inexactement, le premier hémistiche; mais l’image est bien celle-là :
Soit dit en passant, je sais quelqu’un qui a fait, il n’y a pas longtemps, un hymne au Soleil, vraiment très beau. Personne n’y pense plus.
L’autre morceau (et c’est une des causes de sa supériorité) ne doit, du moins à ma connaissance, que peu de chose à de telles similitudes. Je n’en relève qu’une, à vrai dire, celle-là moins approximative, plus précise :
Le pré mouillé demande un petit arc-en-ciel A chaque pointe verte...
dit joliment Chantecler. Et l’on peut lire, dans/u Forêt mouillée, du Théâtre en liberté :
Un peu d’arc-en-ciel tremble au bout de tout brin d’herbe...
Je ne pousserai pas beaucoup plus loin ce petit jeu qu’il suffit d’indiquer. J’aurais grand’honte de ressembler à l’homme décrit par Hello, et dont j’ai eu « moi-même, chétif, » quelque
fois à me plaindre, celui « qui compte avec soin les virgules dans l’espérance qu’il en manque une ». Non, l’œuvre d’Hugo est le substratum de la pensée de M. Rostand, et c’est une des meilleures assurances de la beauté de cette pensée.
Or, l’œuvre d’Hugo, je la connais — je l’ai surtout connue asse^ bien — mais je laisse à d’autres, plus familiarisés encore avec elle, le soin de poursuivre, si elle les amuse, une recherche qui, redisons-le, n’a rien de déplaisant pour personne. M. Ros
tand prend ses images où il lui plaît; s’il les renouvelle avec ingéniosité et brio, qui pourrait s’en plaindre? Ni l’Aïeul qui sourit, au contraire, du fond de l’ombre, à voir renaître, selon sa belle expression, « plusieurs petits fantômes de lui-même »; ni le public, heureux de choyer sur l’arbuste, après les avoir admirées sur l’arbre, des flores aux coloris consanguins, aux parfums amis.
Encore une de ces fleurs doubles. Vous vous souvenez du peigne de bois
dans le drame de M. Rostand. Il me plaît tout autant que ces arbres qui, dans tel poème de Victor Hugo, « se font signe de loin, »
Joyeux d’avoir peigné les charrettes de foin.
Et puis, il y a les rencontres de beaux esprits dont il faut tenir compte.
Quand le canard donne sa raison de ne pas aimer le coq parce que, n’ayant pas de toiles entre les doigts,
Il fait, en marchant, des étoiles
une telle raison, qui est laide d’inspiration, est belle d’apparence. La preuve, c’est qu’elle nous fait penser au vers de Gautier, dans les Fantaisies d’hiver, d’Emaux et Camées :
Les pas étoilés des oiseaux.
Enfin, quand le bon Patou risque cette appréciation sur le vêtement du merle :
Etre noir, c’est avoir, à coup trop sûr, du goût,
cela ne vous fait-il pas aussitôt ressouvenir d’avoir lu, dans Balzac : « Le noir, l’éternelle élégance des gens qui ne savent pas s’habiller » ?
Je voudrais bien aussi, en faisant ces réserves, ne pas être accusé de manquer de patriotisme. Car cette plaisanterie a été émise; et cela, c’est vraiment le plus extraordinaire de ce dont nous a offert l’étonnement, ce processus extraordinaire. Je pourrais citer un article signé d’un nom connu où cette nuance s’accuse, et j’en ai lu d’autres. Cela méiite qu’on s’y appesantisse ; essayons de le faire sans trop de lourdeur. Qu’est-ce que cela veut dire? En quoi le patrimoine national d’un passé d’art magnifique, et d’un riche présent littéraire, serait-il atteint parce que le dernier
chef-d’œuvre de M. Rostand ne le serait pas au premier chef, puisque le bagage de M. Rostand lui-même n’en serait pas diminué? Ce dernier retournerait tout simplement dans sa soli
tude peuplée et meublée, je veux le croire, sans plus d’émoi, et se remettrait au travail. Cela lui est arrivé déjà. Sa cantate de Compïègne a fait sourire, dans un sens qu’il n’avait pas prévu ;
son ode à Krüger n’a pas eu plus de veine ; cela ne l’a pas empêché de composer un beau poème sur l’enfance de Victor Hugo, avec lequel il a, sans doute, au contraire, voulu dédom
mager et qui, je crois bien, représente le plus important du fonds extrêmement restreint, en tant que poète, de cet auteur, qui (dix-huit sur vingt paraissent l’oublier) est un auteur dramatique.
