supprime volontairement, sur le point où, ayant pris les allures les plus gourmandes, elle autoriserait des réclamations en appa
rence justifiées ; mais franchement et, par ailleurs, quel besoin, parce qu’il s’agit de célébrer un poète dramatique, de s’entendre vanter la structure des « habitations à bon marché » ou parler du « Comptoir d’Escompte » ?
La réputation commence avec la vie,
a écrit Madame Valmore. Ce vers s’applique, entre tous, à M. Rostand, qui représente à jamais pour les siens, avant de le figurer pour le monde, l’élève très fort, le coq (déjà !) du palma
rès, le lauréat du Prix d’Honneur, celui dont les camarades aiment mieux s’enorgueillir que de le jalouser, quand il rentre dans les rangs, tout verdi de couronnes en papier, qui, plus tard, deviendront soyeuses au col d’un habit, tandis que sa famille, autour de lui, plastronne et se rengorge, comme si la distribution avait lieu dans les carrés du potager de « Chantecler ».
De telles minutes initiales laissent des traces indélébiles comme des empreintes. M. Rostand a transposé, mettons à la millième puissance, si cela vous suffit (et, si vous le préférez, à la cent millième, avec la faculté d’augmenter autant qu’il vous plaira), il a transposé, pour soi et pour les siens, dans son déve
loppement, cette attitude de son début ; il reste et restera le
coryphée d’une institution, laquelle s’est haussée jusqu’à devenir l’Académie, tandis que le professeur s’était amplifié jusqu’à se
transformer en Victor Hugo. Jugez des proportions qu’avait prises l’élève, aux regards duquel tout revêt l’aspect d’une com
position de rhétorique et d’un sujet de Grand Concours. Hier, Cyrano, l’Aiglon, la Samaritaine, et demain, pour que la res
semblance avec son maître soit plus complète, un des deux héros par lesquels Veuillot reprochait à Olympio de se laisser inspirer : « Polichinelle et Garibaldi. »
Oui, M. Rostand nous apparaît toujours comme le grand, si vous le voulez, l’énorme rhétoricien, le jongleur de tropes, qui s’amuse, qui se joue de toutes les impossibilités verbales. La note dont il est de tradition de croire que Mozart la fit une fois avec son nez, dans une minute de difficulté et d’espièglerie, M. Rostand la fait presque tout le temps, et avec tous les nez du couplet des nez de l’homme de Bergerac.
Mais vraiment, gratter M. Rostand pour trouver le rhétoricien, il n’y faut pas grande malice. Nous avons mieux. Je veux parler du mathématicien qui se cache sous le rhéteur. Cela est plus subtil, mais non moins vrai. J entendais, un jour, un fin critique prononcer le nom d’Inaudi, à propos d’un écrivain de ce temps. La comparaison, suivant moi, n’était pas tout à fait exacte, en ce qui concerne l’auteur qui l’amenait, tandis qu’ap
pliquée à M. Rostand, elle se vérifie. Certes, il y a du don naturel de l’homme qui fait, de mémoire, les plus avaricieuses soustractions, les additions les plus profitables, les multiplica
tions les plus avantageuses, les divisions les plus intéressées ; en un mot, de tête, sans blanche craie et sans noir tableau, tous les calculs les plus forcenés, et jamais exposés au terrible « il faut qu’il recommence ! » de Banville ; il y a de cette prodigieuse désignation, pour et par le nombre, dans l’arithmétique des syllabes dont nous étonne le père du merle Galipaux, à laquelle il ajoute une algèbre de rimes occupée à chercher VX du Scops et l’F du Stryx; sans oublier une géométrie toujours prête à résoudre le carré de l’hypoténuse du verbe et le pont-aux-ânes des métaphores.
*
Lisez l’apostrophe du Coq au Merle, publiée par le Matin; à ce point de vue, elle est extraordinaire. Je l’ai dit ailleurs, ce dernier rôle peut être tenu pour un alibi qui permet à l’auteur de désavouer cette portion de son caprice. Les morceaux reproduits par le Figaro et par le Gaulois, d’un lyrisme moins trépi
dant et plus grandiose, n’en continuent pas moins d’obéir à ces lois de mathématique verbale qui, même dans les meilleures minutes, paraissent toujours maintenir au mètre de M. Rostand quelque rapport avec le système métrique. C’est inexorable et, par suite, un peu opprimant. Il y a une preuve à la fin de chaque
rime, un axiome à l’extrémité de chaque tirade et un C. Q. F. D. au bout de chaque morceau.
