bler plus près de livrer son mystère, quand elle inspire un Kipling ou un Andersen, cela est probable. Leur faire vendre la sagesse, rendre la j ustice et d’ingénieux oracles par la bouche de La Fontaine, peut aussi paraître mieux de leur ressort que leur faire dégoiser de critiques facéties: Aristophane l’a néanmoins tenté, et réussi. Les faire parler de basochiens et de loustics, de Kant et de Chénier, de Rivarol et de Toussenel, cela c’est le triomphe de M. Rostand, un triomphe qui ne va pas sans conteste, mais pas non plus sans droits.
* *
Ce qui fait que l’on s’entend mal dans les discussions à propos de Chantecler, c’est que l’on ne dit pas toujours ce qu’il faudrait dire, et que l’on dit souvent ce qu’il ne faudrait pas. J’en citerai deux spécimens typiques : l’un d’observation particu
lière, l’autre d’observation générale. Voici le premier : après de courtes citations qui ne contiennent pas, à beaucoup près, les meilleurs morceaux de l’ouvrage, un chroniqueur ajoute que cette œuvre renferme quelques-uns des plus beaux vers de la langue française. Si le commentateurvoulaitrisquer cette appré
ciation hasardée, mais, en somme, libre, il aurait dû faire, dans ces quatre actes, un choix plus réfléchi, qui était facile.
L’observation générale, maintenant. D’autres articles affirment que la réussite de Chantecler représentera la victoire du goût. J’avoue que ce jugement me paraît, entre tous, contestable. Le goût est une chose très spéciale, qui peut ne pas manquer à certains talents imparfaits et faire défaut à de plus sûres maî
trises. Wagner avait tout le génie possible : avait-il du goût ? Ce n’est pas par lui que brillait Rubens. Whistler et Stevens en avaient ; et M. Sargent, qui est un grand peintre, n’en a pas. On peut, on doit reconnaître, à l’art de M. Rostand, quantité de qualités, on peut lui contester celle-là. Quand M. Léon Daudet affirme que le talent de M. Rostand est « petit, mais certain», il pourrait sembler injuste si, connaissant que cela ne peut pas être, on n’interprétait sa pensée. Il veut dire, sans nul doute, que l’énorme talent de M. Rostand apparaît précisément diminué par son excès. Ses images sont multiples et ingénieuses, ses formules brillantes et belles, son lyrisme un peu artificiel, tout de même entraînant; mais, encore une fois, si un spectateur sincère, judicieux, bien intentionné peut, doit emporter de la représentation de Chantecler beaucoup de valables impressions, les minutes qui laisseront à ses yeux et à ses oreilles le souvenir du goût ne me semblent pas devoir être les plus nombreuses.
Il n’en est pas de même de la virtuosité. Celle-là, forcément un peu sèche, n en est pas moins toujours surprenante et, presque tout le temps, étourdissante. L’auteur s’y divertit lui-même, au point de briser son vers, pour en faire reluire les facettes, de le « concasser » avec le « marteau d’or » qu’il plaçait naguère aux mains de Catulle Mendès. C’est de la sorte que son poème se subdivise en fragments irisés et miroitants, assez pareils à ces pièces d’un casse-tête chinois burgauté, dont les losanges, les triangles et les carrés s’ajustent à merveille, et qui divisent l’at
tention entre la symétrie de leurs découpages et la diversité de leurs ornements.
***
Le plus grand défaut de Chantecler, c’est d’avoir été écrit il y a sept ou huit années. S’il avait pu être achevé et repré
senté sans tarder, outre qu’il aurait été moins surchargé de beautés apprêtées, le public, non exaspéré par une trop longue attente,lui aurait fait un accueil plus franc. Le tenant pour le grand intermède fantaisiste d’une veine qui se repose, on lui eût attri
bué un rôle épisodique dans l’œuvre de l’auteur, dont il aurait représenté, je ne dis pas Yaliquando dormitat, mais Yaliquando subridet.