Tout le monde peut se tromper, ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait le cas. Le célèbre auteur de Cyrano vient de donner un nouvel ouvrage que les uns jugent inférieur aux anciens, les autres, supérieur; excellente façon d’indiquer qu’il se maintient. Cet ouvrage, s’il se déroule en une forme qui paraît être irre
nouvelable, offre au moins du nouveau dans sa donnée. C’est donc mieux. M. Rostand peut rentrer joyeux dans son Arnaga. Mais y fût-il rentré battu et sifflé, son contentement n’aurait pas dû sembler moindre et le pedigree de l’Art Français, pas davan
tage ; pas plus que le trésor de l’Art Italien ne paraît amoindri quand un drame de M. d’Annunzio ne rencontre pas chez ses compatriotes le succès attendu, pas plus que la belle gaieté de M. d’Annunzio lui-même, que la lutte exalte et féconde.
Quelques exemples. Un d’abord, parmi tous, notable. M. Anatole France, qui a écrit le « Chantecler » des Pingouins, enchaîné des contes admirables, fait sourire la philosophie de Bergeret, employait, en outre, plus de vingt ans de son exis
tence à tramer une tapisserie héroïque pleine de heaumes et de cuirasses, de lances et d’épées, de bannières et d’oriflammes, laquelle se déroule comme des Array^i, et nous fait revivre la vie d’un siècle lointain comme si elle était d’hier. M. France, il y a quelques mois, est allé parler de Rabelais aux Argentins ; un événement qui aurait pu passer pour national. Le fait aurait dû sembler, à beaucoup, plus important que la première de Chante
cler. Il est demeuré quasiment inaperçu, dans une proportion qu’on n’aurait pas crue possible. Un jeune secrétaire, intelligent et dévoué, qui faisait partie du voyage, a d’abord envoyé, de quelques escales, des notes de route que plusieurs, parmi les
quels je me range, suivaient avec passion. Ces notes ellesmêmes ont cessé, dans le moment où elles devaient conclure. Je n’ai rien vu d’autre, et j’ai cherché. Poursuivons.
Voici maintenant M. Bataille. Gardons-nous de nous livrer à l’exercice qui consiste à jouer aux prix d’excellence entre les auteurs dramatiques contemporains. Perneur amer et tendre,
cet artiste émouvant et raffiné occupe une place unique, cela lui suffit. Eh bien, nul n’ignore, à commencer par lui-même, que Poliche n’a pas remporté le vif succès de Maman Colibri, et que la Marche Nuptiale n’a pas atteint le triomphe de la Femme
Nue ou du Scandale. Je ne pense pas que ces variations du goût public aientle moins du monde affecté M. Bataille, et je m’honore de le connaître assez pour ne pas douter qu’il ait même cette élégance de ne pas chérir davantage un ouvrage qui ait moins réussi. Non, il va son chemin, poursuit son œuvre et sourit doucement. Et il y en a d’autres, plusieurs autres qui font de même dans le patrimoine de la littérature; M. Loti qui ajoute à ses antérieurs prestiges, ce tour de force de donner, en pleine maturité d’une carrière de rêve, un livre de sociologie orientale,
lequel se trouve annoncer presque prophétiquement ce qui allait advenir. M. Barrés parachève avec une magnificence voilée, une œuvre pleine de poésie et de pensée, de grandeur et de grâce, de délicatesse et de profondeur. M. Mirbeau, s’il n’a pas connu avec le Foyer (écrit en collaboration avec M. Natanson une faveur tout à fait égale à celle qui accueillit sa pièce précédente, a du moins su associer à ce beau succès, plusieurs victoires qui ont bien leur prix, remportées contre la mauvaise volonté et les mauvaises querelles. Et, entre temps, il produisait un livre étonnant qui montait aux nues. M. Hermant, lui, a donné, dans la Discorde, après tant d’écrits prestigieux, sans doute, le roman le plus impressionnant qui ait paru depuis bien des années;
Et le jour est si blanc que les ombres sont roses ?