Les raisins de Paris sont des grappes de bulles...,
dit Chantecler dans un de ces vers-bibelots où il excelle. Les grappes de vers de M. Rostand ressemblent à ces bulles-là ; mais ce sont des petits ballons multicolores, retenus au sol par un fil, quand ils allaient s’élancer vers le ciel.
Je voudrais bien (je le désire même tellement que j’espère l’obtenir) ne pas faire ici la sotte figure d’un confrère, à la fois mo
deste et vain, que trouble bêtement la fulguration d’un grand premier rôle. Il n’est question, depuis quelques jours, que de cra
pauds baveurs et de hiboux envieux, sans compter le reste. Je note que la chauve-souris, bien que nocturne, a été partiellement exemp
tée de ce haineux symbolisme ; elle le mérite par sa persistance à sortir de l’ombre pour admirer les flambeaux. Mais enfin, une chauve-souris, à cette heure de métamorphoses, en peut subir de singulières. Quelqu un faisait dire, l’autre jour, à M. Rostand,dans une interview, qu’il sentait les chacals s’approcher dans l’ombre.
On peut supposer qu’il voulait parler des critiques. Or, deux directeurs, que je voudrais croire avisés, m’ont chargé de cette mission, et je souhaite donner raison à leur choix en témoignant de quelque sagacité, unie à plus encore de courtoisie. Et puis, je me souviens du « ne forçons point notre talent !... ». Les cha
cals, certes, c’est déjà beau ; mais il y a mieux. Aux heures graves de l’inondation, un journal écrivait sérieusement, parlant du Jardin des Plantes : « On craint que les crocodiles ne s’échappent !» Il y a eu la tigresse de Marseille (celle-là se serait sans doute montrée tendre pour un compatriote), mais que serait-ce auprès que les crocodiles de Paris, et que ceux-ci transposés dans l’ordre de la confraternité littéraire . Notre ambi
tion, notre pouvoir ne va pas jusque-là. Il faut se résigner; n’est pas crocodile qui veut ! Contentons-nous donc de remplir, de notre mieux, notre métier de chacal.
Les deux morceaux qu’il est déjà de mode de vanter comme les meilleurs de l’ouvrage dont nous nous entretenons sont, l’un, celui que l’on nomme « l’Hymne au Soleil », et l’autre celui qu’on pourrait appeler la Révélation du secret. Ce dernier me paraît infiniment, j’ose dire qu’il est infiniment supérieur à l’autre, pour des raisons qui n’échapperont pas un instant à ceux qui savent lire, mais parmi lesquelles il en est une qui a son importance. Dieu me préserve de parler ici d imitation et d em
prunts! La jaillissante fécondité de cet auteur ferait justement sourire d’une telle insinuation, à commencer par lui-même. Ce n’est donc pas cela que je veux dire. Non; seulement l’écrivain possède l’œuvre de son maître au point d’en être évidemment imbu et pénétré, saturé jusqu’aux moelles; il lui arrive donc, volontairement ou non, d’y faire allusion et d’en varier les thèmes au cours de ses propres vocalises. C’est ainsi que ce fameux Flymne au Soleil contient, à lui seul, trois rappels de l’œuvre de Victor Hugo ; deux tout à fait proches et un troisième un peu plus distant.
Il est probable que le plus beau vers de ce Maître est celui-ci, parlant de l’Amour d’une Mere, dans la première pièce des Feuilles d Automne :
Chacun en a sa part et tous l ont tout entier.
Or, voyez à la deuxième strophe de l’hymne, la lumière qui
Se divise et demeure entière Ainsi que l amour maternel. Quatrième strophe :
Comment ne pas penser aux Choses écrites à Créteil, de la Chanson des Rues et des Bois, à la femme qui, dans la Marne,
Lavait des torchons radieux ? Septième strophe :
A chaque objet donnant une ombre Souvent plus charmante que lui.