Il n est plus question de savoir si Chantecler s’appellera ou non Déchante-clair, s’il avait raison, le critique notoire qui le qualifiait tout bas de « sublime enfantillage » et s’il avait tort le public gouailleur qui avait, d’ailleurs drôlement, déformé d’avance, à son intention, le titre de la plus célèbre des fables du Bonhomme. Ces poules que l’on chargeait, depuis tant d’années, de fixer la date de la « première », viennent de prouver
qu’elles avaient vraiment des dents. Je le dis sans rire. En voulez-vous une preuve? Après avoir attendu six ans, elle n a pas attendu trois hémistiches. Lisez plutôt le premier \ets de Chantecler : « Que croquez-vous ? » se disent entre elles ces poulettes. Comment, l’opération de croquer pourrait-elle être accomplie autrement que par des crocs, comme celle de becqueter appartient au bec ?
Tout cela se noie dans la série à la rouge des représentations en route vers les millions... et les millièmes... Il y manquera, sans doute, l’élan populaire, pour lequel on avait préparé tant de bibelots estampés du coq, lesquels s’enlèveront moins vite que leurs fabricants n’avaient espéré. On ne peut pas tout avoir.
De là, probablement, certaine rancune constatée, dans les classes moyennes, envers l’auteur de Chantecler, et qui tem
père l’application qu’il pouvait jusqu’ici se faire du vers de Chénier, sur la bienvenue dans chaque regard souriante. Elle reviendrait, un jour que l’enfant gâté d’hier rapporterait à son peuple, pour se faire pardonner ses beaux écarts, un Don Quichotte haut sur pattes ou un Polichinelle haut en couleur. Plu
sieurs déconvenues de son aventure actuelle vont servir l’artiste;
il se reprendra et accomplira cette fois son chef-d’œuvre, à la condition pourtant que certaine confidence, enregistrée par un courriériste, n’ait pas le sens qu’on pourrait lui donner. « Encore une calomnie... », dirait M. Rostand ; et il faut espérer que, cette fois, il aurait raison. Oyez plutôt : « J ai un principe, je ne lis que les articles signalés par les miens, les articles qui en
valent la peine... j’ignore les autres, je les ignorerai toujours.” Qu’est-ce que cela signifie? En effet, deux interprétations sont possibles. Quels sont, aux yeux de M. Rostand et des siens, les articles qui en valent la peine? Est-ce ceux qu’on appelle des éreinlemenls, de ces douches stimulantes, à la fois révulsif et réactif, de ces bonnes pintes de styptique empêchant le trop de complaisance envers soi-même, et maintenant le sens critique dans ce désirable équilibre entre le trop de confiance et Je trop d’hésitations? Alors, vive la parenté ! Mais avouez qu’il faudrait en rabattre sur ce cri, et le remplacer par une nouvelle citation du « Nul n est trahi que par les siens », si ces derniers ne jugeaient lisibles, fût-ce par un souverain, que les mots qui l’encensent. La reine Victoria nous a donné ce triste spectacle, dans ses dernières années, lors de la guerre du Transvaal. On lui marquait au crayon de couleur ce dont elle pouvait prendre
connaissance sans trop d’amertume, et sa lecture se conformait à cet itinéraire. Mais, enfin, elle était octogénaire et femme.
Elisabeth aurait montré plus d’envergure. Mais M. Rostand? Outre que cela doit entraîner, le jour de la bombe, chez un paterfamilias qui y attache tant d’importance, des déjeu
ners silencieux et contractés, plus pénibles que la lecture joviale d’une franche engueulade, quel crime de priver un auteur des fortes leçons qu’elle lui tenait en réserve! Si Chantecler nous destinait des beautés supplémentaires, nul doute que leur retrait ne soit imputable à cette réticence, et que l’on ait borné les communications à des lignes du genre de celle-ci, qui, au moins, ont dû faire sourire celui qui les inspira : « L immortel auteur veut bien me recevoir. On m’indique l ascenseur. » Évidemment, il faut ça pour s’enlever vers de si hauts étages.
Encore une fois, une seule chose peut sembler menaçante pour M. Rostand : l’abus autour de lui du genre affectueux (plus encore que du respectueux, le véritable respect ce n’est pas cela) tendant à ne juger digne que du nom de bave tout ce qui ne peut pas prétendre au titre d encens.
Quoi qu’il en soit, je me répète, chaque fois que je songe à M. Rostand, ce texte Shakespearien, qui me le rappelle chaque fois que les lignes m’en tombent sous les yeux : « Il chante différents airs, plus vite que vous ne compteriez de l’argent! il les débite comme s’il avait mangé des ballades et toutes les oreilles se tendent pour l’entendre.”