Soit dit en passant, je sais quelqu’un qui a fait, il n’y a pas longtemps, un hymne au Soleil, vraiment très beau. Personne n’y pense plus.
L’autre morceau (et c’est une des causes de sa supériorité) ne doit, du moins à ma connaissance, que peu de chose à de telles similitudes. Je n’en relève qu’une, à vrai dire, celle-là moins approximative, plus précise :
Le pré mouillé demande un petit arc-en-ciel A chaque pointe verte...
dit joliment Chantecler. Et l’on peut lire, dans/u Forêt mouillée, du Théâtre en liberté :
Un peu d’arc-en-ciel tremble au bout de tout brin d’herbe...
Je ne pousserai pas beaucoup plus loin ce petit jeu qu’il suffit d’indiquer. J’aurais grand’honte de ressembler à l’homme décrit par Hello, et dont j’ai eu « moi-même, chétif, » quelque
fois à me plaindre, celui « qui compte avec soin les virgules dans l’espérance qu’il en manque une ». Non, l’œuvre d’Hugo est le substratum de la pensée de M. Rostand, et c’est une des meilleures assurances de la beauté de cette pensée.
Or, l’œuvre d’Hugo, je la connais — je l’ai surtout connue asse^ bien — mais je laisse à d’autres, plus familiarisés encore avec elle, le soin de poursuivre, si elle les amuse, une recherche qui, redisons-le, n’a rien de déplaisant pour personne. M. Ros
tand prend ses images où il lui plaît; s’il les renouvelle avec ingéniosité et brio, qui pourrait s’en plaindre? Ni l’Aïeul qui sourit, au contraire, du fond de l’ombre, à voir renaître, selon sa belle expression, « plusieurs petits fantômes de lui-même »; ni le public, heureux de choyer sur l’arbuste, après les avoir admirées sur l’arbre, des flores aux coloris consanguins, aux parfums amis.
Encore une de ces fleurs doubles. Vous vous souvenez du peigne de bois
Qui garde entre scs dents les cheveux des pelouses
dans le drame de M. Rostand. Il me plaît tout autant que ces arbres qui, dans tel poème de Victor Hugo, « se font signe de loin, »
Joyeux d’avoir peigné les charrettes de foin.
Et puis, il y a les rencontres de beaux esprits dont il faut tenir compte.
Quand le canard donne sa raison de ne pas aimer le coq parce que, n’ayant pas de toiles entre les doigts,
Il fait, en marchant, des étoiles
une telle raison, qui est laide d’inspiration, est belle d’apparence. La preuve, c’est qu’elle nous fait penser au vers de Gautier, dans les Fantaisies d’hiver, d’Emaux et Camées :
Les pas étoilés des oiseaux.
Enfin, quand le bon Patou risque cette appréciation sur le vêtement du merle :
Etre noir, c’est avoir, à coup trop sûr, du goût,
cela ne vous fait-il pas aussitôt ressouvenir d’avoir lu, dans Balzac : « Le noir, l’éternelle élégance des gens qui ne savent pas s’habiller » ?
Je voudrais bien aussi, en faisant ces réserves, ne pas être accusé de manquer de patriotisme. Car cette plaisanterie a été émise; et cela, c’est vraiment le plus extraordinaire de ce dont nous a offert l’étonnement, ce processus extraordinaire. Je pourrais citer un article signé d’un nom connu où cette nuance s’accuse, et j’en ai lu d’autres. Cela méiite qu’on s’y appesantisse ; essayons de le faire sans trop de lourdeur. Qu’est-ce que cela veut dire? En quoi le patrimoine national d’un passé d’art magnifique, et d’un riche présent littéraire, serait-il atteint parce que le dernier
chef-d’œuvre de M. Rostand ne le serait pas au premier chef, puisque le bagage de M. Rostand lui-même n’en serait pas diminué? Ce dernier retournerait tout simplement dans sa soli
tude peuplée et meublée, je veux le croire, sans plus d’émoi, et se remettrait au travail. Cela lui est arrivé déjà. Sa cantate de Compïègne a fait sourire, dans un sens qu’il n’avait pas prévu ;
son ode à Krüger n’a pas eu plus de veine ; cela ne l’a pas empêché de composer un beau poème sur l’enfance de Victor Hugo, avec lequel il a, sans doute, au contraire, voulu dédom
mager et qui, je crois bien, représente le plus important du fonds extrêmement restreint, en tant que poète, de cet auteur, qui (dix-huit sur vingt paraissent l’oublier) est un auteur dramatique.
