LA QUINZAINE THEATRALE
Nous allons encore au Bois!
Tous les lauriers ne sont pas coupés ! !
Nous avançons vers l’été, qui se fait tirer l’oreille, pour venir au-devant de nous, si bien que d’aucuns s’y laissent prendre, et que, de toutes parts, il y a des combinaisons estivales. Grand bien leur fasse ! Je leur souhaite toutes prospé
rités, mais, au premier rayon de soleil — et le
gaillard se décidera bien à luire un jour ou l’autre — ça sera le dégel, alors les directions d’été prendront la fuite avec une belle rapidité.
En attendant, liquidons l’arriéré de la saison théâtrale, la vraie, celle-là qui va finir, et qui ne reprendra plus avant septembre.
Donc, à la Comédie-Française, nous avons eu la Fleur merveilleuse, depuis longtemps annoncée, pièce en quatre actes, en vers, de Miguel Zamacoïs, l’heureux auteur des Bouffons, un grand succès du théâtre Sarah-Bernhardt. La Fleur merveilleuse , c’est une fantaisie de charmante naïveté drama
tique. Théâtre de jeunes filles, ai-je ouï dire. Pour moi, l’éloge n’est pas mince. Nos filles, nous ne savons où les mener, puisque dans la plupart des théâtres on cultive la « fleur empoi
sonnée », qui n’est certes pas « la fleur merveilleuse », la tulipe, sans pareille, qui remportera le prix au concours d’Haarlem, ouvert par le bourgeois Amstel, le grand amateur, riche comme Crésus et ivrogne comme Bacchus. Or, ce prix, savez vous ce que c’est ? Simplement la main de la fille d’Amstel, l’exquise Griet, qui n’est autre que Marie Leconte, la plus aimable et la plus gracieuse des Hollandaises. Aussi on com
prend que les concurrents se démènent, mais, à la Comédie, « l’amour veille... », et c’est le Français Gilbert qui l’emporte. Ce pauvre Gilbert, l’amour qu’il éprouvait pour une perfide, lui avait coûté la raison, un nouvel amour la lui rendra. L’action
se passe en Hollande, au xvne siècle, c’est dire que le cadre est pittoresque, et rien n’est amusant à l’œil comme cette grande place d’Haarlem, égayée du va-et-vient de la foule grouillante : Hollandais au chapeau à larges bords, Hollandaises souriantes et fraîches, avec le bonnet frison aux plaques d’or. Et sur ce fond
pittoresque se détache, lumineux de grâce élégante, un trio de jeunes filles formé par Mesdemoiselles Marie Leconte, Provost et Yvonne Lifraud, la plus délicieuse des apparitions. La pièce qui commence par un prologue de mélodrame romantique, se termine par un curieux tableau de mise en scène, le « concours de tulipes », avec cortège qui défile au son des fifres et des longs tambours battus à une seule baguette. Le dialogue de la Fleur merveilleuse est d’une jolie forme, les vers y éclatent en couplets, qui jaillissent comme des volées d’oiseaux joyeux.
Maintenant, comme à la Comédie, les pièces nouvelles n’empêchent pas la culture du répertoire, qui est source de richesse, on a repris avec succès l’Ami Frit\, où Féraudy est tout à fait remarquable dans le rôle du Reb, alors que Marie Leconte — déjà nommée, comme on nomme dans les distribu
tions de prix, le sujet qui reçoit toutes les couronnes, — Marie Leconte, dis-je, est une incomparable Suzel, ingénue, coquette, malicieuse et naïve,à la fois; — on a repris aussi Adrienne Lecouvreur, une rapsodie amusante, un découpage habile, qui trouve son regain grâce à Julia Bartet,l’« Adrienne» type,et Cécile Sorel, belle et hautaine dans le personnage de la duchesse de Bouillon.
Chez Sarah Bernhardt, le policier Vidocq a fait long feu et courte apparition. Pourquoi ? La pièce d’Emile Bergerat en valait une autre, et Jean Kemm avait fait une création intéres
sante. Mais, hélas, il y a longtemps qu’on nous a dit, en latin, que « les drames avaient leur destin ! »
Signalons encore, « pour ordre », Jacques Abran, une pièce en trois actes, qui n’aura fait qu’entrevoir la rampe du théâtre Réjane.
