est, par parenthèse, le début, au Conservatoire, du compositeur russe — sa voix de ténor est d’un joli timbre ; — Chah-Mouriadan (classe Caze
neuve), que nous retrouvons en progrès à chaque concours, qui s’est fait entendre dans l’air des Abencérages, de Cherubini. Il a une jolie voix, et phrase bien, mais son accent trahit encore un peu trop l’origine arménienne ; — Capitaine (classe Caze
neuve), chanteur très adroit, bon musicien, qui est à son premier concours. — Trois premiers accessits à MM. Roure (classe Martini), Elain (classe Martini), Clauzure (classe Caze
neuve), mieux qu’estimables tous les trois. — Enfin, trois seconds accessits... d’encouragement à MM. Pascoli (classe Imbart de la Tour), Hopkins (classe Hettich), et Teraille (classe Imbart de la Tour). — Le Jury s’est montré généreux et a distribué, en somme, onze récompenses, sur vingt concurrents.
Trente-trois cantatrices ont concouru pour le chant; toutes d’assez bonne moyenne, sans éclat aveuglant. On a donné dixneuf récompenses. Trois premiers prix à Mesdemoiselles
Willaume-Lambert (classe Engel), Pradier (classe Hettich), et Bonnard (classe Dubulle), — les deux premières sont des seconds prix de l’année dernière. Alors, en conformité de la jurisprudence du Conservatoire, c’était le premier prix ou...
rien. Un premier prix, c’est peut-être beaucoup, mais rien, c’était trop peu, pour deux élèves aussi distinguées. — La troisième, Mademoiselle Bonnard, a dit, avec beaucoup de maîtrise, l’air d’Isabelle, du Pré-aux-Clercs. — Quatre seconds prix à Mesde
moiselles Guillemot (classe Berton) ; Alavoine (classe Hettich), Kirsch (classe Martini), et Calvet (classe Martini); toutes quatre très intéressantes, avec des qualités diverses. — Mesdemoiselles Alavoine et Kirsch me paraissent être, en ce concours, les étoiles futures.— Pluie d’accessits, cinq premiers et sept seconds. Il y a des valeurs dans les premiers, des encouragements mérités dans les seconds. Mais, il m’a paru qu’il y avait ici tendance à des morceaux trop longs. C’est fatigue inutile pour ceux ou celles qui chantent, plus encore pour l’auditoire.
Ah ! l’auditoire, avec quoi diable le compose-t-on ? Où vat-on chercher pareil assemblage de gens mal élevés, turbulents, qui s’efforcent d’imposer au jury leurs stupides appréciations ?
Quand donc comprendra-t-on que pour ces concours, le « huisclos » s’impose, tout au moins, la seule présence d’un public restreint, composé de ceux qu’attirent un intérêt artistique ou une nécessité professionnelle, et non les spectateurs affamés d’une représentation gratuite?
Passons, maintenant, au concours d’opéra. Là, nous trouvons encore une moyenne assez satisfaisante, et vingt-deux concurrents.
A signaler, tout d’abord, un incident : l’un des candidats, M. Tirmont, a « déclaré forfait » comme l’on dit au courses, et s’est dérobé sous prétexte d’une aphonie subite. M. Tirmont venait de donner une excellente réplique à Mademoiselle Hemmler, dans l’acte de « la prison » de Faust, et semblait désigné pour le premier prix. J’ai ouï-dire que ce fut précisé
ment la crainte de ce premier prix qui amena sa défection. S’il l’avait obtenu, MM. Messager et Broussan avaient le droit de le réclamer pour l’Opéra, alors que sa nature et ses qualités semblent le prédestineràl’Opéra-Comique. Il se peut. Jesignale le fait sans rien affirmer.
On a décerné deux premiers prix masculins : l’un à M. Carrié, baryton à la voix solide, qui, dans le rôle tendrement farouche del’Harold de Givendoline, a prouvé non seulement des qualités de chanteur, mais aussi des aspirations dramatiques ; l’autre à M. Chah-Mouriadan, une voix charmante, mais un chanteur incomplet, et qui a des défaillances. — Trois premiers accessits : M. Hugo Fontaine, un ténor possible, mais immobile, sans geste, qui paraît ignorer les plus simples éléments de l’art dra
matique, que le chanteur-comédien doit joindre à l’art lyrique. — M. Jourde, basse profonde, assez profonde pour le « Marceldes Huguenots — et M. Laromiguière, chanteur fin, distingué, mais qui a de l’incertitude dans son exécution. — Un second accessit d’encouragement à M. Godard. — M. Clauzure, à qui fut octroyé un second prix, me paraît, entre tous, celui qui peut le mieux réclamer une personnalité artistique. Il a incarné, non sans fatalité, le « Mefistofele » de Boïto.
Deux premiers prix féminins, l’un à Mademoiselle Willaume- Lambert, déjà premier prix de chant, et que nous retrouverons encore premier prix d’opéra-comique. C’est une chanteuse par
faite. Quant à être comédienne, elle ne s’en doute pas. — L’autre, à Mademoiselle Wiltz, belle Marguerite dans le Mefistofele. — Un second prix à Mademoiselle Guillemot, qui a du charme, et, ce qui est rare, une belle articulation. — Trois premiers et trois seconds accessits à Mesdemoiselles Calvet, Kirsch etCharrières; Mesdemoiselles Lubin, Hemmler et Jeanne Lalowe.
Les professeurs : Isnardon, encaisse six nominations; Bouvet, quatre ; Melchissédec, trois; Dupeyron, trois.
La séance d’opéra-comique fut plutôt « duriuscule » pour ne


pas dire « dure », — ainsi s’exprime Thomas Diafoirus, quand il