Tout le monde peut se tromper, ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait le cas. Le célèbre auteur de Cyrano vient de donner un nouvel ouvrage que les uns jugent inférieur aux anciens, les autres, supérieur; excellente façon d’indiquer qu’il se maintient. Cet ouvrage, s’il se déroule en une forme qui paraît être irre
nouvelable, offre au moins du nouveau dans sa donnée. C’est donc mieux. M. Rostand peut rentrer joyeux dans son Arnaga. Mais y fût-il rentré battu et sifflé, son contentement n’aurait pas dû sembler moindre et le pedigree de l’Art Français, pas davan
tage ; pas plus que le trésor de l’Art Italien ne paraît amoindri quand un drame de M. d’Annunzio ne rencontre pas chez ses compatriotes le succès attendu, pas plus que la belle gaieté de M. d’Annunzio lui-même, que la lutte exalte et féconde.
Quelques exemples. Un d’abord, parmi tous, notable. M. Anatole France, qui a écrit le « Chantecler » des Pingouins, enchaîné des contes admirables, fait sourire la philosophie de Bergeret, employait, en outre, plus de vingt ans de son exis
tence à tramer une tapisserie héroïque pleine de heaumes et de cuirasses, de lances et d’épées, de bannières et d’oriflammes, laquelle se déroule comme des Array^i, et nous fait revivre la vie d’un siècle lointain comme si elle était d’hier. M. France, il y a quelques mois, est allé parler de Rabelais aux Argentins ; un événement qui aurait pu passer pour national. Le fait aurait dû sembler, à beaucoup, plus important que la première de Chante
cler. Il est demeuré quasiment inaperçu, dans une proportion qu’on n’aurait pas crue possible. Un jeune secrétaire, intelligent et dévoué, qui faisait partie du voyage, a d’abord envoyé, de quelques escales, des notes de route que plusieurs, parmi les
quels je me range, suivaient avec passion. Ces notes ellesmêmes ont cessé, dans le moment où elles devaient conclure. Je n’ai rien vu d’autre, et j’ai cherché. Poursuivons.
Voici maintenant M. Bataille. Gardons-nous de nous livrer à l’exercice qui consiste à jouer aux prix d’excellence entre les auteurs dramatiques contemporains. Perneur amer et tendre,
cet artiste émouvant et raffiné occupe une place unique, cela lui suffit. Eh bien, nul n’ignore, à commencer par lui-même, que Poliche n’a pas remporté le vif succès de Maman Colibri, et que la Marche Nuptiale n’a pas atteint le triomphe de la Femme
Nue ou du Scandale. Je ne pense pas que ces variations du goût public aientle moins du monde affecté M. Bataille, et je m’honore de le connaître assez pour ne pas douter qu’il ait même cette élégance de ne pas chérir davantage un ouvrage qui ait moins réussi. Non, il va son chemin, poursuit son œuvre et sourit doucement. Et il y en a d’autres, plusieurs autres qui font de même dans le patrimoine de la littérature; M. Loti qui ajoute à ses antérieurs prestiges, ce tour de force de donner, en pleine maturité d’une carrière de rêve, un livre de sociologie orientale,
lequel se trouve annoncer presque prophétiquement ce qui allait advenir. M. Barrés parachève avec une magnificence voilée, une œuvre pleine de poésie et de pensée, de grandeur et de grâce, de délicatesse et de profondeur. M. Mirbeau, s’il n’a pas connu avec le Foyer (écrit en collaboration avec M. Natanson une faveur tout à fait égale à celle qui accueillit sa pièce précédente, a du moins su associer à ce beau succès, plusieurs victoires qui ont bien leur prix, remportées contre la mauvaise volonté et les mauvaises querelles. Et, entre temps, il produisait un livre étonnant qui montait aux nues. M. Hermant, lui, a donné, dans la Discorde, après tant d’écrits prestigieux, sans doute, le roman le plus impressionnant qui ait paru depuis bien des années;