M. Paul Adam poursuit, aussi, lui, son cours égal de fleuve, qui n’inonde pas, mais qui roule, calme, des reflets de paysages et de ciels, de cités et d’âmes. M. de Curel se tait ; mais on respecte ce silence d’où l’on sait, l’on sent qu’il doit sortir de nouvelles paroles qui trouveront leur voie. Tout cela, et beaucoup d’autres choses, certes, grossit le patrimoine national, assez constamment, pour que même un à jamais improbable insuccès de M. Rostand, ne fasse vraiment rien. Becque n’a guère connu que l’insuccès, et on sait la figure qu’il fait dans le marbre de M. Rodin et dans le patrimoine national.
A propos d’aucun de ces écrivains, et je les en félicite, on n’a écrit qu’un ralentissement momentané de leur production attente
rait au lustre d’un pays dont la littérature, il me semble, ne leur doit pas moins qu’à M. Rostand, de grâce et d’actions de grâces.
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On connaît aussi d’où cette prédilection presque unanime est venue au méridional aède. On lui a su gré de la résurrection du panache qui s’est regreffé sur la plume des Trois Mousquetaires, laquelle je ne dis pas fléchissait, mais manquait de brins.
C’est alors que prit naissance l’essai de coopérative familiale dont nous avons parlé, tentative bit n intentionnée, je n’en doute pas, naïve, mais peut-être abusive et finalement dangereuse; tout un groupe convaincu d’ajouter à l’éclat de l’astre central,
avec son propre rayonnement, et ne faisant que détourner l’attention, sans profit pour personne; le beau vers de Victor Hugo que M. Rostand a varié, et que nous citions plus haut,
toute une pléiade paraissant l’appliquer au succès, dont on prend sa part, sans le diminuer; et tout ce monde pipeautant à qui mieux mieux; un verbe que ne saurait juger non grammatical l’auteur qui vient de doter la syntaxe du verbe « moineauter ».
Afin de ne pas paraître trop restrictif, citons maintenant quelques opinions de presse, choisies entre celles qui ne man
quent de mesure, ni dans le dosage de l’encens, ni dans celui de l’absinthe.
Nous avons lu des félicitations officielles, d’autres officieuses, les premières dénuées de persuasion, les secondes de retenue.
Au-dessus d’elles, à son habitude, M. Léon Blum a su exceller en mêlant l’équité à l’aménité. Si je fais choix de brèves citations dans un des innombrables écrits qui sont venus déferler sur ce rivage ornithologique, c’est qu’elles me paraissent contenir, sans doute avec un peu de rudesse, préférable à d’écœurantes fadeurs,
quelques graines de vérité à picorer en passant. L’auteur de l’article parle de la façon dont l’interprète actuel du rôle de Chantecler lance « telle tirade d’un gongorisme insupportable
qu’aurait fait applaudir, prodigieuse et roublarde, la verve d’un Coquelin aîné ». Et il ajoute, songeant à d’autres rôles joués naguère par le coq d’aujourd’hui : « La prose qu’il disait alors était plus large, plus chargée d’humanité, de tendresse profonde que les vers d’un lyrisme facile et d’un comique laborieux, de M. Edmond Rostand. » Puis, à propos d’un chant de rossignol, harmonieusement perlé par Mademoiselle Mellot, ce passage : « Alors, seulement on a perçu un peu de sublime parce qu’une voix de femme chantait. » Et l’article conclut: « interprétation,
en somme, excellente, de ce « Chantecler » clinquant dont il fut tant parlé, qui avec moins de faux esprit et plus de sensibilité véritable, eût été l’œuvre remarquable qu’il n’est pas. »
Encore une fois, ce jugement est dur, il sied de l’atténuer; mais on peut faire, dans sa direction, des reconnaissances judi
cieuses. Voici, par exemple, le mot clinquant, s’il vous choque,
autant que moi-même, tirez-vous-en avec un à peu près, ils sont à la mode, et dites-vous que ces concetti dont abonde le texte de la pièce, ne sont pas loin de ressembler à ces confetti qui vous aveuglent, certains jours de liesse; et que si ces confetti deve
naient tout à coup des paillettes dont ils ont la forme, ils vous offriraient avec le mot pailleté, une image aussi exacte que celle du chroniqueur, en même temps que plus aimable.


