LA QUINZAINE THÉATRALE


C’était la quinzaine dernière, l’accalmie; cette fois, nous voici en pleine période active : les pre


mières succèdent aux premières. C’est la fièvre du renouveau, et le temps qui s’est mis au froid a favorisé l’éclosion des pièces en répétition, on s’est empressé de les produire à la rampe.




L’Odéon a ouvert la marche, avec une pièce consciencieuse, le Cœur et la Loi, nouvelles variations sur un air très connu, l’air du divorce. Les auteurs — ils sont deux, MM. Paul et Victor Margueritte — se sont proposé de nous démontrer le désaccord qui, le plus souvent, existe entre l aspi




ration du cœur et l’exigfpce de la loi. Leur pièce est une sorte de plaidoyer en faveur du divorce, comment dirais-je, par con




sentement unilatéral, celui qui dépendrait de la volonté d’un seul des conjoints, malgré la résistance de l autre. Cette comédie judiciaire, soignée dans ses détails, se résout en conférence,


la mère et la fille plaidant à tour de rôle, au troisième acte, le « pour » et le « contre ». La première se prononçant pour la loi, la régularité sociale, la nécessité du sacrifice, le devoir d’accep


ter certaine situation, même déplaisante, plutôt que de vivre « en marge ». La seconde se faisant l’avocat des droits du cœur,


de la conscience supérieure aux tyrannies légales, et proclamant le triomphe nécessaire de l’union libre.
Chez Antoine, Vers l’Amour! est un très grand succès, et l’œuvre charmante de Léon Gandillot va parcourir assurément une belle carrière. C’est un roman d’amour qui nous est conté, en ses phases différentes, et celles-ci sont d’une humanité vécue, si vécue même, qu’on dirait un récit de « ce qui est arrivé... » quelque chose comme le procès-verbal d’un accident cardiaque commencé en sourire, terminé en drame.


Jacques Martel, un jeune peintre de talent, s’est pris de béguin pour la grande Blanche, une jeune fille, cordiale, aimable, sans façon, mais diablement séduisante, simple béguin, d’ail




leurs, passion d’un jour, d’une heure, l’amour qui passe, sans rien laisser qu’un souvenir fugitif et charmant. Jacques est trop positif, pour qu’il en soit autrement, il ne saurait se prendre, pour tout de bon, en vertu de l’axiome : « Il nous faut du plaisir, le plus possible..., de l’habitude, jamais! » La liaison s’est faite, un soir, dans une sorte de caboulot artistique de Montmartre, où l’on dîne au « plat », entre rapins de tous les arts et littéra




teurs en jeune pousse. Puis le temps a passé. Notre Jacques s’est alangui. Il n’y a pas eu rupture avec Blanche, mais ralentissement, par terreur du collage. Il la voit de loin en loin, sa con