Bien que plus dissemblable, cela ne vous fait-il pas penser à
ce vers d’Hugo, dont je m’excuse de citer de mémoire, peut-être
rence justifiées ; mais franchement et, par ailleurs, quel besoin, parce qu’il s’agit de célébrer un poète dramatique, de s’entendre vanter la structure des « habitations à bon marché » ou parler du « Comptoir d’Escompte » ?
La réputation commence avec la vie,
a écrit Madame Valmore. Ce vers s’applique, entre tous, à M. Rostand, qui représente à jamais pour les siens, avant de le figurer pour le monde, l’élève très fort, le coq (déjà !) du palma
rès, le lauréat du Prix d’Honneur, celui dont les camarades aiment mieux s’enorgueillir que de le jalouser, quand il rentre dans les rangs, tout verdi de couronnes en papier, qui, plus tard, deviendront soyeuses au col d’un habit, tandis que sa famille, autour de lui, plastronne et se rengorge, comme si la distribution avait lieu dans les carrés du potager de « Chantecler ».
De telles minutes initiales laissent des traces indélébiles comme des empreintes. M. Rostand a transposé, mettons à la millième puissance, si cela vous suffit (et, si vous le préférez, à la cent millième, avec la faculté d’augmenter autant qu’il vous plaira), il a transposé, pour soi et pour les siens, dans son déve
loppement, cette attitude de son début ; il reste et restera le
coryphée d’une institution, laquelle s’est haussée jusqu’à devenir l’Académie, tandis que le professeur s’était amplifié jusqu’à se
transformer en Victor Hugo. Jugez des proportions qu’avait prises l’élève, aux regards duquel tout revêt l’aspect d’une com
position de rhétorique et d’un sujet de Grand Concours. Hier, Cyrano, l’Aiglon, la Samaritaine, et demain, pour que la res
semblance avec son maître soit plus complète, un des deux héros par lesquels Veuillot reprochait à Olympio de se laisser inspirer : « Polichinelle et Garibaldi. »
Oui, M. Rostand nous apparaît toujours comme le grand, si vous le voulez, l’énorme rhétoricien, le jongleur de tropes, qui s’amuse, qui se joue de toutes les impossibilités verbales. La note dont il est de tradition de croire que Mozart la fit une fois avec son nez, dans une minute de difficulté et d’espièglerie, M. Rostand la fait presque tout le temps, et avec tous les nez du couplet des nez de l’homme de Bergerac.
Mais vraiment, gratter M. Rostand pour trouver le rhétoricien, il n’y faut pas grande malice. Nous avons mieux. Je veux parler du mathématicien qui se cache sous le rhéteur. Cela est plus subtil, mais non moins vrai. J entendais, un jour, un fin critique prononcer le nom d’Inaudi, à propos d’un écrivain de ce temps. La comparaison, suivant moi, n’était pas tout à fait exacte, en ce qui concerne l’auteur qui l’amenait, tandis qu’ap
pliquée à M. Rostand, elle se vérifie. Certes, il y a du don naturel de l’homme qui fait, de mémoire, les plus avaricieuses soustractions, les additions les plus profitables, les multiplica
tions les plus avantageuses, les divisions les plus intéressées ; en un mot, de tête, sans blanche craie et sans noir tableau, tous les calculs les plus forcenés, et jamais exposés au terrible « il faut qu’il recommence ! » de Banville ; il y a de cette prodigieuse désignation, pour et par le nombre, dans l’arithmétique des syllabes dont nous étonne le père du merle Galipaux, à laquelle il ajoute une algèbre de rimes occupée à chercher VX du Scops et l’F du Stryx; sans oublier une géométrie toujours prête à résoudre le carré de l’hypoténuse du verbe et le pont-aux-ânes des métaphores.
*
* *
Lisez l’apostrophe du Coq au Merle, publiée par le Matin; à ce point de vue, elle est extraordinaire. Je l’ai dit ailleurs, ce dernier rôle peut être tenu pour un alibi qui permet à l’auteur de désavouer cette portion de son caprice. Les morceaux reproduits par le Figaro et par le Gaulois, d’un lyrisme moins trépi
dant et plus grandiose, n’en continuent pas moins d’obéir à ces lois de mathématique verbale qui, même dans les meilleures minutes, paraissent toujours maintenir au mètre de M. Rostand quelque rapport avec le système métrique. C’est inexorable et, par suite, un peu opprimant. Il y a une preuve à la fin de chaque
rime, un axiome à l’extrémité de chaque tirade et un C. Q. F. D. au bout de chaque morceau.