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Des « Impressions d’artistes » ont aussi été publiées. Les réflexions qui précèdent celle de M. Guitry donnent terriblement à réfléchir : « On sait avec quel art unique, M. Lucien Guitry
a joué « Chantecler. » Et il semble qu’on n’ait pas assez rendu justice à la tendresse, à l’émotion, à la vérité admirable, à l’hu
manité profonde qu’il a répandues dans ce rôle difficile et tout fait d’artifices. Il a soufflé de l’âme dans le coq en carton-pâte de M. Rostand. Tandis que presque tous les autres acteursdéclamaient, chantaient, insupportables et boursouflés, il a été l’artiste dont la simplicité atteignait au grandiose. M. Rostand doit beau
coup à M. Lucien Guitry. Aucun artiste, aucun, n’aurait pu lui apporter une aideplus précieuse. Tant et tant d hommes ont dû l’encenser diversement qu’il n’est plus sensible aux compliments les plus sincères... »
Ce trait nous rappelle qu’ailleurs nous avons lu cette phrase : « Entouré d’une petite cour idolâtre, bercé par les louanges de trop dévoués amis, prenant au sérieux les formules enthousiastes
de quelques politiciens qui se croient lettrés...» Tout cela est assez intéressant parce que, sans douceur, ce ne paraît pas non plus sans rapport avec la réalité.
Je suisétonné qu’on ait sifflé la scène des crapauds; sil’on voulait siffler quelque chose, il fallait mieux choisir. Tout de même, il y a dans l’œuvre du Maître de M. Rostand, un papa crapaud,
celui-là sublime et attendrissant, qui en remontrera toujours à ces fileurs de fiel. Mais il en existe une espèce toute différente, celle des tendeurs de miel ! ceux-là sont bien plus dangereux ; M. Ros
tand fera bien de s’en méfier si, par hasard, il en rencontre dans le pays basque ; ils se haussent, on ne sait comment, jusqu’au sommet de l’arbre et noient le rossignol dans la glucose.
Quant à ce qui est du jeu de M. Guitry, on ne saurait assez y revenir, et Madame Séverine, entre autres, l’a bien exprimé ; les reproches que plusieurs lui adressent, justement ou non, viennent de ce qu’il est supérieur à son rôle. Alors, à quoi bon ajouter rien à une réflexion qui, du premier coup, associe, en son honneur, équité, vérité et hommage ?


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Après l’interprète, le rôle, après M. Guitry, Chantecler, maintenant. Il y a des mots, des noms, qu’on se garderait de prononcer dans une discussion, si l’interlocuteur ne commen
çait point. C’est ce qui m’est arrivé. Nouvelle difficulté dont je vais essayer de me tirer. M. Marcel Prévost, au lendemain du sombre échec de Pierre et Thérèse qu’il nous offre, en guise de bienvenue académique, prétend que les triomphes de M. Ros


tand empêchent de dormir les bons petits confrères. On peut,


du moins, supposer qu’il s’agit de cet auteur, car M. Prévost ne le nomme pas. Faut-il en conclure que nous devons le ranger parmi ceux que M. Rostand exempte de sommeil, ou que le sou
venir de Pierre et Thérèse ne suffit pas à combattre l’insomnie ? Ceci pour nous amener à la terminologie incriminée. Un autre articlier s’est offert et nous a offert le luxe facile de prononcer le nom de Vadius, à propos de possibles jaloux de M. Rostand. C’est
à la fois direct et vague, simpliste surtout. Le nom pareillement Moliéresque, appelé par cette interpellation (je sais que je vais dire une chose énorme !) ne pourrait-on l’appliquer un peu, un tout petit peu, au personnage de Chantecler? Qu’est-ce, en effet, qui caractérise le type de Trissotin? (Voilà le gros mot lâché !) Un immense contentement de soi, malheureusementsans motif. Quand donc nous aurons dit que la satisfaction de son ramage éprouvée par Chantecler est, celle-là, motivée, cela retirerabeaucoup d’amertume à la réflexion qu’il pourrait bien tout de même y avoir, dansce Coq, un brin de Trissotin, lorsqu’il nous parle delà certitude où il est de sa nécessité, de son génie et de son officialité. Mettons donc, et n’en parlons plus, si toutefois de telles rencontres de mots et d’idées peuvent s’accorder, un Trissotin de génie.
Ah ! que le vrai mérite est donc loin d’une telle façon de parler de soi ! J’en veux pour preuve ce mot charmant de M. France. Un jour, je ne sais plus qui le comparait à quelqu’un que ce Maître n’admirait pas. Il répondit avec douceur : « C’est un homme qui n’a pas de talent, tandis que moi j en ai un peu. » Sage leçon pour les gallinacés qui se plantent sur les pavois, plutôt que d’attendre qu’on les y porte.
Après le rôle, la fiction. Celle-là peut se discuter, mais aussi se défendre. Que la conscience obscure des animaux puisse sem