Au théâtre Fémina, là-bas, là-bas, dans les Champs-Elysées, un imprésario a tenté une exploitation d’été, en pendant à celle du théâtre Marigny. Il a toutes chances d’y réussir, parce qu’il a eu la bonne idée de commander une revue à Rip, le plus spirituel et le plus cinglant des revuistes. Celle de Fémina est inti
tulée : Bigre!!! Et ma foi, le titre ne trompe pas et se justifie de lui-même. L’auteur y fouaille, raide, et de toutes mains, à
droite, à gauche, vli ! vlan ! ! Tout le monde en a son compte et personne ne réclame sa monnaie.
* *
La mort a été cruelle pour-nous pendant cette quinzaine et notre nécrologie s’enrichit de trop de noms.
C’est d’abord celui de Pauline Viardot, une des gloires de l’art musical. Elle faisait partie d’une lignée d’artistes célèbres. Fille de Manuel Garcia, le grand ténor, le professeur incompa
rable, elle était la sœur de cette adorable Malibran, morte en 1836, en pleine jeunesse, en plein triomphe, et dont Alfred de Musset a consacré la gloire. Pauline Garcia, plus tard Madame Viardot, était néeà Paris le 18 juillet 1821.Elle fut élève de son père pour le chant, élève de Liszt pour le piano, et fit honneur à tous les deux. Elle débuta à Londres en 1839 au King’s Tlieatre, puis vint à Paris, où, sur la scène des Italiens, elle eut un succès fou dans Olello, la Cenerentola, Tancredi. Il Barbiere di Siviglia. En 1840 elle épousa le critique Viardot, qui diri
geait alors le théâtre Ventadour. Après une course triomphale de plusieurs années à travers les deux mondes, elle revint à Paris en 1849, et créa, à la demande de Meyerbeer, le rôle de Fidès dans le Prophète. On sait avec quel succès elle chanta VOrpliée, de Gluck, au Théâtre Lyrique de Carvalho. En i8~3, elle fut Miryem dans la Marie-Magdeleine, de Masstnet; ce fut pour elle le chant du cygne. Depuis lors, elle avait renoncé aux planches pour se consacrer au professorat.
Vient ensuite le nom plus modeste du vaudevilliste Monréal, — de son vrai nom, Hector Rieunier, — qui en collaboration avec Henri Blondeau a signé un répertoire considérable où le succès n’a point failli La marque était bonne et les deux colla
borateurs s’étaient créé une spécialité dans la « revue », où ils n’avaient guère de rivaux. On se souvient de Paris Port de Mer ; les Variétés de l année ; Pêle-Mêle Galette ; Paris, en général...... C’est le cas de dire, avec Hamlet, Alas ! Poor Yorick II !
En Alsace, à Guebwiller, son pays natal, où il s’était retiré, est mort J .-B. Wekerlin , un compositeurà la fois savant et popu
laire, J.-B. Wekerlin, que tout Paris a connu, et je dirai a aimé, car je ne sais un être plus sympathique que.celui-là. Très érudit, en dehors de ses compositions personnelles, — oratorios, odes et symphonies, — il avait reconstitué les partitions de Lu 11i, entre autres pour le Malade imaginaire et le Bourgeois gentilhomme, dont il avait retrouvé le célèbre menuet, qui aujour
d’hui se joue un peu partout. Il fut, pendant de longues années, le bibliothécaire du Conservatoire, et l’on peut dire que nul, mieux que lui, n’était désigné pour la fonction.
Enfin, il nous faut inscrire encore, sur la liste funèbre, le nom de Jules Renard, écrivain distingué, auteur dramatique original et très personnel, emporté en pleine force, en plein talent — il avait à peine quarante-six ans — par l’affreuse maladie de l’artériosclérose. Venu à Paris en droite ligne, de la province nivernaise, après avoir fait paraître au Mercure de France quelques nouvelles et quelques romans, il avait débuté au théâtre par une pièce en un acte, qui fut presque un événement, Poil de Carotte, joué au théâtre Antoine, où elle eut la chance de trouver d’excellents interprètes, Antoine lui-même, tout d’abord, et Suzanne Desprès, que le rôle du travesti mit en lumière. Le succès fut très grand, et Jules Renard se désignera, je crois, dans l’avenir, sous le nom de « l’auteur de Poil de Carotte-». Il a donné encore d’autres petites pièces d’une psychologie fine et délicate : Plaisir de rompre, et le Pain de Ménage; puis deux comédies plus importantes : Monsieur Vernet (théâtre Antoine, 1903), et la Bigote (théâtre de l’Odéon, 1907), toutes les deux en deux actes. Jules Renard était un homme modeste, aux goûts simples, qui ne faisait pas « industrie » de son art, ce qui est, hélas, la maladie de notre siècle. On peut même affirmer que cet honnête homme avait échappé à la contagion.
FÉLIX DUQUESNEL.