Lfs théâtres continuent leur « course au clocher », et les premières se succèdent à l’envi, avec des fortunes diverses. Il en est. d’ail
leurs, ainsi à certaines époques de l année. Cette fois, c’est l’approche de la semaine de Pâques qui éperonne les directeurs.
A l’Odéon, je trouve une pièce intéres
sante et curieuse, le Glatigny de Catulle Mendès, œuvre singulière, de grand charme, dans sa folie vou
lue, parée de vers magnifiques, aux images pittoresques, d’une belle richesse de couleur, et d’une éclatante sonorité. Ce fut comme un réveil de la « Bohème littéraire » un peu endormie sinon tout à fait oubliée. Il fallait un prétexte à l’auteur pour développer son thème, il a choisi le personnage d’Albert Glatigny, poète bohème, qui fit des vers exquis, et mourut d’épui
sement et de misère. Ce nomade, qui accomplit le pèlerinage de la vie, et tour à tour comédien, souffleur, homme de lettres, improvisateur, était le type rêvé pour soutenir le poème dramatique de Catulle Mendès, qui n’a eu qu’à puiser à même l’exis
tence plutôt accidentée de son héros pour trouver les épisodes nécessaires à la construction de son drame. Les tableaux de celui-ci, un peu incohérents, se rattachent les uns aux autres par le lien philosophique d une idée générale, et la continuité des figures d’aimable symbolisme qui accompagnent l’action. Ils s’aiguisent de curiosité, par la mise en scène de certains person
nages réels qui ont vécu près de nous. Le tort de ces effigies est peut-être même d’être trop connues de l’actuelle génération, et de n’avoir pas pris encore patine de postérité. On les a rappelées,
d’ailleurs, un peu partout, en ces temps derniers. Ce furent celles de la Brasserie des Grès, où fréquentait Albert Glatigny entre autres, Fernand Desnoyers, le poète fantaisiste, l’auteur des Chansons parisiennes et du Salon des refusés — qui se souvient de lui?— qu’on avait surnommé le « désespoir de sa famille »,
laquelle était de bonne et timide bourgeoisie. — Théodore Pelloquet, le type du journaliste à tout faire, qui posa devant l’objectif d’Emile Augier,et lui servit de modèle lorsqu’il façonna son « Giboyer ». — Stamir, autre journaliste, d’origine hon
groise, qui passa jadis pour avoir d’amicales relations avec la police. — Victor Cochinat, le sosie d’Alexandre Dumas père, qui ressemblait au romancier célèbre comme une pièce en plomb ressemble à une pièce en argent, — le peintre Courbet, qui, lui aussi, appartient à la bohème de l’époque, et tant d autres encore, qu’il faut négliger, parce que la liste en serait trop longue !
Glatigny a été bien monté par la direction de l’Odéon, qui s’est efforcée de reproduire les milieux d époque avec couleur de pittoresque, et joué, avec plus de zèle que de réussite, par une troupe qui ne me paraît pas avoir la notion du rythme. J’excepte de ce jugement Mademoiselle Jeanne Thomassin, merveilleuse diseuse de vers, — et qui, d’ailleurs, en a trop peu à dire, — et Tarride, qui se démène de son mieux dans le personnage de Glatigny, qui semble le contraire de sa nature.
A la Renaissance, j’enregistre la Pécheresse, une pièce en quatre actes, d un nouveau venu au théâtre, M. Jean Carol, laquelle n’eut que demi-succès. La Pécheresse a le tort de s’ap
puyer sur un sujet qui n’a rien de bien imprévu, car souvent déjà il a été exploité, depuis le Fils de Coralie, un grand succès de jadis. J’ajoute qu’un des points d’appui de la pièce de la Renaissance était un rôle de curé de village, qui n’a pas donné tout l’effet qu’on en attendait. Entre nous, on a mis beaucoup de « soutanes » sur la scène, depuis quelque temps ; ça n’est pas précisément de l’opportunisme, et il me paraît que le public trouve le prêtre plus à sa place à l’église, qu’au théâtre.