Mais qui oserait contester la supériorité de M. Rostand sur ce personnage du grand Will, si, tout en mangeant les ballades et en débitant les airs, l’auteur de Chantecler conserve encore assez de sang-froid pour compter aussi les places prises et les oreilles tendues?
ROBERT DE MONTESQUIOU.
* *
Ce qui fait que l’on s’entend mal dans les discussions à propos de Chantecler, c’est que l’on ne dit pas toujours ce qu’il faudrait dire, et que l’on dit souvent ce qu’il ne faudrait pas. J’en citerai deux spécimens typiques : l’un d’observation particu
lière, l’autre d’observation générale. Voici le premier : après de courtes citations qui ne contiennent pas, à beaucoup près, les meilleurs morceaux de l’ouvrage, un chroniqueur ajoute que cette œuvre renferme quelques-uns des plus beaux vers de la langue française. Si le commentateurvoulaitrisquer cette appré
ciation hasardée, mais, en somme, libre, il aurait dû faire, dans ces quatre actes, un choix plus réfléchi, qui était facile.
L’observation générale, maintenant. D’autres articles affirment que la réussite de Chantecler représentera la victoire du goût. J’avoue que ce jugement me paraît, entre tous, contestable. Le goût est une chose très spéciale, qui peut ne pas manquer à certains talents imparfaits et faire défaut à de plus sûres maî
trises. Wagner avait tout le génie possible : avait-il du goût ? Ce n’est pas par lui que brillait Rubens. Whistler et Stevens en avaient ; et M. Sargent, qui est un grand peintre, n’en a pas. On peut, on doit reconnaître, à l’art de M. Rostand, quantité de qualités, on peut lui contester celle-là. Quand M. Léon Daudet affirme que le talent de M. Rostand est « petit, mais certain», il pourrait sembler injuste si, connaissant que cela ne peut pas être, on n’interprétait sa pensée. Il veut dire, sans nul doute, que l’énorme talent de M. Rostand apparaît précisément diminué par son excès. Ses images sont multiples et ingénieuses, ses formules brillantes et belles, son lyrisme un peu artificiel, tout de même entraînant; mais, encore une fois, si un spectateur sincère, judicieux, bien intentionné peut, doit emporter de la représentation de Chantecler beaucoup de valables impressions, les minutes qui laisseront à ses yeux et à ses oreilles le souvenir du goût ne me semblent pas devoir être les plus nombreuses.
Il n’en est pas de même de la virtuosité. Celle-là, forcément un peu sèche, n en est pas moins toujours surprenante et, presque tout le temps, étourdissante. L’auteur s’y divertit lui-même, au point de briser son vers, pour en faire reluire les facettes, de le « concasser » avec le « marteau d’or » qu’il plaçait naguère aux mains de Catulle Mendès. C’est de la sorte que son poème se subdivise en fragments irisés et miroitants, assez pareils à ces pièces d’un casse-tête chinois burgauté, dont les losanges, les triangles et les carrés s’ajustent à merveille, et qui divisent l’at
tention entre la symétrie de leurs découpages et la diversité de leurs ornements.
***
Le plus grand défaut de Chantecler, c’est d’avoir été écrit il y a sept ou huit années. S’il avait pu être achevé et repré
senté sans tarder, outre qu’il aurait été moins surchargé de beautés apprêtées, le public, non exaspéré par une trop longue attente,lui aurait fait un accueil plus franc. Le tenant pour le grand intermède fantaisiste d’une veine qui se repose, on lui eût attri
bué un rôle épisodique dans l’œuvre de l’auteur, dont il aurait représenté, je ne dis pas Yaliquando dormitat, mais Yaliquando subridet.
Il n est plus question de savoir si Chantecler s’appellera ou non Déchante-clair, s’il avait raison, le critique notoire qui le qualifiait tout bas de « sublime enfantillage » et s’il avait tort le public gouailleur qui avait, d’ailleurs drôlement, déformé d’avance, à son intention, le titre de la plus célèbre des fables du Bonhomme. Ces poules que l’on chargeait, depuis tant d’années, de fixer la date de la « première », viennent de prouver
qu’elles avaient vraiment des dents. Je le dis sans rire. En voulez-vous une preuve? Après avoir attendu six ans, elle n a pas attendu trois hémistiches. Lisez plutôt le premier \ets de Chantecler : « Que croquez-vous ? » se disent entre elles ces poulettes. Comment, l’opération de croquer pourrait-elle être accomplie autrement que par des crocs, comme celle de becqueter appartient au bec ?
