LA QUINZAINE THÉATRALE


La Quinzaine est très chargée, cette fois. Il y a des périodes où il en est ainsi. Passons donc une revue rapide des pièces nouvelles destinées à tenir, plus ou moins longtemps, l affiche.
C’est d’abord, au Vaudeville, le Bourgeon, une comédie en trois actes de Georges Fey
deau, pièce très osée, où l’auteur a joué la « difficulté », et, d’ailleurs, gagné sa partie, puisque ce fut un succès. Le Bourgeon, c’est l’aventure d’un jeune séminariste qui
subit la crise de ses vingt ans et ne demande qu’à s’épanouir. Il s’épanouit, en effet, et jette le froc aux orties. Un personnage de la pièce en dégage la moralité par une phrase à la Joseph Prudhomme : « Mieux vaut un bon citoyen qu’un mauvais prêtre.» Il est certain, entre nous, que le jeune Maurice de Plounidec — c’est le nom du « bourgeon » — n’avait pas une
vocation bien sérieuse, puisqu’il a suffi de l’entrée en scène d’une cocotte pour lui faire lâcher le séminaire.
Le sujet, traité au comique, a plu tout particulièrement au public du Vaudeville, sevré, depuis longtemps, du rire, et auquel on a servi, trop souvent, le ragoût à la sauce noire.
Le Théâtre des Variétés, qui faisait, avec la Piste, une soirée trop courte, a eu la bonne idée de renforcer son spectacle d’une pièce en un acte tout à fait charmante. Cela s’appelle la Chance du Mari, et se signe de Fiers et A. de Caillavet; c’est un pro
verbe fin, spirituel, pailleté d’esprit parisien, aventure matri
moniale où l’on voit un mari qui, s’apercevant que sa femme est courtisée par deux candidats, trouve le moyen ingénieux de neutraliser l’un par l’autre et de rentrer tranquillement dans la place dont on voulait le faire déguerpir. C’est agréablement joué par Cooper, le mari; André Dubosc, l’amant n° i, un Américain fantaisiste, et Prince, l’amant n° 2, le mondain godiche, aux effarements comiques.
Au Gymnase également, floraison d’une très agréable pièce en un acte, le Cœur d Angélique ; encore une aventure matrimo
niale, celle-là plus salée que l’autre, puisqu’il s’agit d’un mari qui préfère partager le « cœur d’Angélique » — c’est le nom de sa femme — avec « l’autre » plutôt que de garder, pour lui tout seul, la mauvaise humeur de la personne.
Je constate, avec bien du plaisir, le succès de ces deux actes, car je prêche toujours la résurrection delà pièce en un acte, une forme théâtrale excellente et vraiment trop négligée par les directeurs.
Au même Gymnase, et aussi aux Nouveautés, deux pièces à signaler dont la réussite n’a pas dépassé l’estime, et qui auront quitté l’affiche quand paraîtra cette Quinzaine.
Sacha, au Gymnase, comédie en trois actes, de Madame Régine Martial, un petit drame intime, non sans valeur, mais un peu trop « quelconque » pour trouver son public, et qui avait le tort de se dénouer par cet inévitable coup de pistolet dont on commence à se fatiguer.
Aux Nouveautés, l’irrésistible, comédie en quatre actes, de M. Auguste Germain, dont le tort a été de manquer de parti 1 pris : trop comédie pour un vaudeville, trop vaudeville pour une comédie.
A la Porte-Saint-Martin, un drame nouveau, Sous l’Epaulette, a eu grand succès. L’auteur, Arthur Bernède, qui a con
tresigné le livret de Sapho avec Henri Cain, et a signé tout seul la Duchesse de Berry, il y a quelques années, et, tout dernièrement, la Soutane, a traité dans- sa pièce un sujet délicat et sca
breux, celui de l’officier pauvre, aux prises avec les misères de la vie de régiment. Mais il l’a traité avec délicatesse et a con
tourné les difficultés du postulat en s’efforçant de ne blesser personne et de faire à chacun la part qui lui est due. Il y a, dans ce drame très ému, très vibrant, trois personnages bien des
sinés et qui ont eu la chance de trouver d’excellents interprètes,
le lieutenant Ferbach, l’officier pauvre, joué avec sincérité et réelle émotion par Marié de Lisle; le colonel Montarlan, où Dulac trouve l’emploi de sa belle prestance; et le capitaine Lan
celin, la « culotte de peau », un type de brave homme, au cœur ouvert, au bon sens aiguisé, doux et bon. Duquesne en a ciselé l’effigie avec une maëstriasans égale. Jamais l’excellent comédien n’a fait création meilleure.
