tâte le pouls d’Argan, dans le Malade Imaginaire. — Rien que sept heures de séance ! Excusez du peu ! Au début, un petit inci
dent ; un coup de sonnette opportun et inusité, du président du jury. Ce bon Monsieur Fauré interrompit, avec raison, une scène trop longue de Mireille, qui avait l’air d’une reprise complète de l’opéra de Gounod. Ce coup de sonnette du prési
dent devrait bien être la leçon des professeurs, qui vraiment abusent, et servent de trop copieux morceaux. Les juges ont le
droit de se couvrir et de dire aux avocats trop bavards — il y en a ! — : « La cause est entendue ! » — Ici, deux premiers prix : le ténor Tirmont — nous en avons parlé plus haut — a aisément décroché le sien avec le rôle de Julien, dans Louise, escorté d’une série de bonnes répliques ; — de même le ténor Pasquier,
aimable Fortunio, dans le Chandelier. — Trois seconds prix suivent: à M. Capitaine, agréable chanteur, qui s’est signalé dans Grisélidis ; M. Clauzure qui, dans les Contes d’Hoffmann, nous a rappelé Taskin; et M. Chah - Mouradian, à qui je souhaite vraiment toute prospérité, pour le récompenser de tant d’efforts. — Deux premiers accessits ont été à M. Elain, un tout jeune baryton, bien chantant; et à M. Laromiguière —alors que
le jeune Cousinou, sous l’habit militaire, — faisant deviner ainsi qu’il était soldat — a eu un second accessit pour cause d’encouragement très mérité.
Du côté des femmes, deux premiers prix. L’un à Mademoiselle Willaume-Lambert, — c’est son troisième premier prix! — obtenu dans le Rêve de M. Bruneau... Trois premiers prix, c’est peut-être beaucoup. Je vois des déceptions dans le lointain. — L’autre à Mademoiselle Guillemot, chanteuse charmante, comé
dienne intéressante, qui s’est fait entendre dans Sapho. — Quatre seconds prix : à Mademoisells Kirsch, belle Vivandière, au bon
net de police crânement penché sur l’oreille; Mademoiselle Bonnard, Mireille ; Mademoiselle Thévenet, un peu lourde dans la Thérèse de Massenet; Mademoiselle Pradier, passable dans l’Angélique du Rêve... J’en attendais mieux. — Enfin, trois premiers accessits à Mesdemoiselles Hemmerlé, Alavoine et Arcos; et deux seconds à Mesdemoiselles Lubin et Vénezas.
Les professeurs : Isnardon, onze nominations; Bouvet, quatre; Dupeyron, trois ; Melchissédec, une.
E finita la musica !
Passons au concours de tragédie-comédie, le plus couru de tous par la foule inutile ; celui dont les députés et sénateurs régalent leurs électeurs et leurs créanciers, ce qui constitue, ainsi, d’étonnantes salles de « gratis ».
Là, ce fut plutôt modeste : en tragédie, on vit quelques élèves qui déclamèrent une scène laborieusement apprise, laquelle porta plus ou moins, selon que plus ou moins elle était à effet. Ceux qui sont documentés comprennent trop aisément qu’ils se trouvent vis-à-vis d’une façade, derrière laquelle il n’y a pas grand’ chose, c’est-à-dire plus de « chiqué » que de savoir, et avant tout, l’imitation du professeur, plus encore dans ses tics, que dans ses qualités.
Cette année, il y avait tant de concurrents qu’on avait dû diviser le concours en deux parties. Une fournée fut consacrée à la tragédie et une autre à la comédie.
Sur la tragédie, il n’y a guère à s’étendre, c’est de bonne moyenne dans le médiocre. Le jury fut, d’ailleurs, économe de récompenses. Pas de premier prix du côté des hommes. Un simple second prix à M. Baumé, un jeune artiste qui ne manque pas de couleur. Il a joué dans une scène du Struensée de Paul Meurice, le rôle de Christian VII, ce tyran hystérique si bien créé par Le Bargy. M. Baumé est un excentrique, genre Taillade.
— Trois premiers accessits à MM. Fontaine, Mendaille et Rocher, des élèves corrects... C’est tout, et c’est assez !
Chez les femmes, un premier prix à Mademoiselle Ducos (premier accessit de 1909) qui a des qualités tragiques. Elle a dit la grande scène des Horaces, les « imprécations de Camille ». L’effet en est sûr et le succès se partage, avec le bon Corneille.
