LA QUINZAINE THÉATRALE


ON allume encore quelques fusées, après le feu d’artifice tiré. C’est à la Comédie-Française qu’elles éclatent, sans fracas, comme il convient à la saison discrète, où nous sommes.
C’est, d’abord, la Fontaine de Jouvence, une fantaisie mythologique, en deux actes, d’Emile Bergerat, à l’usage de ceux qui vou
draient bien rajeunir, et retourner en arriérent de ceux qui, plus pressés de vivre, voudraient aller en avant : « Tout est bien, comme il est ! » leur dit sagement le bon Jupi
ter, philosophe optimiste, qui, d’ailleurs, a, ma foi, raison. La pièce est suffisamment ingénieuse, pour être agréable, et les vers en sont charmants, ruisselants d’étincelles de bonne poésie, ils portent l’estampille de l’auteur.
Ensuite, c’est une comédie en deux actes, en prose, le Prétexte, une « scriberie » attardée, qui n’est guère à sa place à la Comédie. Ça n’est cependant pas ennuyeux grâce à une cari
cature dessinée au gros crayon, un type d’employé maniaque, que Berr joue avec beaucoup d’esprit, mais ils sont en grisaille, ces deux actes, sur lesquels, il y en a un d’inutile.
J’enfourche,en cette occasion, comme toujours, mon a dada » favori : « Vive la pièce en un acte ! » vraiment trop méprisée à cette heure, et qui aura son renouveau et sa réhabilitation, un jour ou l’autre. Voyez plutôt : on transporte, du Théâtre-Antoine à la Comédie, la Paix che\ soi..., un tout petit acte de Courteline, excellent à coup sûr, la signature n’a jamais été protestée, mais il n’est pas des plus parfaits, il y a mieux dans le réper
toire de l’aimable auteur comique; or, quand même, l’effet produit a été considérable, plus gros que n’est la comédie elle-même, qui dure une demi-heure à peine. C est spirituel et bon enfant, pris sur nature et merveilleusement joué, par Féraudy qui est de belle résignation humoristique, dans le rôle du mari martyr, et mieux encore par Marie Leconte, cette exquise comédienne, fine comme l’ambre, qui détaille son rôle avec un art parfait, en tire tous les effets, donnant au personnage de la femme neurasthénique, une délicieuse naïveté perverse et une gaminerie féminine très oersonnelle.
On ne pouvait laisser passer l’inauguraiion de la statue de Dumas, sur la place Malesherbes — qui, je l’espère bien, pérora son nom, un jour ou l’autre, pour s’appeler « Place des Trois- Dumas » — sans célébrer la mémoire du célèbre écrivain dramatique, en remettant quelqu’une de ses pièces au répertoire.
C’a été, d’abord, la Visite de Noces, qui parut jadis si osée, qu’on la joua avec de terribles appréhensions et que les dames ne regardèrent la scène, qu’à travers les branches de leur éventail. Aujourd’hui, nous en avons tant vu de toutes couleurs, que rien ne nous émeut plus; aussi, la Visite de Noces est devenue pièce anodine, quelque chose comme du « Berquin enragé».
Le même soir, on a repris Francillon qui n’avait pas été jouée depuis cinq ans. Sans être dans les meilleures pièces du répertoire d Alexandre Dumas, Francillon est assurément une des plus spirituelles qui soient sorties de son encrier. L auteur l’écrivit en s’amusant et par passe-temps, alors qu’il
s’acharnait sur cette fameuse Route de Thèbes, où il s’égarait sans pouvoir en sortir.
Je l’ai, d’ailleurs,vue naître,ou peu s’en faut,cette Francillon. C’était au mois de septembre 1886, me trouvant, un matin, en visite chez Alexandre Dumas, à Puys, je lui dis :
« Eh bien ! vous travaillez à la grande pièce ?
— Ma foi non, fit-il, je l’ai lâchée, pour le quart d’heure, la grande pièce. Elle me fatigue et m’ennuie. Elle se repose, et je fais comme elle. Les couches sont laborieuses. Ça viendra, quand ça viendra... si ça vient ! — Alors, en attendant ?