Au Gymnase, c’est l Enfant chérie, une comédie en quatre actes de M. Romain Coolus, qui a succédé au Sacha de Madame Régine Martial, lequel n’a eu, ainsi que nous l’avions prévu, qu’une carrière éphémère. —J’ai même ouï raconter, à ce pro
pos, que l’auteur — ou l’autorcsse, comment doit-on dire ? — avait tenté de se suicider, parce que sa pièce n’avait pas eu le succès qu’elle en attendait. J’espère, par parenthèse, que ça n’est là qu’un sinistre canard. Où donc irions-nous, si tous ceux qui n’obtiennent qu’un succès médiocre se suicidaient ? En ce cas, il nous resterait bien peu d’auteurs dramatiques! — Celui de l’Enfant chérie n’aura pas à se suicider, sa pièce a obtenu un certain succès, bien que le postulat ne sollicite guère la sympathie publique. L’historien de cette enfant chérie de son père, qui prend celui-ci comme confident de ses amours adul
tères. alors que son père, un vieux marcheur, au départ, prend sa fille pour confidente de ses vieilles amours de la onzième heure, déconcerte un peu, et il a fallu que l’auteur ait fait grande dépense de talent pour qu on l’acceptât sans rebuffade sur la scène de l’ancien Théâtre de Madame. Je crois bien que si S. A. R. Madame la duchesse de Berry faisait un retour imprévu dansnotre vallée de misère, elleéprouverait quelque étonnement du succès obtenu par cette pièce, dont la conception est au moins déroutante.
Au Palais-Royal, on a donné quelques représentations du Jeune Homme d en face, vaudeville assez amusant, mais moulé dans le vieux moule, et qui avait relent de tiroir. Ça n’était pas ennuyeux, mais trop quelconque pour faire carrière, et cela a vécu seulement l’espace de quelques soirs !
Enfin, à l’Ambigu, on-a quitté le mélodrame pour faire incursion en un genre plus relevé, avec la Tourmente, une pièce intéressante de M. Maurice Landay. La Tourmente est une de ces pièces concrètes dont la forme nous a été indiquée par le Théâtre allemand, où elle se pratique d’une façon continue. Ici,
nous nous trouvons en présence d’un drame rapide, d actualité palpitante, où l’auteur a traité, avec un certain courage, la question des grèves et des syndicats, les deux chancres qui rongent notre civilisation. Il y fait toucher du doigt l’action délétère des meneurs, qui transforment en agissements poli
tiques, malfaisants et dangereux, ce qui ne devrait être que la revendication plus ou moins justifiée d’un intérêt social. Les scènes de grève sont particulièrement bien traitées, avec des caractères dessinés de main très sûre, et des effets comiques ingénieusement trouvés, qui saillissent sur ce fond sinistre du drame. En résumé, la Tourmente est une pièce des plus honorables, qui mérite d’être vue, et qui, chose curieuse, est bien jouée, dans son ensemble d’innombrables petits rôles tenus
leurs, ainsi à certaines époques de l année. Cette fois, c’est l’approche de la semaine de Pâques qui éperonne les directeurs.
A l’Odéon, je trouve une pièce intéres
sante et curieuse, le Glatigny de Catulle Mendès, œuvre singulière, de grand charme, dans sa folie vou
lue, parée de vers magnifiques, aux images pittoresques, d’une belle richesse de couleur, et d’une éclatante sonorité. Ce fut comme un réveil de la « Bohème littéraire » un peu endormie sinon tout à fait oubliée. Il fallait un prétexte à l’auteur pour développer son thème, il a choisi le personnage d’Albert Glatigny, poète bohème, qui fit des vers exquis, et mourut d’épui
sement et de misère. Ce nomade, qui accomplit le pèlerinage de la vie, et tour à tour comédien, souffleur, homme de lettres, improvisateur, était le type rêvé pour soutenir le poème dramatique de Catulle Mendès, qui n’a eu qu’à puiser à même l’exis
tence plutôt accidentée de son héros pour trouver les épisodes nécessaires à la construction de son drame. Les tableaux de celui-ci, un peu incohérents, se rattachent les uns aux autres par le lien philosophique d une idée générale, et la continuité des figures d’aimable symbolisme qui accompagnent l’action. Ils s’aiguisent de curiosité, par la mise en scène de certains person
nages réels qui ont vécu près de nous. Le tort de ces effigies est peut-être même d’être trop connues de l’actuelle génération, et de n’avoir pas pris encore patine de postérité. On les a rappelées,
d’ailleurs, un peu partout, en ces temps derniers. Ce furent celles de la Brasserie des Grès, où fréquentait Albert Glatigny entre autres, Fernand Desnoyers, le poète fantaisiste, l’auteur des Chansons parisiennes et du Salon des refusés — qui se souvient de lui?— qu’on avait surnommé le « désespoir de sa famille »,
laquelle était de bonne et timide bourgeoisie. — Théodore Pelloquet, le type du journaliste à tout faire, qui posa devant l’objectif d’Emile Augier,et lui servit de modèle lorsqu’il façonna son « Giboyer ». — Stamir, autre journaliste, d’origine hon
groise, qui passa jadis pour avoir d’amicales relations avec la police. — Victor Cochinat, le sosie d’Alexandre Dumas père, qui ressemblait au romancier célèbre comme une pièce en plomb ressemble à une pièce en argent, — le peintre Courbet, qui, lui aussi, appartient à la bohème de l’époque, et tant d autres encore, qu’il faut négliger, parce que la liste en serait trop longue !
