Fricka, de la Valkyrie ; Edwige, de Guillaume Tell ; Dalila, de Samson et Dalila ; enfin, Fidès, du Pro
phète•, et elle aborda ce dernier rôle avec d’autant plus de joie et de courage, qu’il était plus important et qu’elle en avait reçu les traditions de Madame Artot, élève elle-même et remplaçante de Madame Pauline Viardot dans l’opéra de Meyerbeer.
A mesure que Mademoiselle Flahaut prenait plus d’aisance en scène, sa voix devenait plus homogène ; les registres s’accordaient mieux entre eux, et l’or
gane, sans rien perdre de sa belle sonorité, gagnait beaucoup du côté de l’égalité. Mademoiselle Flahaut, d’ailleurs, n’arrêtait pas de travailler. Mais, par un hasard singulier, le rôle où elle s’est montrée absolument supérieure, où elle a produit une im
pression ineffaçable, fut celui d’Andromaque, dans la Prise de Troie : ici, elle n’avait qu’à mimer. Mais quelle noblesse dans la démarche, quelle dou
loureuse expression du visage, quelle harmonie dans les lignes du corps, quelle éloquence dans la phy
sionomie et dans les gestes lorsque, drapée dans de longs vêlements de deuil et tenant par Ja main le jeune Astyanax, elle s’avança toute muette, vers l’autel où brûlait le feu sacré et supplia les dieux de venger la mort d’Hector !...
Cette Andromaque-là devait porter bonheur, pour toute la suite de sa carrière, à Mademoiselle Flahaut, et le fait est qu’à dater de ce jour, elle occupa une place beaucoup plus en vue à l’Opéra. Si elle avait à rejouer quelqu’un des rôles où elle s’était déjà essayée, elle y montrait plus d’autorité, plus d’ampleür de voix, et, lorsqu’elle en abordait de nouveaux, comme celui d’Erda, dans Siegfried, ou celui d’Azucéna dans le Trouvère, elle témoignait d’une sûreté dans les effets dramatiques, d’une solidité dans la façon de chanter sa partie ou de présenter un per
sonnage qui faisaient bien apprécier quel chemin elle avait parcouru depuis l’époque de ses débuts, com
bien sa confiance en elle-même avait augmenté à la suite de son succès dans Andromaque et combien elle avait su profiter des excellents conseils d’un maître auquel elle se plaît à rendre hommage et qui n’est autre que son directeur.
Mais entre tant de personnages qui lui sont tous également chers, ceux qui paraissent le mieux lui convenir, ceux où elle fait le plus d’impression en raison de sa haute taille et du grand souci qu’elle a des belles attitudes, des mouvements harmonieux s’accordant bien avec la musique qu’elle interprète, ce sont, pour moi, les divinités du répertoire wagnérien, cette jalouse et redoutable Fricka, cette énig
matique et sombre Erda, pour lesquelles il semblait qu’elle fût une interprète prédestinée. Aujourd’hui, Mademoiselle Flahaut est une Daiila, une Fricka, une Erda, une Fidès de premier plan et se montre régulièrement dans ces différents rôles, pour la plus grande satisfaction du public. Pourquoi faut-il que le seul personnage qu’elle n’a plus jamais l’occasion de jouer, soit précisément celui où elle se distingua d’une façon si éclatante et qui la mit en pleine lumière ?
PAUL FRÉTOY.
DU THÉATRE NATIONAL DE L’OPÉRA
Mlle FLAHAUT
Photo P. Berger.