science lui souffle à l’oreille qu’il est temps de faire une fin, et, après avoir battu les buissons, de revenir sur la grande route, celle qui court tout droit, à travers le monde. Son ami Louis Gautier, qui a fait un mariage heureux, le convertit à l’idée du foyer, et, justement, il a sous la main une jeune fille adorable, sa belle-sœur Yvonne, qui plaît à Jacques, à qui Jacques plaît. C’est le mariage rêvé, le bonheur bourgeois en perspective.
Mais voyez les frasques du hasard : une rencontre de Jacques avec Blanche remet tout en question. Yvonne qui pressent le danger se retire, comme une biche blessée, tandis que Blanche qui a subodoré le prochain mariage s’est enfuie, et que Jacques pensif ne regrette le mariage rompu qu’à demi, car il a trouvé Blanche plus séduisante que jamais. Or, voilà que Blanche a un protecteur, l’ami de tout repos, un ancien marin très riche, le type achevé de la galanterie et de la bonté. Celui-là l’adore, et l’épouse. Ce brave homme qui a « régularisé » et donné son nom, ne veut pas être trompé. Son exigence n’est pas démesurée, et comme Jacques qui a retrouvé la piste de l’infidèle, et dont l’amour irrité par l’obstacle s’est fait plus âpre et plus violent encore, la poursuit jusqu’au foyer; le mari fait comprendre à l’épouse, qu’il désire que Jacques soit éconduit : « Va-t’en, — dit Blanche
à l’ancien amant — ta place n’est pas ici ! — Soit, réplique Jacques, mais alors viens me voir à mon atelier, je t’en supplie... Je t’attends..., car je t’aime plus que je n’ai jamais aimé! » En partant, il décoche son adresse, comme la dernière flèche : « Tu sais, je demeure maintenant, 24, rue Berlioz. — Jamais! répond Blanche, jamais !!! »... Puisavec un mouvement de curio
sité, de cette insatiable curiosité de femme, elle se jette sur un agenda qu’elle ouvre fiévreusement, en disant : « Où donc est-ce, la rue Berlioz ? »
L’acte qui suit — le quatrième — est le point culminant de la pièce, il est poignant de vérité, dans son exécution, et admira
blement joué par Grand et Jeanne Rolly— c’est l’acte delà crise. Il se passe dans l’atelier de Jacques, qui attend Blanche, car elle lui a promis de venir le voir. Blanche a saisi tout son être, elle a pris toute sa pensée, il ne peut plus vivre sans elle, absorbé qu’il est par le désir. Elle vient enfin, mais rapide, c’est un acquit de conscience, une visite de pitié, qu’elle fait à l’amant d’autrefois. C’est à peine si elle consent à ôter son chapeau. Elle en est à cette période de l’amour agonisant, où la femme fait l’offre de son « amitié », où elle répond aux caresses ardentes de fièvre, avec cette phrase bien connue que jette sa bouche indifférente : « Voyons, mon ami, soyez raisonnable! » Elle est mariée, elle a juré, elle ne trompera pas son mari. Elle s’esquive donc, et comme Jacques pleure, implore, se désole : « Attends, — ditelle, avec un sourire de commisération attendrie, — mon mari doit dîner en ville ce soir, je prétexterai quelque devoir de famille, et je reviendrai dîner avec toi... » Jacques est fou de joie, il exulte, comme un collégien, à son premier rendez-vous. II com
mande le dîner, il met le couvert lui-même, il danserait comme David devant l’arche..., alors que, tout à coup, le téléphone fait entendre sa sonnette, lugubre, comme un glas, il pâlit, écoute : C’est Blanche qui lui annonce qu’elle ne peut venir dîner, et qu’elle ne viendra pas. Il s’affale, verse un torrent de larmes, anéanti de désespoir.
Le dernier acte, dernier mot de l’aventure amoureuse, est un épilogue navrant et douloureux, hélas ! trop réel. Jacques Martel changé, maigri, voûté, vieilli, est venu revoir le petit coin du bois, où il se rencontrait autrefois avec Blanche, et le hasard y amène celle-ci, qui y vient de son côté, poussée par un reste de vague habitude. Le duo est sinistre. Jacques plus amoureux que jamais, bien qu’il s’en défende, loque humaine que la morphine a déchiquetée, propose à Blanche de s’enfuir avec lui, de divorcer... mais elle résiste, le repousse doucement... elle n’aime plus... il est trop tard, elle lui fait comprendre qu’entre eux s’élève la question d’argent, la banquette irlandaise, infranchissable. Elle ne le reverra plus, car son mari l’emmène au loin, pour un grand voyage : « Adieu, dit-elle, oublie-moi ! » Et l’amant écon
duit, désespéré va demander à l’eau du lac, à l’endroit qu’il sait le plus profond, la paix suprême, celle que l’amour ne trouble pas!!! Nous nous sommes étendu à dessein sur cette pièce, dont une sèche analyse ne peut exprimer le charme mélanco
lique, parce qu’elle nous paraît devoir être un des grands succès de l’année. Le dialogue y étincelle de l’à-propos d’un esprit toujours en éveil, et la forme en est saisissante de vérité sincère. J’ai dit l’effet très grand, l’interprétation y contribue, pour sa part, et la mise en scène est d’une recherche artistique et d’une simplicité pittoresque.
Deux nouveautés à signaler dans les théâtres de genre : aux Variétés, le Bonheur, Mesdames ! un conte parisien, dans l’allure du Nouveau Jeu, conte à la fois croustilleux et... moral... oui moral !—vous avez beau rire et vous étonner. — Puisque la conclu
sion est que le meilleur moyen d’être heureux, c’est de vivre en son ménage : « Voilà le bonheur, Mesdames !!! » a proclamé au baisser du rideau, Madame Marie Magnier s’adressant aux cha