Glatigny a été bien monté par la direction de l’Odéon, qui s’est efforcée de reproduire les milieux d époque avec couleur de pittoresque, et joué, avec plus de zèle que de réussite, par une troupe qui ne me paraît pas avoir la notion du rythme. J’excepte de ce jugement Mademoiselle Jeanne Thomassin, merveilleuse diseuse de vers, — et qui, d’ailleurs, en a trop peu à dire, — et Tarride, qui se démène de son mieux dans le personnage de Glatigny, qui semble le contraire de sa nature.
A la Renaissance, j’enregistre la Pécheresse, une pièce en quatre actes, d un nouveau venu au théâtre, M. Jean Carol, laquelle n’eut que demi-succès. La Pécheresse a le tort de s’ap
puyer sur un sujet qui n’a rien de bien imprévu, car souvent déjà il a été exploité, depuis le Fils de Coralie, un grand succès de jadis. J’ajoute qu’un des points d’appui de la pièce de la Renaissance était un rôle de curé de village, qui n’a pas donné tout l’effet qu’on en attendait. Entre nous, on a mis beaucoup de « soutanes » sur la scène, depuis quelque temps ; ça n’est pas précisément de l’opportunisme, et il me paraît que le public trouve le prêtre plus à sa place à l’église, qu’au théâtre.
Au Gymnase, c’est l Enfant chérie, une comédie en quatre actes de M. Romain Coolus, qui a succédé au Sacha de Madame Régine Martial, lequel n’a eu, ainsi que nous l’avions prévu, qu’une carrière éphémère. —J’ai même ouï raconter, à ce pro
pos, que l’auteur — ou l’autorcsse, comment doit-on dire ? — avait tenté de se suicider, parce que sa pièce n’avait pas eu le succès qu’elle en attendait. J’espère, par parenthèse, que ça n’est là qu’un sinistre canard. Où donc irions-nous, si tous ceux qui n’obtiennent qu’un succès médiocre se suicidaient ? En ce cas, il nous resterait bien peu d’auteurs dramatiques! — Celui de l’Enfant chérie n’aura pas à se suicider, sa pièce a obtenu un certain succès, bien que le postulat ne sollicite guère la sympathie publique. L’historien de cette enfant chérie de son père, qui prend celui-ci comme confident de ses amours adul
tères. alors que son père, un vieux marcheur, au départ, prend sa fille pour confidente de ses vieilles amours de la onzième heure, déconcerte un peu, et il a fallu que l’auteur ait fait grande dépense de talent pour qu on l’acceptât sans rebuffade sur la scène de l’ancien Théâtre de Madame. Je crois bien que si S. A. R. Madame la duchesse de Berry faisait un retour imprévu dansnotre vallée de misère, elleéprouverait quelque étonnement du succès obtenu par cette pièce, dont la conception est au moins déroutante.
Au Palais-Royal, on a donné quelques représentations du Jeune Homme d en face, vaudeville assez amusant, mais moulé dans le vieux moule, et qui avait relent de tiroir. Ça n’était pas ennuyeux, mais trop quelconque pour faire carrière, et cela a vécu seulement l’espace de quelques soirs !
Enfin, à l’Ambigu, on-a quitté le mélodrame pour faire incursion en un genre plus relevé, avec la Tourmente, une pièce intéressante de M. Maurice Landay. La Tourmente est une de ces pièces concrètes dont la forme nous a été indiquée par le Théâtre allemand, où elle se pratique d’une façon continue. Ici,
nous nous trouvons en présence d’un drame rapide, d actualité palpitante, où l’auteur a traité, avec un certain courage, la question des grèves et des syndicats, les deux chancres qui rongent notre civilisation. Il y fait toucher du doigt l’action délétère des meneurs, qui transforment en agissements poli
tiques, malfaisants et dangereux, ce qui ne devrait être que la revendication plus ou moins justifiée d’un intérêt social. Les scènes de grève sont particulièrement bien traitées, avec des caractères dessinés de main très sûre, et des effets comiques ingénieusement trouvés, qui saillissent sur ce fond sinistre du drame. En résumé, la Tourmente est une pièce des plus honorables, qui mérite d’être vue, et qui, chose curieuse, est bien jouée, dans son ensemble d’innombrables petits rôles tenus