— Trois seconds prix : à Mademoiselle Albane, qui est depuis longtemps au Conservatoire. — C’est un exeat: — à Mademoiselle Guyta-Dauzon, qui a dit avec de l’énergie soulignée de beaux gestes, la scène de Kassandra, dans les Êrinnyes ; — et à Made
moiselle Revonne, une jolie blonde qui a de réelles qualités, et m’a rappelé Sarah Bernhardt,àson aurore; — enfin, à Mademoiselle Marialise, une Andromaque qui ne manque pas d’émotion.
En comédie, nous trouvons trente-trois concurrents munis de scènes sans fin. Le jury fut plus prodigue que pour la tragé
die : un seul premier prix, cependant, au compartiment des hommes : à M. Gerbault, qui a des qualités, de l’acquit, de la convenance, et j’ajouterai, sournoisement, de la malice, car il a choisi pour son concours l’admirable scène du sonnet du pre
mier acte du Misanthrope, où la « Chanson du roi Henri » devient aisément un triomphe. Il l’a dite, d’ailleurs, avec une certaine émotion communicative. — Trois seconds prix à MM. Grouillet, Fontaine et Baumé. Tous trois de valeurs diverses. — M. Grouillet est un comique de tempérament et d’action, tout jeune et plein d’entrain, élève de Berr qui lui a communiqué sa finesse, et son esprit. Il me paraît être la « trouvaille » de l’année, et a dit une scène du Joueur avec une véritable supériorité. Sur l’avenir de celui-là, je suis sans inquié
tude; — M. Fontaine, lui, est un comédien de convenance,— et M. Baumé, un comédien de drame. — En outre, quatre premiers accessits et un second.
Chez les femmes, à signaler un premier prix à Mademoiselle Révonne, très acclamée, et elle le méritait, pour une scène de l Autre Danger, de Maurice Donnay. — Deux seconds prix à Mademoiselle Defrance, excellent concours, dans une scène du Mariage sous Louis XV, jouée avec beaucoup de charme, de fraîcheur et de naïveté : et à Mademoiselle Camey, une « bien jolie femme » dont le plus grand mérite, c’en est un, d’ailleurs, est d’être une « bien jolie femme » ! Le jury a jugé son concours, comme s’il avait été le « berger Paris » lui-même. Enfin, pluie battante d’accessits... quatre premiers... quatre seconds ! ! — Us sonttrop, comme à Waterloo. —Je distinguerai cependant, dans la mêlée, Mademoiselle Sylviac, la fille de la comédienne de ce nom. C’est une grande et belle personne, qui chasse de race, et a joué avec beaucoup d’esprit et d’entrain, une scène de la Mcgère apprivoisée, où elle fut vraiment très plaisante... et maintenant, à l’année prochaine !
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Il nous faut inscrire, aujourd’hui, à notre table nécrologique, le nom de Delphine Ugalde-Varcollier, la grande cantatrice, connue familièrement, sous le nom de « Madame Ugalde », qui depuis bien longtemps avait quitté le théâtre, mais qui fut, avec Madame Carvalho, une des plus parfaites cantatrices du milieu du siècle dernier. Madame Ugalde élève de sa mère, Madame Beaucé, n’avait pas passé par le Conservatoire, et quand elle débuta à l’Opéra-Comique en 1848, ce fut un coup de surprise pour le public charmé, son entrain, son jeu, le charme de sa voix, la sûreté de son exécution musicale lui valurent un véri
table triomphe dans le Domino noir et l’Ambassadrice. Mais son premier grand succès, celui qui la mit hors de pair, ce fut sa création du Caïd, l’opéra-bouffe d’Ambroise Thomas (3 janvier 1849). Elle fut, pendant bien des années, l’étoile incompa
rable de l’Opéra-Comique, et il suffit de rappeler la Galatée,
de Victor Massé, pour réveiller son glorieux souvenir. Douée d’une voix de soprano d une admirable souplesse, elle vocalisait avec une prodigieuse agilité ; ses notes aiguës étaient brillantes et sonores, son jeu de comédienne plein d’entrain, de finesse et d’esprit, et sa maîtrise musicale, tout à fait impeccable. Elle s’était consacrée au professorat, depuis longtemps, et Marie Sasse, entre autres, fut une de ses élèves.
FÉLIX DUQUESNEL.