maison, est venu chercher son frère, complètement guéri. Il est en costume de chauffeur : ample macfarlane, casquette et lunettes. C’est un grand garçon d’une rude franchise et d’une grosse jovia
lité. En deux mots Jean l’a averti de ses projets; en un instant, sans s’égarer dans les protocoles, Eugène avise de la situation le père Margès, respectueusement ravi. Et pour le surplus, il l’invite à déjeuner le lendemain au café Anglais.
Ce premier acte, vivant, clair, bourré d’esprit, pose à merveille le problème. M. Maurice Donnay se plaît aux expositions longues et minutieuses, et cette apparente nonchalance d’un esprit prodigue est profondément habile. Le procédé permet à l’auteur de nous faire connaître à fond ses personnages ; les connaissant
mieux, nous sommes plus disposésàcompatir à leurs aventures : ils sont bientôt des familiers, presque des amis.
Lorsque le rideau se lève sur le deuxième acte, trois ans se sont écoulés. Tous les personnages sont restés les mêmes, avec cette différence que le microbe du paraître a travaillé en chacun d’eux. Madame Margès mère a des chapeaux tumultueux, le père Margès s’habille en jeune homme et fait la fête; Madame Paul Margès, qui a espéré successivement voir son mari titulaire d’un des dix portefeuilles disponibles, s’aigrit contre cet époux mal habile. Madame de Guingois admire avec une jalousie croissante
lesmagnifiquestapisseries de l’hôtel Raidzell. Et Juliette aussi est restée la même: charmante, droite et simple; seulement elle com
MB0 DE GRAVIGNY
(M11® Garrick)M»® NA IZ ER ONE
(M11® F. Clary)
mence à vérifier la justesse de ses pressentiments de jeune fille. Ce milieu ostentatoire la choque, l’irrite, l’accable ; et elle ne se borne plus à le deviner confusément hostile : les menaces prennent une forme précise. Jean, qu’elle aime toujours, flirte avec une Tuni
sienne équivoque, Madame Hurtz, qui écrit à froid des romans aphrodisiaques et, dans celte exposition de vanités, représente le paraître de la passion. La petite Madame Lacouderie, qui a pris un amant pour ne pas se séparer du troupeau des brebis douteuses et paraître une femme dans le train, lui confesse sa misère : l’homme auquel elle s’est livrée est un misérable qui lui fait payer 10,000 fr. le secret de sa faute. Cependant un malheur plus grand encore va frapper Juliette : Christiane Margès, sa belle-sœur, fatiguée d’attendre le succès de son époux, a jeté son dévolu sur Jean.
La scène dans laquelle Christiane se décide à jouer son jeu criminel est d’une superbe allure et d’une grande hardiesse : il fallait toute la maîtrise de M. Donnay pour la réussir et même
pour l’oser. Christiane commence par ruiner Madame Hurtz dans l’esprit de Jean Raidzell, en attaquant celui-ci dans son amourpropre; puis, par un artifice de jalousie calculée, elle feint de laisser échapper le secret d’un amour qui l’étouffe. Un homme, si avisé soit-il, n’est jamais tout à fait surpris par une telle confidence; un peu étonné d’abord devant une déclaration très imprévue, Jean, qui est faible et moyennement perspicace, découvre tout de suite en soi un goût très net pour cette proie séduisante qui s’offre : il sera à Christiane.
Dès le début du troisième acte, nous apprenons que ce projet est un fait accompli. Mais Madame Paul Margès, qui ne cherche
point un divertissement sentimental ou sensuel et qui poursuit le rêve d’une autre existence, d’une existence où sa fureur de « paraître » pourra s’épanouir, s’est donnée, puis reprise. Contrai
rement aux itinéraires en usage au pays du Tendre, Jean est arrivé au flirt par la possession : sa maîtresse n’a voulu lui
Décor de M. Devrcd.Photo Paul Boyer.
JEAN RAIDZELL «M. Grand)
M*“«DE BÉNAUUE (M11® Géniat)
MmeHURTZ
(M11® Mad. Koch)
M*“® RANGÉ
(M11* Mitzv-Dalli)
COMÉEDIE-FRANÇAISE. — PARAITRE. — Acte II