Les raisins de Paris sont des grappes de bulles...,
dit Chantecler dans un de ces vers-bibelots où il excelle. Les grappes de vers de M. Rostand ressemblent à ces bulles-là ; mais ce sont des petits ballons multicolores, retenus au sol par un fil, quand ils allaient s’élancer vers le ciel.
Je voudrais bien (je le désire même tellement que j’espère l’obtenir) ne pas faire ici la sotte figure d’un confrère, à la fois mo
deste et vain, que trouble bêtement la fulguration d’un grand premier rôle. Il n’est question, depuis quelques jours, que de cra
pauds baveurs et de hiboux envieux, sans compter le reste. Je note que la chauve-souris, bien que nocturne, a été partiellement exemp
tée de ce haineux symbolisme ; elle le mérite par sa persistance à sortir de l’ombre pour admirer les flambeaux. Mais enfin, une chauve-souris, à cette heure de métamorphoses, en peut subir de singulières. Quelqu un faisait dire, l’autre jour, à M. Rostand,dans une interview, qu’il sentait les chacals s’approcher dans l’ombre.
On peut supposer qu’il voulait parler des critiques. Or, deux directeurs, que je voudrais croire avisés, m’ont chargé de cette mission, et je souhaite donner raison à leur choix en témoignant de quelque sagacité, unie à plus encore de courtoisie. Et puis, je me souviens du « ne forçons point notre talent !... ». Les cha
cals, certes, c’est déjà beau ; mais il y a mieux. Aux heures graves de l’inondation, un journal écrivait sérieusement, parlant du Jardin des Plantes : « On craint que les crocodiles ne s’échappent !» Il y a eu la tigresse de Marseille (celle-là se serait sans doute montrée tendre pour un compatriote), mais que serait-ce auprès que les crocodiles de Paris, et que ceux-ci transposés dans l’ordre de la confraternité littéraire . Notre ambi
tion, notre pouvoir ne va pas jusque-là. Il faut se résigner; n’est pas crocodile qui veut ! Contentons-nous donc de remplir, de notre mieux, notre métier de chacal.
Les deux morceaux qu’il est déjà de mode de vanter comme les meilleurs de l’ouvrage dont nous nous entretenons sont, l’un, celui que l’on nomme « l’Hymne au Soleil », et l’autre celui qu’on pourrait appeler la Révélation du secret. Ce dernier me paraît infiniment, j’ose dire qu’il est infiniment supérieur à l’autre, pour des raisons qui n’échapperont pas un instant à ceux qui savent lire, mais parmi lesquelles il en est une qui a son importance. Dieu me préserve de parler ici d imitation et d em
prunts! La jaillissante fécondité de cet auteur ferait justement sourire d’une telle insinuation, à commencer par lui-même. Ce n’est donc pas cela que je veux dire. Non; seulement l’écrivain possède l’œuvre de son maître au point d’en être évidemment imbu et pénétré, saturé jusqu’aux moelles; il lui arrive donc, volontairement ou non, d’y faire allusion et d’en varier les thèmes au cours de ses propres vocalises. C’est ainsi que ce fameux Flymne au Soleil contient, à lui seul, trois rappels de l’œuvre de Victor Hugo ; deux tout à fait proches et un troisième un peu plus distant.
Il est probable que le plus beau vers de ce Maître est celui-ci, parlant de l’Amour d’une Mere, dans la première pièce des Feuilles d Automne :
Chacun en a sa part et tous l ont tout entier.
Or, voyez à la deuxième strophe de l’hymne, la lumière qui
Se divise et demeure entière Ainsi que l amour maternel. Quatrième strophe :
Tu fais un étendard en séchant un torchon!
Comment ne pas penser aux Choses écrites à Créteil, de la Chanson des Rues et des Bois, à la femme qui, dans la Marne,
Lavait des torchons radieux ? Septième strophe :
A chaque objet donnant une ombre Souvent plus charmante que lui.
Bien que plus dissemblable, cela ne vous fait-il pas penser à
ce vers d’Hugo, dont je m’excuse de citer de mémoire, peut-être