Maintenant c’est à la Gaîté, l’Attentat, pièce en cinq actes d’Alfred Capus et Lucien Descaves, une amusante comédie de mœurs, presque de caractère, car le personnage principal nous présente, dans une vive et spirituelle ironie, la figure toute moderne du politicien de carrière, celui que nous connaissons trop, qui n’a d’autre conviction que celle qui représente son intérêt personnel, qui s’affuble de l’étiquette du jour, s’intitule à volonté radical ou socialiste, alors qu’il se soucie de la question sociale à peu près autant que de sa première brassière. Le per
sonnage est de bon comique, et Coquelin l’a joué avec beaucoup de verve; c’est un type curieux à accrocher sur la cimaise, entre le Rabagas de V. Sardou et le Pégomas d’Édouard Pailleron.
Maintenant il est question, paraît-il, de la reconstitution du comité de lecture à la Comédie-Française. Quelqu’un a dit, il y a dix-huit mois, quand on l’a supprimé : On fait bien de sup
primer le comité de lecture, parce que ce sera le seul moyen de le rétablir..., seulement voilà, paraît-il, qu’à ce propos se soulèvent diverses questions accessoires.
D’abord, doit-on composer le comité de lecture exclusivement de sociétaires hommes, ou bien faut-il y adjoindre des sociétaires femmes ?
Il me semble que poser la question c’est aussi la résoudre. Pourquoi, je vous prie, les sociétaires femmes ne prendraientelles pas place au comité? les comédiennes ont l’instinct du théâtre tout autant que les comédiens, elles ont même, parfois, une finesse particulière, et leur avis peut être bon à prendre.
Autrefois elles faisaient partie du comité dont elles furent évincées à la suite de je ne sais quelles intrigues. L’un des motifs de cette éviction fut, paraît-il, un certain sac de pralines qu’Augustine Brohan croquait à belles dents pendant les lec
tures et qu’elle passait aux camarades; un autre fut un bulletin de vote d’écriture féminine ainsi conçu : Je repousse cette ouvrage parce qu’elle est vraiment trop mal écrite... Entre nous, le sac de pralines n’était pas un grand crime; quant au bulletin,
il prouvait simplement que celle qui l’avait rédigé avait une vague connaissance du sexe des mots, cela ne l’empêchait sans doute pas d’avoir un jugement sain et un sûr instinct drama
tique. On aurait donc tort, je crois, d’écarter systématiquement du comité, les dames sociétaires. C’est question de choix à faire et de sagacité dans le choix.
Mais il est une autre question plus grave et plus dangereuse: doit-on adjoindre aux sociétaires quelques littérateurs, auteurs dramatiques ou critiques? Ça, c’est une autre affaire. Il me parait, quant à moi, singulièrement dangereux de conférer à des auteurs dramatiques le droitde recevoir ou de refuser des pièces présentées à la Comédie, par cette raison qu’ils interviendraient ainsi dans une affaire commerciale qui ne les regarde pas et dont ils n’ont à subir ni les risques, ni les conséquences. Les sociétaires jugent et administrent à leurs risques et périls; s’ils se trompent dans leur choix, c’est tant pis pour eux. Mais les auteurs dramatiques pouvant imposer leur irresponsabilité, cela me semble un peu vif.
Le monument consacré à la mémoire d’Alfred de Musset s’élève, ainsi que nous l’avons dit, à l’encoignure du Palais- Royal et fait face directe au café de la Régence, c’est là une coïncidence amusante, car Musset a fréquenté ce café toute sa vie et ne le quitta guère pendant ses dernieres années. Il était grand joueur d’échecs, et l’on sait que c’est à la Régence que les amateurs les plus distingués venaient, suivant l’expression consacrée, «pousser le bois ».
A une certaine époque, il y a de cela un demi-siècle environ, les sociétaires de la Comédie-Française y étaient des plus assi
dus, et, tous les soirs, à l’issue de leurs répétitions, on les voyait s’attabler des deux côtés de l’échiquier. La grande partie dite « des sociétaires » commençait vers les cinq heures, et ony voyait