J’ai souvent prêché la résurrection de la pièce en un acte, qui fut, autrefois, une des formes les plus usuelles du théâtre, et que, depuis des années, on a laissé tomber à rien. Elle est admi
rable la pièce en un acte, parce qu on y concrète,
en quelques scènes, une action qu’on délaye parfois en plusieurs actes inutiles. Mais les pièces ont leur destin, et il est certain qu’au jourd’hui, à tort ou à raison. — moi, je dis hardiment, et sans hési
tation « à tort » — la pièce en un acte est démodée, et ne se pratique plus guère.
Antoine est le seul directeur qui lui donne encore asile, en son théâtre, et grâce à lui nous avons eu, parfois, sous cette forme, de véritables chefs-d œuvre en des genres divers, soit de petits drames sinistres, comme ntt Téléphone, ou Ma moelle Fi fi ; soit d’exquises comédies sentimentales, comme Poil de carotte ; soit des œuvres de comique irrésistible, comme les actes de Courteline et ceux de Max-Maurey.
Voilà qui peut, mieux que tous les raisonnements, démontrer l’utilité de la pièce en un acte, à laquelle on sera bien obligé de revenir, un jour ou l’autre, ne lût-ce que pour corser des spec
tacles trop courts. Dernièrement on l’a fait aux Variétés, où l on a joint un acte charmant de de Fiers et Caillavet, la Chance du


Mari, à la comédie de Victorien Sardou, la Piste, trop courte, pour faire la soirée, à elle toute seule, escortée d’un simple lever de rideau.


Antoine s’est-il ému de mes plaintes? — je ne le crois guère ! — ou bien a-t-il procédé à la liquidation de son fond de tiroir, aux approches de la fin de cette saison théâtrale? — je le croirais plutôt — toujours est-il qu’il nous a servi, dans une même soirée, un menu de six pièces, en un acte, c’est peut-être beaucoup, même pour mon appétit, mais j’affirme que c’est trop pour l’appétit moindre des autres.
Ces six pièces sont, d’ailleurs, de valeur très diverse. Il y a du bon, du passable, et du médiocre..., rien d absolument mauvais.
La revue en sera rapidement passée, et les voici dans l’ordre, où on les a jouées : la Thune, c’est le vaudeville courant, de passable moyenne, assez bien troussé, — pas plus,
— l’aventure de bonnes gens attablés dans un café, qui n’ont pas les cent sous nécessaires — la « Thune » — pour acquitter leurs consommations, et qui cherchent à se défiler afin de laisser les res
ponsabilités dernières au camarade. — Up o my Thumb (haut comme mon pouce !) est un article d’exportation anglaise—, acte sentimental et nébuleux — un peu trop nébuleux, pour le public français—demi-larme. demi-sourire, les illusions d’une « Mignon »
de blanchisserie qui, faute de réalité, se repaît de rêves comme l’expansive alcoolique Nastia, dans les Bas-fonds de Gorki. L’An
glaise Amanda en procède, avec le charme, en plus. — Babouche était la pièce littéraire de la soirée, en vers sonores et bien frap
pés, puisqu’ils sont de Marsolleau, qui sait manier, à souhait, l’idée pittoresque et la rime opulente, fantaisie orientale, qui rappelle, sous le turban et le fez, le marivaudage de la Gageure imprévue, du bon Sedaine. — Voici, maintenant, le drame,
Sévérité, bâti sur une situation intime et familiale, genre Poil de carotte, c’est l’histoire d’un père stupidement sévère pour son enfant, qui prend ses croquemitaineries au sérieux, et va se faire écraser, sur un passage à niveau, par un express, qui court à toute vitesse. C’est cruel et sinistre, mais très bien joué par Antoine et Mademoiselle Vandoren, les deux époux Mirvallon, avec de curieuses scènes d’enfant, rendues non sans naturel, et sans sincérité, par deux fillettes douées, Madeleine et Amélie Parisel. En voyant jouer ce petit drame, j ai entendu une voix mystérieuse murmurer à mon oreille, la romance de Georges Boyer :
Il ne faut pas faire, aux enfants, Une peine, même légère...
La partie comique était représentée, au programme, par une amusante comédie de Max-Maurey, jouée d’abord à Monte-Carlo, d’où elle a ricoché sur Paris : Depuis six mois..., c’est l’aven
ture d’une bourgeoise naïve, Madame Floche, qui, depuis six mois, n’a pas pu conserver une bonne plus de vingt-quatre heu
res. Pourquoi? simplement parce que son mari, ce scélérat de Floche, avide de liberté, les fait partir pour pouvoir fringuer à son aise, et dîner à sa guise, faute de cuisine chez lui, au restau
rant, seul ou avec des demi-castors. Mais il vient un jour, où le pot aux roses se découvre, et alors... alors... Monsieur Floche, n’a plus qu’à marcher droit... et plus vite que ça, encore!! — — Enfin, voici la perle de l’écrin, Une Vieille Renommée, déli
cieux vaudeville signé Alfred Athis, dont le succès très mérité a été complet. Il y a longtemps qu’on n’a servi pièce de si belle humeur, c’est du « Labiche » de derrière les fagots, amusant du premier au dernier mot, car je ne sais rien de plus plaisant que les affres et déboires de l’infortuné Beaupréau, qui s’est im
provisé patron de restaurant, et qui a si bien mené son affaire, que tous les clients ont disparu. Un soir qu’il se désole, à son habitude, survient une société inattendue, à laquelle il n’a rien à servir que les restes de son maigre dîner bourgeois. Il les transforme, pour la circonstance, en menu extraordinaire, grâce au poivre de Cayenne, et aux noms exotiques dont il affuble son rata, la soupe aux poireaux, devenant le potage Singapour, aux légumes chinois, et sa piquette, du Clos-Vougeot, première, celui auquel le duc d’Aumale, en tournée d’inspection, fit porter les armes ! Inutile de dire que les convives, par snobisme, trouvent tout excellent, et proclament que jamais ils ne firent meilleur repas. C’est joué à la perfection, comme sont toujours jouées les bonnes pièces. A citer tout le monde, Bernard, Mosnier, Degeorge, Marot, Desfontaines, Mesdames Miller et Luce Colas, et en tête, avant tous les autres, Signoret, impayable sous les traits du mélancolique Beaupréau.
A la Comédie-Française, nous avons eu la pièce de Maurice Donnay, depuis longtemps attendue, œuvre intéressante, bien qu’un peu diffuse et lente, on sent que l’auteur a compté sur son dialogue Séduisant, spirituel et mouvementé. Peut-être même y compte-t-il trop, car l’action de sa pièce ne s’engage pas avant la fin.du second acte.
Le postulat général, ou plutôt le vice moral que Fauteur. a


LA QUINZAINE THÉATRALE