— Je fais, cette année, comme j’ai déjà fait. Ne pouvant payer mes dettes d’un seul coup, je donne des acomptes. Denise a été improvisée en quelques mois, ça n’en a pas été plus mau
vais pour cela, au contraire. C’est si singulier, le théâtre, on y voit réussir des pièces qui n’ont coûté aucune peine, on en voit sombrer d’autres dont l’éclosion a donné un mal infini. Tout ça c est affaire de chance et de rencontre. Est-ce que les enfants du
hasard ne sont pas, souvent, les plus beaux et les mieux venus? Donc, j’ai remisé le manuscrit récalcitrant au tiroir, et maintenant je ne travaille plus, je m’amuse à tuer le temps en écrivant une « petite machine» pour la Comédie-Française.
— Combien d’actes?
- Trois... c’est assez pour faire prendre patience, à Messieurs les « Ordinaires». Je leur sers des hors-d’œuvre, en atten
dant le déjeuner. Ils auront des olives à croquer, pour se mettre en appétit...
— Drame ou comédie?
— Pièce, simplement... petite aventure conjugale, qui tiendrait au creux de la main, tout est dans le détail. Si le public prend, à voir jouer ma « petite machine «, la moitié seulement du plaisir que j’ai pris à l’écrire, ce sera un grand succès. Je crois, que c’est amusant, mais qu’est-ce qu’on en sait? En tout cas, ça ne m’aura pas donné grand mal, ni pris grand temps. J’ai commencé en juillet,on pourra répéter en novembre.
— Quel titre, sans indiscrétion?
— Je n’en sais rien..., un nom de femme... un nom familier... Je cherche...
— Vous trouverez !
— Parbleu, on trouve toujours ! »
La « petite machine », c’était Francillon.
La pièce fut représentée en 1887, avec grand succès.
Beaucoup moins heureuse a été l’inopportune reprise de la Princesse de Bagdad, qui ne s’imposait guère. C’est une des plus mauvaises pièces de Dumas, cette Princesse de Bagdad, improvisée en sept jours, il l’avoue lui-même, sur un postulat naïf, complaisant, et bourré d’invraisemblances. On sent vrai
ment trop que l’auteur, quand il écrivit sa pièce, avait la hantise d’un rôle de femme, auquel il a tout sacrifié. C’est, sans doute,
cette préoccupation particulière qui lui a fait perdre toute notion d’équilibre et oublier ces règles de logique implacable, auxquelles il ne se dérobait jamais, d’ordinaire. Je me souviens qu’à la pre
mière représemation (3i janvier 1881 ) la pièce souleva quelques orages et faillit rester en panne. Aux représentations suivantes, devant un public plus calme, elle continua sa rouie, sans encombre, mais sans succès. Si elle se maintint sur l’affiche, ce fut surtout grâce à sa principale interprète, Sophie Croizette, qui selon l’expression d’un critique de l’époque, « fut la fleur qui sauva l’arbre... »
Pendant cette quinzaine, la nécrologie théâtrale a inscrit un nom nouveau sur ses tablettes funéraires, celui de l’acteur Rai
mond, le comique du Palais-Royal, mort en pleine maturité de talent, alors qu’il y a six mois à peine il était encore sur la brèche.
C’était un excellent comédien, ce Raimond, qui avait commencé sa réputation en 1880, à ce même théâtre du Palais
Royal, qu’il ne quitta guère, par le rôle d’Adhémar, dans la pièce de Divorçons, de Sardou, où il tint sa place dans un inoubliable
trio, avec Daubray, et Céline Chaumont. Il avait alors trente-cinq ans, et, depuis dix ans, errait, de théâtre en théâtre, sans avoir trouvé le « rôle », 1’ « occasion », si vous le préférez, qui classe
le comédien, en le faisant sortir du rang. Mais, depuis cette époque, il avait fait sa place, et le nombre de ses créations est considérable. On peut citer, au hasard du souvenir: le Fil à la Patte, Monsieur chasse, le Dindon, les Dragées d Hercule, et,
avant tout, M amour, la jolie pièce de Maurice Hennequin et Paul Bilhaut, où il fut tout à fait amusant et d’un réel comique à
côté de Boisselot et de Mademoiselle Cheirel, cette fine comédienne, qu’on ne voit pas assez souvent.
L’ambition de Raimond, qu’on avait surnommé le « roi des Jocrisses », parce qu’il jouait l’emploi naïf, bon enfant, bêta et malicieux à la fois, son ambition, dis-je, eût été de monter plus haut, de s’élever jusqu’à la comédie. Il y eût réussi, sans aucun doute, car il était très doué; mais la mort, sans pitié, ne lui en a pas laissé le temps.
— Alas poor Yorick!! comme dit le prince Hamlet, considérant le crâne du bouffon Yorick qui, jadis, le fit tant rire !
FÉLIX DUQUESNEL.