Tout cela se noie dans la série à la rouge des représentations en route vers les millions... et les millièmes... Il y manquera, sans doute, l’élan populaire, pour lequel on avait préparé tant de bibelots estampés du coq, lesquels s’enlèveront moins vite que leurs fabricants n’avaient espéré. On ne peut pas tout avoir.
De là, probablement, certaine rancune constatée, dans les classes moyennes, envers l’auteur de Chantecler, et qui tem
père l’application qu’il pouvait jusqu’ici se faire du vers de Chénier, sur la bienvenue dans chaque regard souriante. Elle reviendrait, un jour que l’enfant gâté d’hier rapporterait à son peuple, pour se faire pardonner ses beaux écarts, un Don Quichotte haut sur pattes ou un Polichinelle haut en couleur. Plu
sieurs déconvenues de son aventure actuelle vont servir l’artiste;
il se reprendra et accomplira cette fois son chef-d’œuvre, à la condition pourtant que certaine confidence, enregistrée par un courriériste, n’ait pas le sens qu’on pourrait lui donner. « Encore une calomnie... », dirait M. Rostand ; et il faut espérer que, cette fois, il aurait raison. Oyez plutôt : « J ai un principe, je ne lis que les articles signalés par les miens, les articles qui en
valent la peine... j’ignore les autres, je les ignorerai toujours.” Qu’est-ce que cela signifie? En effet, deux interprétations sont possibles. Quels sont, aux yeux de M. Rostand et des siens, les articles qui en valent la peine? Est-ce ceux qu’on appelle des éreinlemenls, de ces douches stimulantes, à la fois révulsif et réactif, de ces bonnes pintes de styptique empêchant le trop de complaisance envers soi-même, et maintenant le sens critique dans ce désirable équilibre entre le trop de confiance et Je trop d’hésitations? Alors, vive la parenté ! Mais avouez qu’il faudrait en rabattre sur ce cri, et le remplacer par une nouvelle citation du « Nul n est trahi que par les siens », si ces derniers ne jugeaient lisibles, fût-ce par un souverain, que les mots qui l’encensent. La reine Victoria nous a donné ce triste spectacle, dans ses dernières années, lors de la guerre du Transvaal. On lui marquait au crayon de couleur ce dont elle pouvait prendre
connaissance sans trop d’amertume, et sa lecture se conformait à cet itinéraire. Mais, enfin, elle était octogénaire et femme.
Elisabeth aurait montré plus d’envergure. Mais M. Rostand? Outre que cela doit entraîner, le jour de la bombe, chez un paterfamilias qui y attache tant d’importance, des déjeu
ners silencieux et contractés, plus pénibles que la lecture joviale d’une franche engueulade, quel crime de priver un auteur des fortes leçons qu’elle lui tenait en réserve! Si Chantecler nous destinait des beautés supplémentaires, nul doute que leur retrait ne soit imputable à cette réticence, et que l’on ait borné les communications à des lignes du genre de celle-ci, qui, au moins, ont dû faire sourire celui qui les inspira : « L immortel auteur veut bien me recevoir. On m’indique l ascenseur. » Évidemment, il faut ça pour s’enlever vers de si hauts étages.
Encore une fois, une seule chose peut sembler menaçante pour M. Rostand : l’abus autour de lui du genre affectueux (plus encore que du respectueux, le véritable respect ce n’est pas cela) tendant à ne juger digne que du nom de bave tout ce qui ne peut pas prétendre au titre d encens.
Quoi qu’il en soit, je me répète, chaque fois que je songe à M. Rostand, ce texte Shakespearien, qui me le rappelle chaque fois que les lignes m’en tombent sous les yeux : « Il chante différents airs, plus vite que vous ne compteriez de l’argent! il les débite comme s’il avait mangé des ballades et toutes les oreilles se tendent pour l’entendre.”
Mais qui oserait contester la supériorité de M. Rostand sur ce personnage du grand Will, si, tout en mangeant les ballades et en débitant les airs, l’auteur de Chantecler conserve encore assez de sang-froid pour compter aussi les places prises et les oreilles tendues?
ROBERT DE MONTESQUIOU.